Artiste inclassable, projeté sur le devant de la scène après des passages remarqués au Printemps de Bourges ou aux Inrocks Lab, ainsi que la publication de son premier EP, Eddy de Pretto s’impose comme le renouveau de la chanson française. Nous l’avions rencontré pour cette interview, extraite du numéro 54 de Modzik, toujours disponible sur l’e-shop.
Retrouvez notre chronique de Cure, son premier album, dans le numéro 55, en kiosque et sur notre e-shop dès demain.

Interview – Jakob Rajky

Bonjour Eddy! Tout d’abord, explique nous comment en étudiant le théâtre et la comédie tu as fini par publier Kid, ton premier EP.

J’ai toujours eu envie de faire de la scène, que ce soit via le théâtre ou la musique. Je montais déjà sur scène à la MJC de mon quartier, c’était quelque chose qui m’emplissait tellement que je voulais y retourner au plus vite dès que je la quittais. En grandissant je me suis rendu compte qu’il n’y avait qu’elle qui me permettait de ressentir ça. J’ai décidé d’en faire ma vie. Je suis entré en formation de chant, de danse et de théâtre. J’ai travaillé dur sur la musique, mais aussi sur le théâtre. C’est par la musique que j’ai accéder à la scène, mais j’aurais été tout aussi heureux si ça avait été par le théâtre.

Je sais que tu as tout de même jouer dans des films. Deux d’après mes sources.

Je ne sais pas comment tu l’as appris, mais j’ai effectivement joué dans plusieurs films, dont un où le rôle était un peu plus conséquent.

Eddy de Pretto Modzik
(Chemise Ami)

(Eddy de Pretto à aussi joué dans une publicité pour Canal Sat, on s’est dit qu’il fallait rendre à César ce qui appartient à César, ndlr)

Les médias ne tarissent pas d’éloges sur tes textes. Tu peux nous expliquer le processus d’écriture ?

L’écriture est survenue tardivement dans la confection de mon EP. J’avais d’abord envie de bouger, de chanter et de m’exprimer. Si je voulais vraiment créer ce projet Eddy de Pretto, il me fallait être producteur de chaque phase, c’est donc devenu une fatalité et j’ai dû me faire violence sur l’écriture. C’est quelque chose qui m’apparaît encore difficile.

Tu cherches à progresser dans ce domaine ?

Oui, je pratique beaucoup l’écriture automatique. Je couche idéalement toutes mes idées sur le papier. Mais c’est encore délicat pour moi de me considérer auteur.

Tu penses donc que les médias confondent écriture et interprétation ?

C’est assez fou que les médias m’encensent pour l’écriture alors qu’elle me semble encore être une corvée. Je me rends compte qu’on peut écrire n’importe quoi, tant que l’interprétation qu’on en fait est à même de le sublimer. Je pense à Brel, qui faisait vivre des textes qui n’avait pourtant pas forcément la même force sur le papier. C’est tout mon intérêt pour l’exercice.

Ton premier album, Cure, est prévu pour début 2018, et sera constitué de maquettes que tu possédais déjà avant la sortie de ton EP. Tu en as combien, et pourquoi avoir choisi ces 4 là pour l’EP ?

J’espère que l’album sortira comme prévu en mars 2018 ! J’ai une trentaine de maquettes, et j’ai choisi ces quatre morceaux pour leurs thèmes respectifs que je trouvais forts. Je peux d’ores et déjà te dire que l’album abordera ces thèmes entre autres, mais de manière plus approfondie. La fête, mes racines, mes déboires ou la surconnexion.

Eddy de Pretto Modzik
(Chemise, pantalon et ceinture Ami)

Tu déclares ta flamme à la banlieue. Pourquoi, toi qui rêvait de vivre à Paris depuis si longtemps, en est reparti aussi vite ?

Je cherchais un appartement, j’en ai visité énormément, on sait tous que c’est très difficile. Il se trouve que j’ai trouvé une maison avec jardin en banlieue. J’ai préféré ça plutôt que de continuer à galérer intra-muros. Je ne serais jamais parisien de toute façon. C’est toujours ce sentiment d’être «à côté de» que tu ressens quand tu vis en banlieue.

Tu t’adresses vraiment à ta génération, c’est certainement pour ça que l’EP est si fort et… (une femme s’adresse à Eddy : «Excusez moi, je sais que c’est gênant mais je voulais vous féliciter pour votre travail», ndlr).

Ce genre de choses t’arrivent souvent je suppose ?

Oui, tous les jours maintenant. Cette fois c’était fait de manière assez adroite mais d’autres fois c’est très lourd, on me suit souvent dans la rue. C’est assez flippant.

