C’est probablement l’expression la plus facilement galvaudée quand on parle d’electro française. À chaque apparition d’une nouvelle tête labellisée frenchy sur la scène électronique, le terme de « relève de la French Touch » vient maladroitement agrémenter les colonnes de nos magazines musicaux. Qu’il s’agisse de FKJ, Darius, Breakbot, Club Cheval, Brodinski, ou encore Fakear, tous se sont vus coller l’étiquette de « French Touch 3.0. »

MODZIK_BREAKBOT

 

Si la première vague nourrie à la culture rave et emmenée par Daft Punk, Air, Cassius, Laurent Garnier, Étienne de Crécy ou encore St Germain est définitivement inscrite dans l’histoire, on a longtemps peiné à trouver des successeurs à la hauteur. Et pour cause, voilà quinze ans qu’aucune grande révolution musicale n’est venue secouer une industrie les yeux trop souvent rivés sur le rétroviseur. Difficile de détrôner un mouvement si novateur et exaltant que celui de la French Touch (terme inventé par nos voisins anglais, N.D.L.R.), c’est aussi le seul à avoir pris ses racines dans l’Hexagone et son influence est telle qu’aujourd’hui encore elle vient hanter les jeunes générations, trop souvent qualifiées d’héritieres ou de relève, jamais de pionnières. À l’occasion de l’European Lab Winter Forum et d’une conférence sur l’avenir de la musique électronique organisée à La Gaîté Lyrique en décembre dernier, Laurent Garnier, pourtant à l’origine du genre, exprimait déjà son inquiétude : « Je trouve bizarre que la nouvelle génération écoute la même musique que leurs parents. » Même son de cloche du côté de Breakbot : « Depuis le début des années quatre-vingt-dix, on en est toujours à écouter du rap, de la techno et de la house. » On ne les contredira pas, mais ajoutons tout de même que s’il n’est pas novateur, le genre électronique n’a eu de cesse de se renouveler. Si le monde de la musique électronique louche aujourd’hui sérieusement vers l’Allemagne et la scène techno berlinoise elle-même influencée par Garnier et consort, mais aussi vers Detroit et Chicago, une flopée de jeunes producteurs français tente malgré tout d’insuffler un vent de fraîcheur sur la scène électronique mondiale.

Plus qu’une influence, la French Touch a complètement révolutionné le paysage musical français et largement participé à la démocratisation de la musique électronique dans l’Hexagone. En 2016, il n’existe pas un festival majeur sans une tête d’affiche électro. Ils ont inspiré deux décennies d’artistes français à venir se frotter aux machines. Le souvenir euphorisant des années French Touch a tellement marqué son époque que chaque esquisse de nouveauté se voit affubler du terme de « nouvelle vague », à l’image de l’explosion de labels comme Ed Banger ou feu Institubes et leurs têtes de gondole Justice, Busy P, DJ Medhi, Surkin, Para One, Mr. Oizo, Kavinski ou encore Bobmo dans la seconde moitié des années 2000.

 

Zimmer Press Picture 2 - Black Portrait - July 2015

 

