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La Fashion Week de Londres a fait sensation cette semaine en renouant avec son essence originelle : le punk. Pointée du doigt ces dernières saisons pour une perte de vitesse, la capitale britannique a su rappeler qu’elle n’avait rien perdu de sa capacité à bousculer les codes. En réaffirmant avec audace son ADN subversif, Londres consolide sa place incontestable de trend-setter avant-gardiste au sein du Big 4.

 

 

Jeunes talents : joyaux de la couronne

Au fil des dernières saisons, la Fashion Week de Londres a fait l’objet de critiques récurrentes pour son avant-gardisme jugé excessif ainsi que son manque de professionnalisme. Les commentateurs de mode déploraient une scène où l’audace et l’expérimentation prenaient le pas sur la qualité d’exécution et la portabilité des collections. Ainsi, l’évènement s’est vu perdre en influence progressivement, voyant ses grands noms, tels que Stella McCartney, Alexander McQueen ou Victoria Beckham, déserter son calendrier pour privilégier les podiums parisiens. Si Londres ne compte pas autant de grandes maisons de mode que ses homologues du Big 4, cette saison prouve qu’elle n’en a peut-être pas besoin pour continuer à nous éblouir.

Cette saison, le British Fashion Council a su déconstruire ce stigmate tout en gardant l’audace et l’expérimentation stylistique propre à LFW. Laura Weir, la nouvelle CEO du BFC nommée en avril 2025, a exprimé son souhait de redynamiser la mode britannique en l’imposant non seulement en tant qu’art, mais aussi en tant que levier économique. Selon elle, un seul moyen possible : soutenir les jeunes talents. Dans cette optique, le BFC a supprimé les frais de participation à la Fashion Week pour les jeunes designers, allégeant ainsi le poids financier considérable lié à la production d’un défilé.

Berceau de la créativité émergeante, la capitale britannique se démarque également pour sa diversité culturelle. Londres est l’une des villes les plus cosmopolites au monde, et cela se reflète sur les podiums, où une pluralité d’identités, d’origines et d’influences est célébrée. Cette saison, la créatrice Dimitra Petsa, du label Di Petsa, a rendu hommage à ses origines grecques dans une collection déconstruisant les mythes occidentaux sur la Grèce antique. Même démarche pour la créatrice turque Dilara Findikoglu qui dédie sa collection à ses ancêtres, puisant son inspiration dans un parcours à la croisée des chemins entre Istanbul et Londres.

Ainsi, la Fashion Week de Londres a su retenir l’attention par son originalité, en prouvant qu’elle conserve sa place dans le quatuor de la mode.

 

Des princesses punks chez Simona Rocha, Erdem et Dilara Findikoglu

Depuis plus de dix ans, Simona Rocha s’impose comme l’une des designers emblématiques de la LFW. Pourtant, cette saison encore, elle a su nous surprendre avec une collection tout aussi rock que romantique. Présenté à Mansion House, résidence officielle du Lord Mayor de Londres, le défilé intitulé Disgruntled Debutant dépeint l’histoire d’une « débutante mécontente » faisant son entrée dans la société. Sur le catwalk, l’adolescente porte les vêtements trop grands de sa mère, qui ne sont pas aussi grands que sa nonchalance. Bras croisés, la débutante se pavane avec un coussin de cuir XXL sous le bras, nous rappelant qu’elle aurait préféré rester dans son lit ce matin-là. Pour cause, elle porte au premier look une jupe en tulle rose façon panier, assortie d’une brassière pailletée rock, dont les bretelles tombent négligemment de ses épaules, comme si elle avait à peine pris le temps de s’habiller pour l’occasion. Les silhouettes oscillent entre élégance et irrévérence mixant les codes du chic et du choc. On retrouve également des robes transparentes volumineuses, des bas à sequins et des corsets imprimés fleurs dans les tons rosés, lavande et vert pastel. Avec cette collection, Rocha dresse le portrait d’une jeunesse qui refuse de se convertir aux conventions sociales et qui l’assume avec nonchalance et style.

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© Simone Rocha Spring/Summer 2026

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© Simone Rocha Spring/Summer 2026

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Dans la catégorie des piliers de la mode britannique, Erdem signe pour l’été 2026 une collection mystique et anachronique devant le British Museum. Le designer turco-canadien s’inspire cette saison de la figure d’Hélène Smith, une artiste peintre et médium suisse du XIXe siècle, connue pour ses pratiques spirituelles et voyages spatio-temporels. Adepte du spiritisme, une discipline à la croisée de la science occulte, de la philosophie et de la religion, Smith affirmait pouvoir voyager dans le temps et dialoguer avec des esprits. Ses peintures traduisent les visions qu’elle aurait eues lors de ses expériences extrasensorielles. Fasciné par son histoire, Erdem Moralioglu a imaginé une collection racontant les différentes vies de Smith : dame de la cour de Versailles du XVIIIe siècle, princesse indienne, voyageuse martienne. On y retrouve des robes blanches en dentelle à collettes, des corsets structurés, et des jupes panier où un alphabet martien est brodé sur le buste. S’ajoutent des pièces d’influence orientale comme ce kimono-trench oversize vert fluo, magistralement brodé de pierre. La collection est donc un subtil mélange baroque aux allures orientales, le tout dans une atmosphère futuriste.

