2016, Jorja Smith, 18 ans à peine, publie « Blue Lights », un morceau poignant sur les violences policières. En 2016 toujours, elle publie « Where Did I Go », une ballade néosoul si impeccable qu’un certain Drake la repère et la place d’emblée sur son projet More Life. Dans la foulée, elle publie Project 11, son premier EP. Dès 2017, les collaborations s’enchaînent : Preditah, Kendrick Lamar, Stormzy ou encore Kali Uchis se l’arrachent. Le 8 juin 2018, Jorja Smith publie son très attendu premier album. Intitulé Lost & Found, le disque achève de mettre le monde aux pieds de la jeune Jorja Smith, qui, au moyen d’une soul mature, d’une voix maîtrisée et de textes sincères, constitue le plus grand espoir de la scène soul britannique.

Interview Jakob Rajky – Photos et Direction Artistique Ana Sting – Style Coline Bach – Maquillage Carol Ann Reid – Cheveux Zateesha Barbour – Set Design Nina George
Assistante Photo Steph Leigh – Assistants Style Daniel Grey & Holly Bartley – Assistante Set Design Scarlett Freeman
Maquillage (danseuses) Abbie Nourse – Figuration Charlotte Samaroo, Demi Mensah & Grace Jabbari
Remerciements à Coordonné pour le papier peint sur mesure
JORJA SMITH MODZIK
(Robe Fendi – Pointes de ballet Repetto – Boucles d’oreilles faites par Ana Sting – Ras du cou National Theatre Costume Hire – Collier chaîne Jolene Smith, mère de Jorja Smith)

Ton premier album, Lost & Found, est paru le 8 juin dernier, quel a été ton sentiment vis-à-vis de sa sortie ?

J’étais avide de savoir ce que les gens en penseraient. Je déteste être déçue, j’étais donc anxieuse. Mais je dois dire que les retours que j’ai eus après la sortie du premier single m’ont vraiment soulagée. J’ai été agréablement surprise.

Peux-tu nous raconter la genèse de ce premier single qu’est « Blue Lights » ?

« Le post-colonialisme est-il toujours présent dans la grime music ? » ; tout est parti de cette question farfelue que j’ai formulée lors d’un devoir en cours. Aujourd’hui encore, j’ignore pourquoi cette question s’est imposée si brusquement et précisément à moi. Toujours est-il que j’ai longuement cogité sur ce thème, jusqu’à la démence. Puis en écoutant un beat créé par Joice et Engine Earz autour d’un très joli sample d’obscurs producteurs français (Guy Bonnet & Roland Romanelli – « Amour, émoi… et vous », ndlr), j’ai pondu le texte de ce qui a vite donné le morceau « Blue Lights », que tout le monde connaît désormais.

Restons sur le thème des producteurs, peux-tu nous parler de ton « producteur attitré », Charlie J. Perry, en quelques mots ?

Charlie est sans conteste le meilleur producteur avec qui j’ai eu la chance de travailler. Avez-vous entendu parler d’un énorme groupe de K-Pop nommé BTS ? Il vient de produire un morceau pour eux, « Singularity », il me semble. Ce mec vient d’une autre planète, je peux parler des heures avec lui sans interruption. Je le connais depuis mes 16 ans, il m’a notamment aidée à produire le morceau « Teenage Fantasy », ainsi qu’une bonne partie de l’album.

JORJA SMITH MODZIK
(Robe Fendi – Boucles d’oreilles faites par Ana Sting – Ras du cou National Theatre Costume Hire – Collier chaîne Jolene Smith, mère de Jorja Smith)

Pourquoi est-ce si important pour toi d’apparaître au casting de tes clips et de t’y mettre en scène de la sorte, comme dans celui de « Teenage Fantasy » par exemple ?

Je ne dirais pas que j’ai besoin de jouer dans mes clips, mais j’adore ça ! La plupart des clips sortis jusqu’à maintenant provient de mes idées. Travailler avec un réalisateur, c’est comme écrire avec quelqu’un d’autre, tu peux te laisser aller à des idées que tu n’aurais pas eues par toi-même. C’est vraiment très excitant. J’ai commencé avec « Where Did I Go », dans lequel je me filme en train de chanter. À terme, j’aimerais beaucoup réaliser mes propres clips. Donnez-moi encore un peu de temps…

Vous avez filmé le clip de « Teenage Fantasy » à Paris ; était-ce un choix délibéré ?

Oui, grâce à mon amie Ambre Hazlewood, qui est originaire de Paris. J’ai écrit ce titre quand j’avais 17 ans, on prenait le train de Walsall jusqu’à Londres. Walsall est une toute petite ville, personne ne vient de Walsall ! Nous prenions donc le train pour aller dans des soirées londoniennes, des soirées compliquées car nous savions toujours comment rallier Londres, mais jamais comment rentrer. J’ai fait un parallèle entre ces virées nocturnes improvisées, le texte que j’avais déjà pour « Teenage Fantasy » et un court-métrage en noir et blanc de Chantal Akerman intitulé J’ai faim, j’ai froid, dans lequel deux jeunes amies squattent un café parisien et partent sans payer. Tous ces éléments réunis ont façonné notre clip.

