NAAR, créé par Mohamed Sqalli et Ilyes Griyeb, est destiné à promouvoir internationalement les projets d’artistes sous-représentés. Ce mercredi 25 avril, ils proposent un concert de trap marocaine avec les présences exceptionnelles en France de Shayfeen, Toto et Madd – véritables phénomènes aux millions de vues outre-Méditerranée.

Fondé il y a quelques mois, le collectif indépendant NAAR a pour ambition d’abolir les frontières culturelles en offrant une plateforme (mondiale) aux artistes qui n’en ont pas. Un vrai manifeste pour le post-culturalisme, emmené par le directeur artistique Mohamed Sqalli et le photographe Ilyes Griyeb. Mais c’est aussi un site, géré par Natacha Lecsei, regroupant des interviews d’artistes. Le premier projet du collectif a vu le jour en février. Il s’agit du clip « Money Call » réalisé par Ilyes Griyeb, à Meknès au Maroc. Il rassemble les rappeurs marocains Shobee et Madd aux côtés du Français Laylow. Le titre apparaîtra sur une compilation issue d’une résidence effectuée au Maroc et qui regroupe Jok’Air, Sneazzy, Laylow, Maruego (IT), TripleGo, The Shoes ou encore Nusky. Modzik a rencontré Shobee et Toto en marge de leur concert événement à la Bellevilloise.

Salut les gars, tout d’abord, dites nous dans les grandes lignes qui vous êtes et ce que vous faites.

Shobee : Salut Modzik ! J’ai 27 ans, et ai créé Shayfeen il y a 13 ans quand j’ai arrêté mes études au niveau bac. Pour la simple raison que l’on commençait à avoir des opportunités, notamment de concerts, qui nous a poussé à voyager. C’est tout ce dont on rêvait de toute façon, c’était notre vision. Je pense que c’est la même chose pour Toto avec qui on a beaucoup de similitudes.
Toto : Mêmes ambitions, mêmes principes exactement. Et j’ai aussi arrêté ma scolarité, pour la musique, au niveau bac.
Shobee : Si on le dit de cette manière, c’est parce qu’au Maroc, c’est très délicat d’arrêter l’école. C’est comme risquer sa vie en quelque sorte. C’est presque un pêché.

Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre ce risque ?

Shobee : Personnellement, je suis tombé amoureux de la musique tout petit grâce à mon père qui était très éclectique dans ses goûts musicaux. De la musique très harmonieuse notamment, comme le rock. Ça m’a poussé à très vite en produire moi-même, avec Small X (l’autre moitié de Shayfeen) que j’ai rencontré très tôt. C’était difficile car on vient d’une ville côtière très modeste, Safi. On a beaucoup travaillé sur l’entraide depuis qu’on a crée le groupe en 2006…
Toto : Il n’y a pas d’industrie musicale au Maroc. Pas de label, pas de maison de disques. Mais en travaillant ensemble, avec nos groupes respectifs, on a su créer une dynamique.
Shobee : On voulait vraiment montrer à la jeunesse marocaine qu’on pouvait le faire, afin qu’eux aussi se disent qu’il y a d’autres chemins que celui des études, du crédit et de la petite vie rangée habituelle. J’ai grandi sans parents, éloigné de mon frère jusqu’à notre adolescence. Et on s’est retrouvés avec la même envie de dévorer le monde, par la musique.

Vous avez la responsabilité, autant que l’honneur de changer les choses, vous qui avez constaté cet absence de management musical au Maroc.

Toto : On est dans un processus très simple : croire en quelque chose donc le faire à fond. On est pas sûrs qu’un jour une industrie musicale marocaine verra le jour. Pour l’instant on fait des concerts, on vient à Paris se faire interviewer. C’est un privilège. On espère que ça va durer.
Shobee : L’avantage c’est qu’il y a une belle histoire derrière. Je pense aux Etats-Unis où le mouvement est essoré. Ils ont déjà tout consommé, et c’est dur pour eux d’inventer de nouvelles choses. On écrit et on fait du son depuis plus de 10 ans, mais ça ne fait que quelques années qu’on publie notre musique, tout reste à faire et on veut le faire bien. On est encore des rappeurs de chambre si j’ose dire.

Et il semblerait que vous ayez une toute autre approche du rap que la génération précédente, je pense notamment à Don Bigg.

Shobee : On a une liberté de parole qu’ils n’avaient pas, et qui s’explique aisément : ils cherchaient à être diffusés en radio, malgré qu’ils parlaient de l’état, des problèmes sociétaux. Ils pensaient d’ailleurs être en mode révolte, mais on est encore plus révoltés qu’eux.
Toto : C’était du rap beaucoup trop conscient. La jeunesse marocaine a vraiment envie d’entendre autre chose que ses problèmes. Et puis être anti-système au Maroc, c’est se tirer 6 balles dans le pied.

Justement, est-ce que vous prenez des risques – je pense à vos sujets de prédilection fêtes, drogues et j’en passe, vis-à-vis du pouvoir et du roi dans vos morceaux ?

Shobee : Alors déjà soyons clair, on ne renie pas la royauté. On est pas du tout contre parce qu’on considère que le pays n’a pas besoin d’une démocratie. Ce serait encore plus le bordel que ça ne l’est aujourd’hui. On est des portes-parole de notre génération, pas des justiciers.
Toto : On relate simplement la vie des jeunes marocains. On parle de ce qui se passe en darija, le dialecte qu’on utilise dans la vie de tous les jours. Ça explique notre succès je crois.

