Qu’elles soient actrices, mannequins ou princesses, mortes ou vivantes, les blondes fascinent. Pourquoi elles plutôt que les autres ? Comment une simple couleur de cheveux peut déchaîner les passions, faire et défaire des carrières ? De l’Antiquité grecque à Hillary Clinton, une histoire de blonde pas si simple à comprendre.

Quentin Adler

Déjà petit, j’étais obsédé par les blondes. J’admirais Marilyn Monroe (au grand dam de ma mère, plutôt Audrey Hepburn) et regardais en boucle les VHS de Psychose ou des Oiseaux, en admiration devant les beautés glaciales adorées par Hitchcock. Tippi Hedren se débattait avec des corbeaux, mais je n’avais d’yeux que pour ses cheveux et son impeccable chignon. En rentrant de l’école, je me posais avec un bol de céréales devant la télé pour suivre les aventures des maîtres-nageuses de Malibu : l’inoubliable C.J. Parker immortalisée par Pamela Anderson, l’archétype de la bimbo au cœur tendre (bien au chaud derrière ses implants), la peste Neely Capshaw ou Summer Quinn. Puis sont arrivées Britney Spears, Christina Aguilera, Mandy Moore et les autres pop-tarts de la fin des années quatre-vingt-dix. Ravissantes idiotes pour certains, objets de fantasmes pour d’autres ou encore signes avant-coureurs de la mort de l’industrie musicale, elles éclipsaient d’un hair flip leurs concurrentes brunes et squattaient mon Discman bien plus régulièrement que Mariah Carey ou Shania Twain.
Vierges peu farouches, bimbos abonnées aux séries B, actrices mythiques, reines de beauté et vraies princesses, je ne suis pas seul à être intrigué par les blondes. En 1978, Rod Stewart leur déclarait son amour dans le titre au nom qui en dit long « Blondes Have More Fun » : « Is it a matter of opinion or just a contradiction, but from where I come from, all the blondes have more fun. » Un torrent de clichés auxquels les filles aux cheveux couleur de blé sont bien habituées : pas très malignes, mœurs légères, prédisposées à faire la couverture des tabloïds, elles font tourner les têtes partout où elles passent. On en vient à se demander d’où vient l’obsession pour la blondeur, qui perdure depuis la nuit des temps. Pour l’écrivain Joanna Pitman, auteur de l’ouvrage Les Blondes – une drôle d’histoire, d’Aphrodite à Madonna, cette fascination remonte à la Grèce antique. La déesse de l’amour Aphrodite ensorcelait les hommes grâce à sa tignasse ensoleillée et incitait certaines femmes à user de diverses concoctions pour obtenir la couleur tant enviée… Les prémisses de la teinture et des standards de beauté inatteignable (encore plus lorsqu’il s’agit d’émuler une déesse). Graisse de crocodile ou de chèvre, urine d’âne et cendres de hêtre étaient les ingrédients préférés des Grecques jusqu’à ce que la toxicité de ces produits ne fasse tomber leur casque d’or, alors souvent remplacé par d’onéreuses perruques.blond2

C’est aussi à cette époque que la contradiction du cheveu blond apparaît : symbole de pureté et d’innocence, il déchaîne les passions les plus lubriques. Au fil des siècles, la blonde – vraie ou fausse – est tantôt un modèle de vertu, tantôt méprisée et considérée comme la lie de la société. D’un côté Lady Di et Grace Kelly, de l’autre Paris et Courtney. D’un côté Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort, de l’autre Catherine Deneuve dans Belle de Jour. Comme l’explique le sexologue Jacques Waynberg dans le documentaire La Vraie Vie des Blondes réalisé par Loïc Prigent : « La blondeur, c’est la virginité. Blonde, vierge et silhouette magnifique, donc putain. Le choc des deux est épouvantablement excitant pour les hommes. » Dans un entretien accordé au journal 20 Minutes, Alain Bergala – critique et essayiste français et commissaire de l’exposition Brune/Blonde à la Cinémathèque de Paris en 2010 – propose lui une timeline de la blondeur au cinéma : « Jusqu’aux années trente, la femme sage était la femme blonde, et la tentatrice était brune. Les cheveux noirs étaient signe d’attaque. Quand Hollywood a imposé l’image de la blonde, cela s’est inversé à 180°, soudainement la tentatrice était blonde. »
En tout cas, qu’elle soit ado à couettes, girl next door ou femme fatale, la blonde conserve ce je-ne-sais-quoi qui séduit, agace ou amuse. Déjà à la fin du xviiie siècle, Rosalie Duthé, celle qui a popularisé le mythe de la blonde idiote, enflammait la France d’après-Révolution, devenant une des courtisanes les plus prisées de l’aristocratie après avoir passé son enfance au couvent… Sorte de Kim Kardashian de l’époque, elle suscitait autant l’admiration qu’ele provoquait la moquerie, inspirant même une pièce de théâtre Les Curiosités de la Foire dans laquelle était caricaturée sa façon de s’exprimer, marquée par de très, très longues pauses. La moquerie, c’est ce qu’ont connu d’autres illustres blondes qui ont tour à tour endossé le rôle de souffre-douleur publique, sur lesquelles on peut se permettre de dire tout et n’importe-quoi. Qu’il s’agisse de Marilyn Monroe et son tragique destin ou de Courtney Love, suspectée à jamais par les fans de Nirvana d’être à l’origine du suicide de son fameux mari, de Pamela Anderson et sa sex-tape, bien avant que Paris Hilton et Kim aient rendu ça tendance ou encore de Britney, chassée par les paparazzi, mauvaise mère, folle furieuse armée d’un parapluie, on aime les voir péter les plombs. On jubile devant les mugshots de Lindsay Lohan (blonde sur 75 % d’entre eux), on grimace devant les vidéos d’Anna Nicole grimée en clown et on rit devant les unes de magazines people. Les blondes font vendre, même dans la misère.
Au final, la blonde est innocente, la blonde est folle, la blonde est séductrice, la blonde est idiote. Son look a évolué, elle n’est plus cantonnée au rôle de la femme au foyer idéale ou à celle de la fille bombshell à la Jayne Mansfield, elle se libère des carcans imposés par la société et dépasse les stéréotypes, ou en joue à son avantage. Elle est toujours chanteuse pop, playmate ou actrice hollywoodienne, mais comme Barbie et ses mille carrières, elle est aussi femme d’affaires ou femme politique. Selon une étude réalisée par Jennifer Berdahl, professeur d’études de leadership à l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver, 48 % des femmes PDG sont blondes. « En présentant une façade féminine et innocente, il est alors plus simple de faire accepter une attitude ferme et de faire preuve d’indépendance, des traits perçus comme masculins. »
Et puis, il y a Hillary. Habillée de son tailleur-pantalon et coiffée de son brushing parfait, l’ancienne first lady a semé la zizanie dans la politique américaine, tordant le cou aux clichés attachés à sa couleur de cheveux en s’attaquant à son adversaire, l’idiot du village Donald Trump. Même après son inattendue défaite, elle continue d’obséder ses admirateurs et ses détracteurs et déchaîne les passions d’une façon jamais vue auparavant. Quinze ans après qu’Elle Woods a intégré Harvard, c’est la vraie « revanche d’une blonde » qui s’est déroulée sous nos yeux, plus palpitante que tous les mythes de la blonde Aphrodite.

 


Article originellement publié dans le numéro 50 de Modzik, disponible ici.