Sur le point de publier son nouveau projet Digitalova, Laylow s’entretenait avec Modzik il y a peu en marge du numéro 51, FUTUR. L’EP sort aujourd’hui, mercredi 5 juillet. L’occasion de se replonger dans les propos du MC français qui, corps et âme, défend l’ère du digital dans le rap game.

Modzik : Avant de nous parler de ta musique, dis nous quels ont été tes premiers émois dans le rap français ?

Laylow : Mes premiers émois ont été américains en fait : Ja Rule, Jennifer Lopez, les G-Unit. Dans un de mes morceaux je dis “Je suis déjà vintage comme G-Unit”. Les grosses voitures, les gros bijoux, c’est ça qui dans le rap m’a émoustillé quand j’étais plus jeune ! J’ai été impressionné par le côté bling-bling en fait. Le rap français c’est venu après, quand tout le monde en parlait à l’école. J’ai commencé par l’album Ouest Side de Booba, et puis Rohff aussi. Je vais seulement sur mes 24 ans, donc je n’ai pas connu les grands débuts de IAM, NTM etc, je suis arrivé dans un rap français qui était déjà dirty, très influencé par le rap US.

Qu’est-ce qui t’a accroché dans ce son là ?

Je trouve que la musique ne s’est jamais aussi bien portée qu’en ce moment. Elle est diversifiée et très complète. Mais à l’époque c’était des artistes phares et leurs périodes. Rohff nous a tous butés avec ses titres “En Mode” ou “Ça fait Zizir” ! C’était comme un virus, tout le monde rappait dans les couloirs, dans la cour de récré. Il avait fait quelque chose de grand. C’est ce côté gimmick qui m’a plu.

Et à quel moment tu t’es dit : “A mon tour !” ?

C’est mon grand frère qui m’a donné le déclic. Il faisait du son avec son crew de rappeurs, et quand il rentrait le soir il me faisait écouter des maquettes. Et le seul truc que je me disais c’était “Putain de merde, ils ont leurs voix dans la chaîne hi-fi !” avec toute la candeur que mon âge pouvait me donner. Tu réalises pas à cet âge là tout le set-up studio, la carte son, les micros, la table de mixage. Tu te dis juste : “Un gars juste à côté de moi me fait écouter SA musique dans une grosse boombox !” Ça fait rêver direct.

Comment perçois-tu cette évolution du rap français ? De l’influence du rap US jusqu’à l’émancipation en tant que genre à part entière ?

Je peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec l’évolution de la société. Les avancées raciales, de genre, de castes. Des points viennent décomplexer les choses en tous domaines. Je veux dire, les rappeurs US nous disaient de faire comme ci, comme ça, puis un gars a dit on peut faire comme ça aussi. Je pense aux mecs comme Lil Wayne ou Lil Jon, des gars qui ont osé gueuler dans le micro, sortir de ces morceaux où un sample faisait le travail. Ils se sont ramenés avec des mélodies entêtantes et des instrus bien sales aussi. Et de ce fait là, et depuis, la musique et le rap ont avancé dans tous les sens, venant de tous bords, de tous âges. C’est encourageant pour la suite.

Tu évoquais l’école tout à l’heure. Ça s’est passé comment ta scolarité ?

J’étais un élève intelligent mais dissipé. J’avais des bonnes notes, et malgré ça j’ai été exclu de plusieurs établissements pour des pétages de plombs. J’aimais pas trop les maths, mais j’adorais le français, va savoir pourquoi… Je préférais les matières plus nébuleuses, moins manichéennes. Et puis j’aimais beaucoup la dualité de ma vie à l’époque justement. Je parlais avec des types dans le quartier, le genre de conversations que t’imagines. Et une heure après j’étais plongé dans un livre. C’est enrichissant et tout en finesse. Encore aujourd’hui j’essaie d’être subtil dans mes textes. Les gens croient que je parle que de drogues, de soirées mais en fait je parle de et à ma génération. Je fais attention à ma syntaxe et mon vocabulaire, sans tomber dans les textes à l’ancienne avec un ton moralisateur. Je supporte vraiment pas ça, cette manière de donner des leçons. J’essaie seulement d’être lucide, je cherche pas à faire des textes larmoyants, je veux pas faire pleurer les gens. Même si une petite larme de temps en temps, pour donner le change, ça peut pas faire de mal.

