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Installé à La Caserne dans le 10ème, Studio Paillette explore une mode affranchie de la possession. Ici, on ne collectionne pas, on compose. On assemble des pièces de créateurs réputés et de marques indépendantes pour créer un style guidé par l’amour de la construction stylistique, de l’esthétisme et du mélange.
Léa, la cofondatrice, nous a ouvert les portes de Studio Paillette, inscrit dans une logique d’économie circulaire, elle nous prouve que la mode éco-responsable a plus d’un tour dans son sac.
Comment tu vas aujourd’hui ?
C’est une période intense mais remplie de joie.
Quand as-tu réalisé les désastres de la fast fashion ?
Dès que la fast fashion a commencé, j’ai vite compris le prix à payer. Quand j’étais gamine, et que ça a émergé il y a eu un véritable engouement, les gens trouvaient ça génial d’avoir une mode accessible à tous. Mais ça a très vite tourné à la catastrophe. On accumulait des vêtements qu’on ne portait même pas, la qualité baissait à vue d’œil… D’ailleurs Zara, par exemple, proposait au départ des articles de bien meilleure qualité. Ce qui est encore plus dommage, c’est l’appauvrissement créatif que tout ça a entraîné. Et puis la transparence qu’on pouvait encore retrouver à une époque a complètement disparu. Les enseignes ont commencé à s’approprier et copier les marques. Sur le plan éthique et environnemental, c’est devenu complètement désastreux. Sans parler du plan sanitaire : quels types de produits met-on vraiment sur notre peau ?
Pourquoi avoir choisi la location plutôt que la vente ou la création de vêtements ?
Pour être tout à fait transparente, avec mon ex-associé, la location n’était pas notre première idée. On avait juste cette vision d’un grand vestiaire partagé où tu pioches des pièces, tu fais ton temps avec, tu t’amuses, puis tu switches avec d’autres. C’est clair qu’une marque aurait été une suite plus logique (rires). Mais je préférais créer un accès à des marques cools déjà existantes, ou qui ne trouvaient pas de succès commercial. Il y a déjà tellement de marques que les gens ne connaissent pas et qui ne sont pas portées, il faut composer avec elles!
Qui est la première personne à avoir cru au projet ?
Andréa Baldo, l’ancien CEO de Ganni. Il a tout de suite cru au projet en le qualifiant de très smart (rires). Il nous a donc envoyé 30 robes. Le plus dingue c’est que je l’ai rencontré comme ça, en réussissant à me faire introduire par quelqu’un.
Quelle est ta recette pour rendre la location attractive et stylée ?
En vrai, la location, je trouve pas que ce soit un mot très sexy. On ne l’emploie presque jamais, on préfère les termes « d’accès à la mode ». La seconde main a pavé le chemin pour que cette nouvelle manière de consommer émerge. Le fait de porter un produit déjà porté a été démocratisé après des années, mais c’est vrai que la « location » reste encore trop niche en Europe. Maintenant, il faut normaliser le fait de ne pas posséder. Et puis pour la rendre attractive, il y a le styling : créer un look, mélanger les pièces sans se dire « si je porte un foulard, il faut que ce soit un foulard en soie Hermès parce que c’est ça qui est cool ». Eh bien non ! On peut aimer un foulards pour tellement d’autres raisons. Il ne faut pas se limiter au mainstream ou à ce qui a été « validé » ; il faut surtout suivre son intuition et se faire confiance dans l’assemblage.
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Quel a été le moment où tu pensais que ça ne fonctionnerait peut-être pas ?
Oh là là, il y en a eu plein. Pour être honnête, je sais que ça fonctionne dans l’absolu. Toutes les clientes qui viennent et qui ont essayé adorent et reviennent. Donc c’est évident que ça fonctionne. Au niveau business, on a fait des choix très forts dès le début : ne jamais acheter la marchandise. Comme ça, on peut offrir des prix de location accessibles à tout le monde.
Comment vous fournissez-vous les vêtements ?
Dès le départ, ça a été une collaboration avec des marques. J’ai commencé par récupérer des pièces issues d’anciennes collabs, en faisant une sélection très créative pour redonner de la valeur à des produits qui, pour elles, n’en avaient plus vraiment. En fait, la revente à bas coût par la marque dévaloriserait l’image du produit et n’attirerait plus forcément une clientèle intéressante. Prenons l’exemple de The Bradery qui a été lancé un peu avant nous. Personnellement, en étant cliente, je ne paierais jamais le prix fort pour un article de déstockage sur l’application. D’où notre idée de proposer un tarif attractif. On ne peut pas culpabiliser le client quand il essaye de consommer autrement, donc nous on l’attire par deux leviers : la mode et le prix.
