Elle a poussé la chansonnette pour KENZO la semaine dernière, annonçant ainsi son arrivée dans le clan des artistes prisés et adulés par les marques de luxe en ce moment. Mais qu’importe sa relation avec la mode, musicienne et chanteuse de talent, Lafawndah ne cesse de nous surprendre. Comme elle, sa musique est sensuelle, militante, brute et impossible à ranger dans une case. D’origines iranienne et égyptienne, Lafawndah a grandi en Iran et à Paris, avant de poser ses bagages au Mexique, puis aux États-Unis où elle vit actuellement. Un déracinement perpétuel et volontaire pour une artiste nomade et cosmopolite au discours féministe et engagé. Relisez en exclusivité et intégralité son interview publié dans notre MODZIK #48. Talent à suivre.

Comment décrirais-tu tes chansons ? Il y a un effet onirique dans ta voix, une dimension très rêvée, mais en même temps très ancrée dans la réalité…

Oniriques, surréels, c’est ces tons là qui m’intéressent. J’ai l’impression que ce qui me fait commencer à écrire, ce n’est pas trop le réel…c’est ce qui vient du cœur. Tous mes sujets ne sont pas collés à la réalité. J’aime que ça aille dans d’autres directions, qu’ils s’agisse de sons ou de mots. Que ce soit un peu fantastique, qu’on cultive un détachement qui permet de s’exprimer d’une manière plus surprenante.

Quels sont les sujets de tes chansons ?

Je ne sais pas si je peux vraiment dire qu’elles ont un sujet. Je parle de plein de choses différentes, mais ce qui est important dans mon travail, c’est de donner du pouvoir aux femmes, qu’elles se sentent fortes. Cela passe par l’imagerie, par les sons, l’humour, le détachement. J’aime que lorsqu’on écoute ma musique, on se sente fort, que ça fasse penser que tout est possible. Ce n’est pas un sujet, mais c’est un sentiment que j’ai en permanence en tête.

Cette force, tu la trouves où ? Par quoi es-tu inspirée ? Comment est-ce que tu recharges tes batteries?

Grâce à mes amis. Il n’y a pas grand-chose qui puisse remplacer cette énergie, cette proximité. Je regardais une vidéo d’Oprah qui parle de sa meilleure amie, Gayle King, avec qui elle a un rapport très fusionnel. Elle y dit qu’elle est la mère qu’elle n’a jamais eue, la sœur que tout le monde voudrait, l’amie que tout le monde mériterait… c’est assez beau. Toutes ces heures qu’elle a passé au téléphone avec elle, c’est comme de la thérapie.

Chemise: Jacquemus | Jupe: MO&CO | Babouches: Acne Studios

C’est cet aspect de sisterhood qui t’intéresse dans la musique ?

Oui, tout à fait, mais ces rapports sont trop peu représentés. Les rapports entre femmes sont traités de façon frivole. Leur intensité est rarement montrée.

Qu’est-ce que ça représente pour toi ce sisterhood ?

Pour moi, ce sont des femmes sur qui je peux compter, des vrais piliers de vie. Des sortes de socles forts et durs. Des femmes qui me recadrent aussi quand je fais de la merde, ce qui est important. Culturellement, je constate que ce genre de rapports sont plus présents aux États- Unis et en Angleterre qu’en France. C’est très dur de trouver des personnes qui te disent « Là, tu déconnes ! » L’amitié c’est sympa, mais d’avoir ces retours sur sa vie, constamment et à tous les niveaux : sentimental, professionnel.… c’est assez rare. Entre amis, il n’y a pas de limites.

Est-ce qu’il y a des musiciennes avec lesquelles tu as ce genre de rapport ?

Kelela est une de amie très proche. On a ce genre de relation où on se soutient, où on a des échanges à tous les niveaux. Lorsque une de nous rencontre le succès, sa réussite a une influence sur l’autre. On se tire vers le haut. Je n’écris pas forcément sur ce sujet, mais c’est ce qui m’aide à me lever le matin, donc cela se retrouve dans l’énergie de mes chansons. Souvent, des filles me disent « Je me sens hyper forte quand je regarde tes vidéos, quand j’écoute ta musique. »

D’où tiens-tu cette force finalement ?

Des femmes de ma famille. Je viens d’un environnement matriarcal, où les femmes décident. Peut-être aussi de la fatigue que je ressens de ne pas être assez visible en tant que femme. C’est le problème quand tu es une femme et que tu regardes des films, que tu écoutes de la musique. Il y a plein de moments où tu ne te sens pas représentée. C’est ce qui se passe pour toute personne qui n’est pas un homme blanc et hétérosexuel. Pour toutes les minorités, c’est comme ça. Pour moi c’est important d’apporter différentes dimensions, de montrer que mon expérience n’est pas toute noire ou toute blanche, que cela se ressente dans tout ce que je fais : mes sons, mes paroles, la façon dont je parle, la façon dont je me présente. Je ne veux pas rentrer dans une case, j’aime interpeller les gens, je souhaite qu’ils se posent des questions.