Tu penses quoi de la scène rap actuelle ?

C’est pas mal ! J’espère répondre à ta question, mais si je fais du rap, c’est pour faire ce que moi j’aimerais y voir. Je dis pas que je voudrais que tous les rappeurs doivent faire comme moi. Ce que je veux dire c’est qu’il y a encore deux ou trois choses à changer, comme tout le temps, mais qu’on prend un bon chemin là. Grâce au streaming, à Youtube, les types osent, tu peux faire du son facilement, c’est cool. J’écoute les autres MCs, ils ont capté des trucs. Je suis content de la tournure que prennent les choses. On a plus rien à envier aux States désormais, je dirais qu’on est au dessus même ! Le rap US part en couille un peu, avec tous les moyens qu’ils ont, ils pourraient mieux faire.

On ne peut plus échapper à l’auto-tune qui est vraiment devenu un ingrédient primordial de la réussite dans le rap. Tu l’utilises, je trouve, à bon escient.

On ne peut plus y couper mec ! C’est digital, c’est le futur, c’est la machine. Il faut qu’on entre en symbiose avec elle, on est en pleine période de mutation. Avant, quand t’allais au studio, il y avait un type, l’ingénieur son, qui connaissait les outils sur le bout des doigts, et tu devais forcément t’en remettre à lui. T’enregistrais tes pistes vocales et il faisait tout le travail derrière. Mais ça t’empêchait de comprendre l’essence de ta musique et de ne pas pouvoir avoir la mainmise dessus. Aujourd’hui tu fais un album dans ta chambre avec ton ordinateur ! Il faut qu’on devienne maître de notre musique. Et l’auto-tune permet d’effacer ces lacunes techniques auxquelles un petit rappeur de chambre peut être confronté. Ça apporte une mélodie et une justesse. Faut pas oublier que tout le monde a craché sur T-Pain quand il nous l’a sorti il y a 10 ans. Il était visionnaire.

C’est encore difficile de trouver le bon rendu sur scène quand un morceau est trop auto-tuné ?

Il ne faut pas se leurrer. C’est fini l’époque ou l’artiste te reproduit à peu de choses prés ses morceaux studio. La question quand tu vas voir un rappeur en concert de nos jours c’est : “Est-ce qu’il a mis le feu ? Est-ce que je ressors du concert avec de la sueur sous les bras, du feu dans la tête et des étoiles dans les yeux ?” Faut tout donner, c’est devenu un show à part entière maintenant.

C’est aussi devenu le genre musical préféré des français, au risque d’en perdre de sa subversion. Nekfeu ou Georgio sont invités dans On n’est pas Couché sur France 2. Les rappeurs squattent les têtes d’affiche de festivals, remplissent des Zenith, des Olympia. T’en penses quoi ?

C’est la meilleure chose qui pouvait arriver au rap. Qu’un jeune rappeur parisien puisse parler de sa musique en prime time sur France 2 et toucher des retraités du Vercors ou un gamin de Savoie, je trouve ça primordial. Quant à la subversion du genre, je dirais que le rap et le hip-hop viennent des musiques black. Le hip-hop a été inventé dans un Bronx gangréné par les guerres de gang et la corruption. Un Bronx en feu. Mais la musique black c’est aussi la fête. On a besoin de fêter la vie en ce moment. Je pense que le genre a assez été subversif, qu’il y en aura toujours pour le rester mais qu’il est temps de passer à autre chose ! 20 ans de contestation ça suffit.