À l’inverse, à quel moment as-tu senti que tous vos efforts commençaient à payer ?
Ça fait cinq ans que j’ai lancé la boîte, et on n’est pas encore à un stade où je pourrais dire que tout a vraiment payé (rires). Mais ce qui est sûr, c’est que le modèle a beaucoup évolué. Il y a un an, on a lancé une agence dédiée aux marques. Mon vœu ultime, c’est de soutenir les jeunes marques, et ça passe par l’accès à la mode et la com. L’agence fait de l’influence, des activations et de la communication, le tout de façon militante, avec des tarifs bien plus abordables que ceux des agences traditionnelles. On s’appuie sur notre communauté et sur le styling, le tout dans une esthétique solaire. Et ça fonctionne : on a signé plein de clients, on sent qu’on a touché quelque chose qui a du sens. La location, c’est la dernière brique de notre package pour les faire connaître au grand public. Comme dans tout projet qui trouve sa voie, un équilibre est en train de se créer.
Quel est le plus beau souvenir de Studio Paillette ?
Le défilé à Marseille pendant la Slow Fashion Week.
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C’est dur de ne pas le mettre en top 1 ! Franchement, c’était fou, au bord de l’eau, au Mucem. On en a rêvé. On a fait défiler plein de marques qu’on a dans l’agence comme, Mahaud, Sundaylife ou encore Matho Paris. L’idée, c’était de dire qu’une marque n’a pas à tout faire et ne peut pas tout faire. C’est en mixant les marques, en créant de la tension entre les univers, qu’on arrive à des looks de fou. On a prouvé qu’avec une bonne DA, on pouvait créer une collection très unifiée.
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Moi qui suis habituée aux défilés dans le luxe chez Balmain, Marc Jacobs… Cette fois-ci, je l’ai fait avec Lucie, la fondatrice de la marque d’upcycling Salé à Marseille. 50 % des looks, c’est du Salé, et puis moi j’ai complété, j’ai créé des histoires évolutives tout au long du show autour d’un thème très fort : la sirène brûlée qui sort du port. C’était un véritable honneur de participer à cette première édition.
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Vous avez votre propre service de nettoyage des vêtements. Quelle est la tâche la plus difficile ou absurde que vous ayez eu à nettoyer ?
Il y a très peu de casse en vrai. On demande vraiment aux gens de ne pas nettoyer eux-mêmes, parce que c’est souvent comme ça qu’ils abîment les vêtements. Ici, on travaille avec des partenaires de nettoyage responsables et efficaces, qui utilisent très peu de produits chimiques. Et pour la petite histoire : ma mère, qui a loué pour la première fois au studio, repart toute contente avec une robe en soie dans son petit sac. Et là, dans la rue, un gars jette son mégot depuis son scooter, qui atterrit directement dans le sac et fait fondre la doublure de la robe. C’était hyper absurde. Elle m’a dit : « C’est fou, parce que si j’avais été une cliente lambda, limite on ne m’aurait pas crue ».
Qu’est-ce que vous refusez de sacrifier ?
L’image. Je travaille pour le beau. Après, j’agence beaucoup, mais ça doit rester impeccable sur le visuel. J’ai une vision à grande échelle, j’ai envie que la location explose. Si sur le chemin je dois faire quelques compromis qui ne sont pas entièrement dans mes valeurs, ce n’est pas grave je regarde the bigger picture.
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Quelle est la DA de Studio Paillette ?
L’univers Studio Paillette c’est avant tout beaucoup d’humour, un truc très barré, très fun. J’insiste toujours sur l’humour dans les shoots, car la mode c’est de la joie avant tout. Il y a aussi l’inclusivité, car on compose avec ce qu’on a, et on raconte ensuite autour des corps, et non pas l’inverse. L’amour de l’art aussi. Je compose les silhouettes avec un appel très viscéral, c’est instinctif. Visuellement, il y a une exigence créative, une forme de rigueur, car je vais vraiment travailler le truc jusqu’au bout. Je connais très bien les matières, de par mon expérience et mon héritage familial. Au final, ce qui m’intéresse, c’est la force narrative d’un look parfaitement construit.
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Vous considérez-vous comme un studio créatif inclusif au niveau des tailles ?