On sent que les instrus sont très américanisées, et où les sonorités orientales disparaissent pour plutôt se retrouver dans vos voix.

Shobee : Le problème c’est qu’ils ont essayé de labelliser un “rap traditionnel” au Maroc, dès que t’avais un peu de chant et un instrument oriental ils appelaient ça du rap. Je suis marocain, je rappe en marocain, c’est suffisant pour dire que mon rap est marocain je crois, non ? Le rap c’est américain, ça doit le rester ou au moins être respecté au lieu d’essayer de se le réapproprier à notre sauce.
Toto : Ça me fait penser au jazz éthiopien. Ils auraient pu inventer un nom totalement différent, mais ils l’ont appelé Ethio-jazz, par respect pour l’origine du genre.

On sent vraiment que vous contrôlez ce que vous faites. Vous travaillez votre image de manière très plurielle, avec beaucoup d’univers et de réalisateurs différents pour vos clips, mais le son de manière uniforme, notamment avec un seul producteur et ingénieur du son qui ressort : West.

Shobee : Il nous connaît par cœur, il fait de la trap qui est notre style de prédilection et surtout il rappe super bien. Les gens en doutent encore mais nous on sait déjà qu’il va tout exploser.
Toto : C’est pas son heure mais je suis certain qu’il remballe à lui seul la plupart des rappeurs français. Le problème c’est de rapper en français au Maroc. Pourquoi écouter un rappeur marocain en français alors que je peux écouter un rappeur français directement ?

Parlez nous de NAAR. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?

Shobee : On nous a proposé le projet très naturellement, et on a vraiment été attiré tant par le côté humain qu’artistique sans même avoir une arrière-pensée “business”. C’est la vision qu’on avait, et qu’on préparait, depuis longtemps.
Toto : C’est une porte vers l’Europe, et le monde – et étrangement, grâce à ce rapprochement on a pu se rendre compte de tous les problèmes présents dans ce domaine au Maroc, sans pour autant vouloir le quitter.

Vous parlez d’une porte vers l’Europe : ça a toujours été un leitmotiv dans votre projet ?

Toto : La musique est universelle selon nous. C’était carrément naturel de vouloir s’exporter.
Shobee : Dès 2011, quand je préparais notre première mixtape – c’est à dire avant même de rentrer en studio, je préparais les toplines et j’ai démarché des artistes internationaux, surtout francophones. Tout ce qui nous arrive aujourd’hui, on l’a prévu.
Toto : C’est la suite logique des événements. Et pour que tu comprennes bien que c’est médité, ce n’est pas la première proposition qu’on a eu pour s’exporter, c’est justement la plus intéressante, et la plus transparente surtout.

Vous sortez une belle compilation avec NAAR très bientôt – racontez nous.

Toto : J’ai un morceau avec Amill Leonardo et Maruego, deux rappeurs marocains qui ont grandi en Itlaie, qui rappent en italien. J’avais déjà un morceau avec Amill, Marocchino, sur son album du même nom. C’est là que tu vois qu’on a nous même apporté nos contacts aussi.
Shobee : C’est un beau projet car il regorge d’artistes underground – je pense à Laylow qui grâce à “Money Call” commence à se faire un petit nom au Maroc. On nous demande même si il fait partie de Shayfeen ! Comme s’ils l’avaient accepté.
Toto : T’as même des antillais qui snappent sur nos sons, en train de kiffer et de commenter en créole. Ça fait chaud au cœur !

On y croise aussi les gars de Triplego, Jok’Air, Sneazzy, Nusky et… The Shoes. J’étais super étonné de les voir au casting.

Toto : C’est moi qui devait travailler avec The Shoes. On a commencé ensemble, et je ne sais pas trop pourquoi mais ça a pas trop matché entre nous. J’ai eu du mal, c’est rare, à rentrer dans leur délire.
Shobee : C’est donc Small X et Xcept qui ont bossé avec eux. Et je me suis retrouvé avec MADD et Laylow – on trouvait ça intéressant de splitter nos groupes de base pour découvrir d’autres manières de travailler.

Vous avez un dernier mot – un truc que vous avez jamais pu dire dans un média notamment ?

Toto : Une chose pour ma part. Venez au Maroc.
Shobee : Même pas la peine ! Juste, gardez l’œil sur nous, parce que c’est maintenant que ça se passe. Il y a beaucoup de producteurs marocains qui alimentent les Booba, les PNL, les Lacrim. C’est pour ça qu’on veut exploser, venir ici et remettre le Maroc sur la carte pour éviter que tout ça reste tamisé avec seulement quelques producteurs qui travaillent dans l’ombre.

Et puis il y a une énorme audience marocaine en France, c’est loin d’être peine perdue.

Shobee : C’est bien qu’on termine l’interview par ça… so you get the big pitcure. On est arrivés à Paris avant-hier, on est passé en studio – vers 15h on écrivait, à 17h on enregistrait, à 22h on avait terminé un morceau : Tcha Ra. On a tous balancé un snap : “A tous les marocains qui nous suivent, qui sont à Paris, en Île-de-France. Rendez-vous au Trocadéro à minuit.”
Toto : A l’heure dite ils étaient une grosse soixantaine, dommage de pas avoir lancé notre appel un peu plus tôt, ça aurait été exponentiel.
Shobee : En tout cas, le clip sort aujourd’hui. Tu vois ?

NAAR, épaulé par Öctöpus, présente en exclusivité française ce 25 avril à la Bellevilloise le concert de Shayfeen, Toto et MaddRetrouvez toutes les informations sur l’événement Facebook.