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© Erdem Spring/Summer 2026

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© Erdem Spring/Summer 2026

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Intitulée Cage of Innocence, la nouvelle collection Spring/Summer 2026 de Dilara Findikoglu a envoûté le monde de la mode. Pour cette saison, la créatrice turque apporte une touche de poésie à son style gothique, en jouant avec une palette de couleur plus claires comme le blanc, le beige et le rouge. La « cage d’innocence » de Findikoglu interroge comment des qualités telles que la pureté, la virginité ou l’innocence, souvent attribuées et imposées aux femmes, constituent des formes d’oppression symbolique, politique et sociale qui permettent de maintenir les fondements moraux des sociétés patriarcales. Avec cette collection, Findikoglu s’adresse particulièrement à ses ancêtres qui, selon elle, n’ont pas pu se délivrer de ces carcans. Elle souhaite donc non seulement les délivrer de ces oppressions, mais aussi se libérer de cette souffrance héritée. « Cette collection vise à donner la parole aux femmes qui n’ont jamais eu la possibilité de s’exprimer, et à me libérer du fardeau ancestral qui pèse sur moi. Cette collection est comme un adieu, une façon d’accepter et d’envoyer mon amour à ces femmes, et je suis probablement la première fille de toute ma lignée ancestrale à être aussi libre », a-t-elle confié en coulisses. La collection comporte des robes-corset déchirées, des jupes en lambeaux et des robes en latex. Les mannequins portaient aussi d’impressionnant bijoux, outils, et harnais en métal, à la Edward aux mains d’argent, trouvé sur les marchés d’Istanbul. Enfin, leurs démarches étaient lentes et sensuelles comme si elles mettaient en place une insurrection silencieuse. Cette collection résolument féministe a valu à Findikoglu un succès grandiose et mérité, pour un défilé qui faisait froid dans le dos mais donnait les larmes aux yeux.

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© Dilara Findikoglu Spring/Summer 2026

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La Renaissance de Burberry

Pour clôturer la Fashion Week de Londres, tous les yeux étaient braqués sur Burberry. Depuis juillet, la maison de mode est engagée dans un redressement économique piloté par son nouveau PDG Joshua Schulman, suite à une perte d’environ 17% de son chiffre d’affaires en 2025. En reprenant les rênes de Burberry, Schulman affirme vouloir repositionner la marque dans le marché du luxe en renouant avec son ADN traditionnel britannique. Dénonçant un virage niche et streetwear qui a déconcerté les clients historiques, l’homme d’affaires a déjà réduit de 20% les effectifs et souhaite redéfinir la relation entre direction et création. Dans un tel contexte, Daniel Lee, directeur artistique de la maison depuis 2022, était attendu au tournant.

Le créateur anglais a ainsi dévoilé une collection d’été renouant avec l’héritage culturel de l’Angleterre, mais pas n’importe lequel. Le show, qui s’est tenu aux Kensington Palace Grounds, s’est inspiré des icônes du rock anglais des années 60. « Les musiciens ont toujours eu un style incroyable, et avec la mode, ils forment une culture très forte », a-t-il déclaré en coulisses. La scène musicale britannique a été célébrée dans son ensemble allant du festival de Glastonbury à l’opéra rock Quadrophenia, en passant par les incontournables Beatles. Pour marquer l’événement, le front row réunissait un casting cinq étoiles : Twiggy, Elton John, Skepta et Rains Spencer. Leur présence venait souligner l’essence même d’un Burberry, à la fois résolument britannique et terriblement cool.

Sur le podium, des manteaux courts, bottines Chelsea, et robes mini sans manches ont défilé dans une palette pop éclatante : vert fluo, jaune citron, bleu électrique et lavande. Pourtant, la collection ne se limite pas qu’aux sixties : Burberry puise aussi dans l’esprit bohème des années 70, revisité à travers des sacs oversize à franges, pile dans la tendance actuelle.

Pour accompagner le défilé, une bande-son puissante composée de titres de Black Sabbath, sélectionnés par le DJ et directeur musical Benji B, a donné le tempo. Le show s’est tenu sous une gigantesque tente pour que l’ambiance évoque autant un concert en plein air, qu’un hommage mode à la contre-culture britannique.

À travers ce défilé, Daniel Lee réussit brillamment à reconnecter Burberry avec son héritage britannique, en mêlant tradition et modernité avec audace.

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© Burberry Spring/Summer 2026

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Texte Alizée Morais

 

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