L’an dernier, la chanteuse née à Beyrouth a ressorti son album sous l’appellation « Yah Nass » sur le label Crammed Disc. Il faut dire qu’être récompensée par le Festival de Cannes, dans la catégorie Bande Originale n’est pas une mince affaire. L’album intègre des titres inédits dont « Hal » composé spécialement pour le film de Jim Jarmusch : Only Lovers Left Alive,  sorti aujourd’hui. La chanteuse y joue son propre rôle et y interprète le titre, dans une ambiance onirique. Le film, sorti aujourd’hui, confronte les ruines d’un monde artistique moderne entre le Detroit contemporain mais dévasté et la cité de Tanger où l’espoir renait.  Avec son hypnotisante musique moyenne-orientale Yasmine Hamdan a réussi à envoûter le réalisateur au dandysme arty et désabusé de Stranger Than Paradise et Dead Man. La belle nous confie comment sa musique s’est mariée à l’univers romantique de ce grand du cinéma.

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En compétition du festival de Cannes, le film a remporté le prix de la meilleure bande originale, qu’est ce que cela t’apporte  en tant qu’artiste underground ?

Yasmine Hamdan : C’est génial pour moi et une énorme opportunité d’être dans ce film et d’y avoir composé un titre. La bande son est géniale et tous les artistes ayant participé sont des musiciens très inspirants. À mon niveau, ce qui m’intéresse c’est de faire des rencontres. Dans mon aventure musicale, cela me permet d’évoluer et d’ouvrir les yeux sur des cultures différentes. De plus, j’ai été sur scène pour les soirées événement autour du film. Pour l’occasion, j’ai recomposé un groupe avec des musiciens très intéressants qui ont apporté quelque chose de plus à mon univers. Enfin, côté carrière quand tu as le nom de Jarmush qui te cautionne, bien sûr, cela te donne une crédibilité. C’est quelqu’un de respecté à la fois dans le cinéma et la musique.

Comment s’est déroulée cette rencontre?

Yasmine Hamdan : De la manière la plus inattendue ! J’étais dans un festival de cinéma à Marrakech, j’accompagnais mon partenaire, également membre du jury. Un autre membre du jury organisait un concert avec sa copine pendant ce festival. Quand j’ai vue sa copine, on a sympathisé. Elle ma demandé de participer. On a fait une répétition d’une heure où je chantais dans un ampli basse, bref ! On a préparé trois morceaux et le soir du concert il y a avait trois réalisateurs présents. C’était vraiment un moment magique. Jim est venu me voir et m’a dit : « j’aimerai bien t’écrire un rôle dans mon prochain film, il faut que l’on reste en contact ». J’étais super contente ! C’est un rêve en plus d’être quelqu’un que je respecte beaucoup, c’est aussi un être très sensible et pour moi, qui fais des choses en arabe depuis des années, et musicalement très différentes afin de sortir d’un ghetto que connait la musique moderne arabe ; c’est un honneur ! Mieux encore, un cadeau, qu’il puisse ressentir ainsi ma démarche artistique et qu’il souhaite la présenter dans son film. Ensuite, de la rencontre au tournage, cela a pris du temps.

« Hal » a été écrit spécialement pour le film, comment as-tu écrit cette chanson dans ce rapport cinéma et musique ?

On m’a envoyé le script. J’en ai discuté avec lui, tout s’est passé de manière très improvisée. Puis le tournage s’est fait un mois après, pendant une nuit entière dans le vieux souk de Tanger. C’était formidable ! Il y avait un vrai public de tangerois. Les ruelles de la vieille ville de Tanger sont très animées. Tout le monde est dans la rue tout le temps. Pour le tournage, ils avaient bloqué l’entourage du café, et pendant les moments où on ne tournait pas, avec le public on improvisait des chansons populaires que chacun chantait de manière très spontanée. Jim m’a dit «  tu fais comme tu veux ». Je pense qu’il voulait que je sois comme je suis sur scène.

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Quelles sont les difficultés à composer pour le cinéma ?

Comme je te dis, je n’ai pas de frontières. Je ne ressens pas le besoin d’être dans un seul genre. Du moment que cela me permet de m’épanouir. Je fais des choses qui me permettent d’aller bien et de devenir une meilleure personne. La musique me permet moi d’être beaucoup plus heureuse et de me projeter dans un univers de rêve et d’émotions très stimulant, qui me donne beaucoup d’espoir. Même s’il y a des moments durs, avec des risques. Composer pour le cinéma c’est différent car soit le film est fini et tu composes sur les images, mais cela dépend du réalisateur. Je ne le fais pas forcément avec tout le monde, il faut que je puisse avoir une certaine liberté, que je sois inspirée, là dans ce cas là, j’ai lu le scénario et fait appel à mon intuition. Je travaille à l’instinct avec pour base le scénario car cela donne une certaine liberté. Avec l’image, c’est différent car ton rythme change, tu te dois d’être plus synchro. Pour le théâtre c’est aussi autre chose. C’est un exercice très excitant. Dans mon processus, je commence par écouter beaucoup de musique, je recherche et quand il y a quelque chose qui me stimule et me donne un concept, je le teste. Ensuite si cela fonctionne, c’est :  « effet boule de neige ».

Que penses tu de la place de la musique dans le film  et de cet univers sophistiqué et arty ?

J’adore la musique il y a une sensualité, quelque chose de très poétique et calme avec un rapport au temps intéressant. Aujourd’hui tu vois de plus en plus d’images dans un film, tout est très rapide. Ici les images sont lentes et posées. Il y a un vrai climat dans tout le film. Ce tempo qui est un peu décalé me convient aussi dans ma personnalité.

Tu arrives comme une sorte de note d’espoir dans ce film, qu’en penses-tu ?

Quand tu es artiste, tu as une perception assez crue, critique et tu cherches des notes d’espoir et des choses qui’ t’inspirent partout. En effet dans cette scène finale du film, tu as d’abord beaucoup d’humour et puis lorsque ma scène arrive cela semble inspirer aux personnages un souffle d’espoir. 

La culture arabe qui se marie à l’électro : c’est ton créneau. Peut-on en faire un parallèle avec cette dualité Nord-Sud entre Tanger et Detroit que décrit ce film ?

Je ne sais pas si c’est une dualité mais j’ai le sentiment qu’il n’y a pas de frontière entre l’artiste arabe, la musique rock etc. A un moment donné, c’est un langage universel qui parle : l’espoir, la poésie, tout ce qui peut te redonner espoir ne suit pas de barrières. Oui, je chante en arabe mais il n’y a pas ce côté bilatéral. Jim est un bosseur, il fait des choix et il n’y a pas tant de hasard, il est très pointu. Personnellement, je ne me considère pas comme appartenant à quelque chose. Je ne suis pas possessive avec mon identité. J’ai un sentiment très fort d’être une artiste arabe et je sens une responsabilité par rapport à cela, mais il y a une dimension qui dépasse celle de l’artiste, une dimension presque politique et sociale, du fait d’être une femme artiste et arabe. Par contre, je vis dans un monde très cosmopolite où j’arrive à m’approprier énormément de cultures différentes. Dans mon travail je cherche tout le temps de nouvelles choses à explorer. Je pense que Jim avait envie de voyage dans l’écriture de son scénario et sur son chemin il m’a rencontré. La vie c’est ça: des rencontres. Tu es là, au bon moment et au bon endroit.

Yasmine_Hamdan_06_by_Shervin_Lainez_lores