Aujourd’hui, l’expression d’une vague 3.0 vient fleurir le gazon (maudit) de la blogosphère pour définir des artistes aussi différents que Club Cheval chez Bromance ou Darius, Zimmer ou FKJ chez Roche. En 2013 et la création du label Bromance, Brodinski (son fondateur) et Gesaffelstein avaient déjà été qualifiés de la sorte. Le magazine anglais DJ Mag avait à l’époque mis en couverture les deux bff pour incarner ce qu’ils appelaient la « French New Wave », soit la nouvelle vague française. Il faut dire que l’electro hybride entre la techno et le hip-hop du label venait rompre avec les années turbines de ces prédécesseurs, dont ils sont pourtant si proches. L’affiliation est toute faite et l’idée de successeur vient naturellement s’imposer. Pour Roche Musique et ses poulains FKJ, Darius, Kartell, Dabeull, Zimmer (la liste est longue), c’est également cette idée de rupture avec l’electro qui tabasse qui prédomine. Le jeune label propose une electro « chill » et dansante plus en phase avec la house des pionniers des années quatre-vingt-dix que de la turbine des années 2000. Intercepté au bord des pistes alpestres du Music Village Festival, le jeune Zimmer nous confirme toute l’influence du mouvement sur sa musique et celle de ses collègues : « C’est la musique avec laquelle j’ai grandi. La première vague de la French Touch, c’est ce qui m’a donné envie d’être DJ et de produire de la musique […] Je sais qu’on est plusieurs dans le label à être venu à la musique à cause de ça. » Et d’ajouter : « Ce qui nous lie, c’est le côté underground, de faire vraiment de la musique de qualité, qui peut se “crossover” sans se dénaturer. Je pense que c’est un peu ce que faisait la première vague de la French Touch et ce qu’a pu faire aussi un mec comme Breakbot ensuite. » Pour Jean Janin aka Cézaire, fondateur du label, la comparaison est flatteuse même si elle doit être nuancée : « On ne s’est jamais dit “Tiens, on va faire la french touch 3.0”. Les gens aiment bien mettre des étiquettes donc celle-là, on la prend avec plaisir. On a un peu les mêmes influences que nos prédécesseurs, c’est-à-dire la soul, le funk et le hip-hop. Je pense que ce qu’on a en commun avec les artistes « French Touch » c’est cette culture de la musique. » Une culture largement facilitée par internet et l’avènement des plateformes comme Soundcloud qui permettent de découvrir des sons et des artistes à l’infini sans jamais devoir appuyer sur pause. Finalement, le nouveau terrain de jeux des jeunes producteurs se situe davantage derrière un écran d’ordinateur que derrière les platines d’une discothèque. « Avec internet j’ai l’impression qu’il y a un côté un peu plus démocratique qu’avant, c’est-à-dire que tu peux devenir connu simplement parce que les gens ont liké ta vidéo sur Youtube » ajoute Breakbot. Ils sont d’abord producteurs et musiciens avant d’être DJs, et c’est une différence énorme.

 

Fakear_23credit-Lucie Rimey Meille

 

Tous ne sont cependant pas à l’aise avec l’étiquette et certains essaient même de s’en défaire. C’est le cas des Caennais Fakear et Superpoze ou de l’Angevin Thylacine qui, en mars 2015, figuraient même en couverture du magazine Tsugi sous le titre « L’anti-french touch » les décrivant alors comme « plus rêveurs que raveurs, Superpoze, Thylacine, Fakear ou encore Worakls affectionnent les mélodies. Ils sont la dream team d’une electronica à la française qui tourne le dos au dancefloor et ramène un peu de douceur dans le débat. » Le rejet de l’étiquette French Touch est chez eux unanime : « la seule chose qui m’angoisse, c’est qu’on puisse nous catégoriser French Touch 4.0. Faudrait qu’on commence à susurrer aux gens des idées de noms pour notre genre. » témoigne Fakear à l’époque. Quant à savoir à quel mouvement les rattacher, là encore l’idée de catégorisation pose problème : « La presse a tendance à nous regrouper tous sous l’étendard « future beat » dont font partie Dream Koala, Point Point, Superpoze, The Geek x Vrv, etc. Mais nous faisons quand même une musique extrêmement différente les uns des autres ; finalement, j’ai l’impression qu’on nous regroupe à cause de notre âge. » La jonction de ces artistes vient aussi de leur goût prononcé pour la mélodie et leur envie commune d’explorer une électronique onirique, rêveuse, qui s’écoute loin de la pénombre des dancefloors. Plus que la musique, c’est aussi l’imagerie et cette envie de partager une « vibe », un « air du temps » qui unie toute cette génération de producteurs. Un constat partagé par Piu Piu dont la compilation Local Time Vol.1 réalisée avec Rinse France et sortie le 26 février dernier réunit des artistes aussi éclectiques que Shlømo, Tite & Alberto Balsalm, Nathan Melja, O.Xander, Marion Poncet, AWB, French Fries & Coni, Geena, Simo Cell, Francois X & Bambounou, Low Jack et Piu Piu, tous issus de la scène électronique française et tous reliés par cette idée « de chercher à communiquer un mood plutôt qu’un simple beat 4/4 […] Chaque morceau a vraiment un univers précis, particulier, presque cinématographique. » Pour Cézaire « c’est plus intéressant de voir la musique comme ça, avec des feelings et des envies : des voyages, des images, des couchers de soleil, de la chaleur, de la lumière, le côté très sexy aussi. » Une association musique/visuel poussée à son paroxysme par les chaînes Youtube type Majestic, passée maître dans l’art d’associer un morceau electro à une imagerie sexy, colorée ou bucolique, et où on peut retrouver quelques productions de leur catalogue. « French New Wave », « New Beat », « French Touch », finalement qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ils sont jeunes, ils sont Français et ils sont talentueux, c’est tout ce qui compte.