Tout le monde te considère comme indépendante, tu sembles être sans label. Mais un nom revient sans cesse : Famm. Qu’est-ce que c’est ?

Famm ! C’est le nom de la structure que j’ai montée avec ma manager, Food and Music Meetings : littéralement nos deux amours !

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(Robe Fendi – Boucles d’oreilles faites par Ana Sting – Ras du cou National Theatre Costume Hire – Collier chaîne Jolene Smith, mère de Jorja Smith)

Tu as également un amour pour les jeunes femmes, que tu décris parfaitement dans « Beautiful Little Fools », sorti le jour de la Journée internationale des femmes. Tu te sens investie d’un devoir envers celles et surtout ceux qui t’écoutent ?

Ce titre et l’idée fixe qui en découle m’ont été soufflés par la lecture de The Great Gatsby de Francis S. Fitzgerald, dans lequel Daisy souhaite pour sa fille à naître « qu’elle soit une idiote, c’est la meilleure chose qu’une fille puisse être dans ce monde, une belle petite idiote », car sa destinée s’en trouvera plus clémente. J’avais besoin d’expliquer qu’il faut s’aimer soi même avant tout, pour ce que l’on est et pas pour ce que l’on nous dit d’être. C’est la raison pour laquelle je joue trois rôles dans le clip : la patronne du speakeasy, la serveuse et la chanteuse. Chacune a ses raisons d’être, ses caractéristiques – et devrait en tirer une fierté.

Penses-tu déjà à faire passer d’autres messages autrement que par ta musique ?

Je reçois beaucoup de messages ces derniers temps. Certains sont des simples « tu es géniale », d’autres sont plutôt des « j’ai rompu avec mon copain et ta musique a été un baume à mon cœur ». J’ai décidé de ne répondre à aucun de ces deux genres de messages, sauf au travers de ma musique. C’est par la musique que j’ai trouvé des réponses, c’est par la musique que j’en donnerai également. Pour répondre à ta question, j’aime assez l’idée qu’il y ait des « Girls Talk », où l’on discute des enjeux féministes. Mais je crois nécessaire d’instaurer aussi des « Boys Talk », car sans une éducation des deux parties comment arriver à des résultats ? Il me semble plus important d’éduquer les garçons que les filles sur ces problématiques.

Tu as récemment été choisie pour faire partie de la campagne trench de Burberry. Qu’en retires-tu ? Cette expérience a-t-elle éveillé en toi une quelconque envie de travailler dans la mode ?

J’ai adoré travailler avec eux. Une collaboration avec Nike me plairait aussi beaucoup. J’aimerais concevoir une collection et sa bande-son : j’ai déjà trois morceaux qui pourraient y figurer. Je voudrais y voir tout le monde, sauf des profils mannequin. C’est étrange, car je viens de Walsall, la ville la moins mode selon moi.

J’ai entendu dire que tu aimerais également développer une gamme de soins pour la peau. Qu’en est-il ?

C’est exact. J’adorerais me lancer. Mais chacun d’entre nous a une peau différente et, de ce fait, ne nécessite pas les mêmes soins. Ce qui fonctionne pour moi ne fonctionnera pas forcément pour toi. Heureusement que je peux compter sur ma mère, qui a une peau radieuse grâce à ses secrets.

JORJA SMITH MODZIK
(Jorja Smith/ Robe, bottes et boucles d’oreilles Fendi – Gants vintage – Charlotte/ Robe vintage Beyond Retro – Demi/ Robe vintage du National Theatre Costume Hire)

Il parait que tu es gémeaux, comme Kendrick Lamar, avec qui tu as fait la bande-son de Black Panther, et Kanye West, qui a sorti un album le même jour que toi. Que penses-tu de cet album ?

Je l’ai survolé dans l’avion. Je me suis endormie et puisqu’il est très court, j’ai dû entendre quatre ou cinq fois le même morceau ! Contrairement à mon père qui est fan, je n’aime pas beaucoup Kanye West. J’ai quand même adoré « Yikes » et « I Thought About Killing You ». Sinon, j’écoute énormément J.Cole et Amy Winehouse, elle me fait me sentir mieux ou me sentir triste, parfois les deux à la fois.

Elle te fait ressentir…

C’est exactement ce que j’attends d’elle. Ressentir – que ce soit positif ou négatif -, voilà la meilleure chose à faire. J’espère que c’est aussi ce que fait ma musique.

Exit Amy et Kanye, revenons à Kendrick Lamar. Il a dit à propos de toi : « Jorja est un rappel constant que le vrai talent artistique, l’écriture et la créativité seront toujours vivants. Elle est le futur et le présent ». Qu’est-ce que ça t’inspire, venant d’un prix Pullitzer ?

(choquée) Quand a t-il dit ça ?! C’est vraiment très touchant. Lorsque l’on s’est rencontrés, on a matché instantanément. Je me sens vraiment bien désormais !

Jorja Smith
Lost & Found
(Famm Limited / Because Music)

Retrouvez l’intégralité du shooting et cette interview dans le numéro 57 de Modzik, disponible sur le e-shop.