On essaie d’avoir pleins de tailles. Ça dépend de ce qui existe déjà, vu qu’on ne produit pas. Par contre, c’est un vrai sujet, car proposer de tout dans toutes les tailles, ça n’est pas viable. Il y a des marques dont les cibles sont difficiles à identifier, soit parce qu’il n’y a pas de com, soit parce que les cibles ne se sentent pas visées, soit parce que les fringues sont super mal taillées. Au final, produire pour produire, ça ne sert à rien. C’est là que la précommande et la pièce unique prennent tout leur sens. Après, pour les pantalons, j’aime bien qu’il y ait une large gamme de tailles au studio, car c’est la pièce la plus excluante du vestiaire. Ici, on a des hommes qui piochent dans le vestiaire féminin, des personnes petites et plus size qui savent comment nouer et adapter le vêtement pour qu’il tombe bien. Certaines femmes viennent aussi en me disant directement : « Balance les pièces que tu as dans ma taille ou dans mes tons », pour éviter une énième expérience shopping décevante. Sans oublier les clients qui viennent juste chercher une pièce signature pour leur tenue. Au fond, je pense que l’inclusivité ne se résume pas à « avoir tout dans toutes les tailles ». Si tu dis que ton offre est pléthorique et que le client t’aime pour ça, alors tu restes inscrit dans l’une des plus grandes valeurs du capitalisme : « tout est disponible, et l’on choisit dans la masse ». J’aimerais changer ça en : « regardons ce qui existe déjà et composons avec le monde ».
Quelle est votre pièce favorite chez Studio Paillette, et si vous deviez la sortir, où l’emmèneriez-vous danser ?
Les corsets, ce sont des pièces complètement folles et emblématiques, même si 100 % décoratives (rires). On a Maison Moursel, une marque qui transforme des maillots de foot en corsets. Une autre marque qui fait de la vraie corseterie à l’ancienne, avec une maison italienne et plein de détails. Et puis, je l’emmènerais en open air ou en festival, comme ça j’aurais la pièce forte, celle où tout le monde t’arrête, c’est rigolo, et je pourrais raconter son histoire.
Quel serait votre guest musical de rêve pour un prochain défilé ?
Yoa, qu’on a habillée récemment.
Qui verriez-vous comme parfaite égérie du studio, et qu’est-ce qu’elle porterait ?
Clara Berry. Elle a un look moins funky qu’avant, mais c’est typiquement le genre de meuf qui rentre dans la DA de Studio Paillette. En plus, elle a dit qu’elle kiffait le studio et qu’elle allait passer, donc on manifeste (rires) ! Et elle porterait un de nos bijoux. On a des bijoux en porcelaine incroyables signés Pepa Flaca, des grosses fleurs de la marque Matadora Paris, et d’autres plus funky.
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Qu’est-ce que vous changeriez dans le cursus en école de mode ?
J’ai fait de très grandes écoles de mode : Parsons à New York, la Saint Martins à Londres, et l’IFM à Paris. J’y ai appris le stylisme pur et dur. Pour toutes, il manquait énormément de ponts entre les disciplines, alors que la mode n’est pas linéaire. Quand on forme des stylistes, il faut cultiver leur singularité : qu’est-ce que tu aimes là-dedans ? Qu’est-ce que ça raconte ? Est-ce que tu veux devenir styliste photo ? Travailler dans la presse ? Est-ce que c’est l’image qui te plaît ? Ou est-ce que c’est vraiment le craft, la fabrication ? Il y a cette voie royale très marquée : devenir un grand styliste womenswear dans une grande maison de couture et être reconnu pour ça. Mais il y a très peu de postes par rapport au nombre de gens formés. Ce que je cherchais dans les cursus, c’était qu’on nous éveille à tous les métiers qui existent.
Sans qui n’en seriez-vous pas là aujourd’hui ?
Mon associé, qui n’est d’autre que mon papa. Ça fait maintenant quatre ans qu’on bosse ensemble au quotidien.
Ce n’est pas lui avec qui j’ai créé le studio au départ, mais il avait envie de faire quelque chose dans l’économie circulaire, et il a été très touché par le projet. Ce qui est drôle, c’est qu’à la base, lui n’était pas du tout dans le monde de la mode, contrairement à ma mère et ma grand-mère qui m’ont beaucoup appris. Et maintenant, mon frère s’y met aussi, il fait un master de modélisme à l’IFM. Mon cousin, ma cousine aussi sont dedans, c’est la mafia (rires) !
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Texte Noémie Fonkou Guemo
Photo en couverture Doramqr