La question s’est posée de garder ton anonymat d’une quelconque manière ?

Je ne me voyais pas publier ma musique sous mon vrai nom, Eddy de Pretto, tout en me dissimulant. Il y a dans ce projet quelque chose de très incarné, ça me semblait naturel d’apparaître comme je suis. J’aime cette idée de «figures : Brel, Barbara, Depardieu… Chacun à leurs manières avaient une «gueule». J’aime ces humains qui vont de pair avec leur œuvre.

Beaucoup de choses émanaient de leurs visages, tu leur ressembles sur ce point. Tu as déjà rempli une Cigale sur les trois prévues en mars. Tu t’y attendais ?

Je savais que le projet ferait du bruit, mais pas à ce point, c’est certain. Tout ça est très rapide quand on sait que ça ne fait qu’un an que je me suis lancé dans ce projet.

Eddy de Pretto Modzik
(Chemise, pantalon, ceinture et baskets Ami)

La thématique de ce numéro, c’est la masculinité. Qu’est ce que tu peux nous en dire ?

J’essaie de ne pas trop la définir, pendant longtemps on m’a demandé de ne jurer que par certains codes. Je ne comprenais pas toujours pourquoi. Il est vrai qu’aujourd’hui, avec le recul que j’ai, je peux mettre des mots dessus, je me sentais à part. Je me contentais de montrer ce qu’on me demandait de montrer, sans me poser trop de questions car on me parlait de norme. Que ce soit en bas de chez moi avec les gars qui traînaient, ou avec mon père et mon demi-frère, je me retrouvais sans cesse avec des figures masculines gorgées de virilité. Pourquoi devais-je marcher comme eux, ne pas croiser les jambes et ne pas jouer à la poupée ?

Tu considères que c’est plutôt toi ou les autres qui t’ont mis en marge ?

C’est justement ça la tragédie : je ne me suis jamais trouvé en marge, là était tout le poids du fardeau. Je n’avais pas encore mes capacités d’analyse à l’époque mais pour te répondre aujourd’hui : la masculinité, ce n’est qu’une flopée de codes et d’injonctions, ce n’est que le fait de catégoriser des actes. Ça empêche l’ouverture et l’épanouissement d’êtres qui ne demande qu’à être.

Plus je creuse ce thème et plus la masculinité m’apparaît n’être qu’un vestige du passé.

Ce serait correct si on ne parlait que de Paris ou de toute autre mégalopole. Mais je pense que dans d’autres cadres, cette «frontière» est toujours très ancrée dans les moeurs.

On ne peut s’empêcher de penser à Eddy Bellegueule, le livre de Edouard Louis, qui rejoint d’ailleurs fortement le propos de «Kid», le morceau titre de l’EP.

Durant la lecture, on sent bien son point de vue de jeune homme frêle tiraillé entre exister et se conformer. J’ai cette scène en tête où Eddy découvre sa sexualité avec son cousin. Un cousin très homophobe forcément, comme tous les autres habitants du coin, qui ne pense par cet acte qu’à l’humilier sans même penser à la signification de l’acte en lui même. Notre différence réside dans le fait que Edouard Louis (qui a changé de nom, ndlr) semble vouloir faire table rase du passé et ne se préoccupe que de son ascension sociale.

Sa famille l’a accusé de mentir sur toute la ligne, en publiant des photos radieuses d’un passé qui semble loin de ce que dépeint l’auteur.

Je mettrais plutôt tout ça sur le compte de la romance. On me demande souvent pourquoi je parle d’anéantir mon père à la fin de Kid. N’importe qui pourrait te parler de la haine ressentie un jour à l’égard de ses parents.

Autre figure, que tu qualifies d’influence, qui a battu “à mort” sa compagne, qui plus est, enceinte. Je parle évidemment de XXXTentacion, qui dément les faits. Une autre facette de la masculinité selon toi ?

C’est l’éternelle question. Faut-il encore regarder les films de Roman Polanski ou pas ? Ou inviter Nabilla sur des plateaux télé ? C’est très délicat, on ne peut pas toujours s’empêcher d’aimer l’artistique derrière les actes, et ce genre de choses leur profite souvent.

Une chose qui te profitera sûrement c’est ton voyage en Allemagne pour aller enregistrer une session pour A COLORS SHOW. Quel morceau vas-tu jouer ?

Un morceau de l’album ! Je suis très content qu’ils m’aient appelé même si je ne comprends pas trop – je ne considère pas être dans leur ligne éditoriale. Ça prouve qu’ils ouvrent leur champ, c’est bien.

Eddy de Pretto
Cure
(Universal Music)