Quand on se penche sur le manifeste qui accompagne Hunter, troisième album studio d’Anna Calvi, rédigé de la main de cette dernière, on est d’emblée frappés par la justesse et la ferveur du propos. L’artiste anglaise de 37 ans y dévoile son dessein – propice au débat – et dessine les contours d’un combat qu’elle entreprend, seule, au moyen d’un exercice qu’elle maîtrise et pour lequel on la loue depuis 2011 : écrire des chansons fortes.

Dix morceaux composent ce Hunter – album court mais dans les standards d’Anna Calvi. Dès les premières notes, l’évidence est de mise : recouvrée l’inspiration, retrouvée la passion, revigorée la plume de la chanteuse londonienne (« Hunter » et « Indies or Paradise ») qui, il y a quatre ans, nous avait laissés orphelins du grandiose avec la sortie de One Breath, son deuxième album, si insipide qu’il ne put récolter lauriers semblables à ceux décernés à son album éponyme, consensus médiatique lorsque le monde découvrait en 2011 sa voix de rhombe. Ce qui manquait cruellement à son précédent opus, c’était une thématique, un point d’ancrage où le vécu de l’artiste et de l’auditeur peuvent s’imbriquer, se compléter et, de là, faire subsumer l’émotion que tout un chacun recherche et espère dans la musique d’auteur.

Anna Calvi Modzik

Pour Hunter, Anna Calvi a donc choisi un sujet – passionnant de surcroît – afin de démontrer toute l’étendue de son talent. Lorsqu’elle décide courageusement de partir en croisade contre l’un des maux de notre siècle, la question du genre et de l’identité sexuelle, Anna Calvi sait que le combat arrive à point nommé. Du propre aveu de l’artiste : « Nous vivons des temps intéressants pour la cause LGBT+. Il y a davantage de place pour les voix qui cherchent à être entendues. Beaucoup d’avancées légales et sociales sont à mettre en évidence, au crédit de gouvernements et d’associations. À l’inverse, et sans surprise, il y a évidemment autant de place pour l’opposition et le discours qu’elle véhicule, qui tendent à s’affermir, voire se radicaliser. »

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Anna Calvi s’est toujours trouvée confrontée aux questions de genre (« Chain » et « Alpha »), espérant jouir à l’adolescence des conseils d’un modèle qui, faute d’exposition, aura tardé à apparaître et à la rassurer : « Aujourd’hui, des icônes de l’acceptation de soi guident des millions de jeunes en plein questionnement sur leur identité. Avec ce disque, j’aimerais être pour quelqu’un ce modèle que personne n’a été pour moi. » Il est important de rappeler que jusqu’en 1990, l’homosexualité, véritable tabou, est placée sur la liste des maladies mentales de l’OMS et qu’il faut attendre 2011 pour voir le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU adopter une résolution sur les droits des personnes LGBT+.

« Je pense que la sexualité est un spectre, une chimère, comme l’est le genre, et a peu à voir avec l’anatomie. Je crois que si nous nous autorisions à être quelque part au milieu – et non poussés aux extrêmes normatifs de la masculinité et de la féminité – alors nous serions plus proches d’être libérés du patriarcat. L’intention de ce disque est d’être primal et beau, féminin et masculin, vulnérable et fort. Être à la fois le chasseur et le chassé ».

En 2018, 74 états pénalisent les personnes LGBT+ par de la prison, de la torture ou des travaux forcés. Dans treize de ces pays, l’homosexualité est passible de la peine de mort.

Anna Calvi
Hunter
(Domino Recordings) sortie le 31 août