Tu peux me parler de ton expérience sur le tournage de « Ally » ?

Normalement, on devait avoir un budget consistant pour cette vidéo, mais malheureusement, c’est tombé à l’eau. Je voulais quand même réaliser un clip et du coup je me suis retrouvée à en être le personnage principal, ce qui n’était pas du tout l’idée au départ. Sur le coup, j’étais embêtée parce que ça ne m’intéresse pas de me mettre en scène, de me mettre en avant. Mais bon, cette fois je n’ai pas eu le choix, j’ai dû me retrouver derrière et devant la caméra et finalement, c’était un bon défi. Il y a une scène dans la vidéo où je chante. Je n’étais pas à l’aise du tout, la caméra bougeait… Cette scène, c’est de la performance, tu n’es pas occupée à faire autre chose. You need to perform. Je traînais les pieds et je me suis mise à me souvenir de tout, du processus de création et je suis devenue une warrior. Je pense que ça doit se ressentir.

Parka: Christopher Kane chez MatchesFashion.com | Blouson: Louis Vuitton | Jupe: Acne Studios | Sandales: MM6 Maisons Margiela

C’est aussi le sujet de la chanson, cet état d’esprit warrior ?

Le sujet de la chanson, c’est le coup de foudre. En parler comme d’un sentiment qui te rend fort. Ce je ne sais quoi qui se passe au début, que tu as envie d’explorer sans savoir de quoi il s’agit. Tu désires que cette personne devienne ton allié, avec qui tu peux former une équipe. Faire partie d’une équipe, c’est une force.

C’est une chanson d’amour sans l’être ?

Oui. Mais je dis « I met a Guy », pas « I met a Man » ou « I met the Man », il y a un côté un peu cash. L’impression d’avoir fait une vraie rencontre, pas l’histoire d’une nuit, même si ça vient tout juste d’arriver. Le refrain, c’est comme quand tu reviens d’une nuit blanche et que tu es complètement électrisée… à la fois possédé, mais aussi détaché. Tu ne sais pas trop quoi faire, c’est un entre-deux.

Le voyage, le fait d’avoir grandi par-ci par là, influence et enrichit. J’aimerais savoir si tu voyages à travers ta musique.

Pour moi, voyager autant, c’est chercher l’inconfort. Tu te déracines, tu vas où tu n’as ni famille ni amis, tu ne connais pas la culture et tu te replantes quelque part. C’est comme une renaissance et j’y suis vraiment accro. Quand je suis arrivée au Mexique je ne connaissais pas. Pareil pour les États-Unis où je ne connaissais pas grand chose. Donc quand tu vas là-bas, tu ne comprends pas les références des gens. Je n’écoutais pas de R’n’B, de hip hop américain… J’ai écouté de la musique classique pendant longtemps, puis du jazz. Des trucs des années quatre-vingt-dix un peu, mais pas des productions américaines. J’écoutais de la vraie musique de Blancs. J’ai connu ces autres genres de sons par accident, par hasard.

Pardessus et babouches: Acne Studios | Tablier: Marni

Tu as sorti deux EP, maintenant tu travailles sur ton album. Il sortira quand ?

Je ne peux pas le dire pour le moment. C’est trop tôt. Tu sais, un EP, c’est comme une naissance. Tu n’as pas beaucoup d’espace, de temps, mais il faut faire un statement. Tu ne peux pas attendre que les choses se déroulent. Les deux EP (ndlr : Lafawndah (2014) et Tan (2015) ) sont très importants, mais ils ont été réalisés dans des conditions différentes. Quand tu fais un EP, tu veux que ce soit un concentré un peu extrême de ton travail alors que dans le cas d’un album, tu as plus le temps de développer tes arguments, d’aller dans différentes directions. Un EP, c’est quatre chansons très fortes, ce qui n’est pas forcément facile. Dans un album il y a plus de titres, donc ils peuvent t’accompagner au long de ta vie. Il y a des morceaux extrêmes, d’autres plus délicats. Un EP, c’est très « in the face ». Après, ce n’est pas radicalement différent. Je développe de nouvelles manières de chanter, de composer. C’est comme un tapis qui se déroule. L’EP, c’était l’entrée.

Est-ce qu’il y a encore un défi que tu te donnes à toi-même ? Quelque chose que tu souhaites réaliser par le biais de ta musique ?

Quelque chose que je n’ai pas encore fait ? Mais je n’ai rien fait, tu sais. Mon souhait, c’est d’écrire une chanson qui touche un maximum de gens, je pense que ça c’est un très beau défi. Réussir à être totalement intègre tout en touchant le plus grand nombre de personnes possible, sans se plier à une formule prédéfinie.

@lafawndah_ 

Crédits – Photographe: Yulya Shadrinsky | Stylisme: Edem Dossou | Mise en beauté: Yasmine Bouchired et Helena Candeloro | Assistant stylisme: Kenny Germé

Crédits couverture – Pardessus et babouches: Acne Studios | Tablier: Marni