Tout juste débarqué de l’avion qui l’a arraché d’un concert sans doute, dantesque, c’est Roman Rappak le leader et chanteur du jeune groupe Breton qui nous fait l’honneur de répondre a quelques questions (dans un français quasi parfait), sur le nouvel album très attendu, du plus français des groupes outre-manche. Rencontre.

Cet album est clairement plus pop que votre premier opus. Comment s’est amorcée cette nouvelle direction ? Estce-une volonté de rendre votre musique plus accessible ?
Au début, comme on était tout seul, on pouvait faire plein de fautes sans que cela ne dérange personne. Il y avait plus de chaos et ce qui est cool, c’est que tu es libre, sans forcément avoir beaucoup de contrôle. Je trouve que sur cet album il y a des moments pop certes mais il y a aussi des moments très “Breton”. Tu fais parti des premières personnes qui ont pu écouter l’album alors je sais pas, on verra ce qu’en pensent les gens. Il y a des moments sur le premier album qu’on a sorti qui sont un peu “bizarres“, pas très accessibles, contrairement à celui-là où il y a plus de pop, plus de mélodies, des trucs qui t’attirent plus facilement. On a juste essayé de faire avec d’autres outils, de trouver une autre façon d’écrire. 

Vous saviez dès le départ quelle direction prendre ?
Non, pas vraiment. Cela évolue tout seul. En écrivant les chansons, j’ai essayé de toucher à tous ce que j’aime, de faire un peu comme ces chansons dont on entend l’air une fois et qui te restent dans la tête. Il y avait beaucoup d’idées sur le premier album, mais pas assez de trucs accrocheurs. Sans que ce soit un défaut, c’est juste que ces moments m’ont manqués. J’aime écouter des trucs comme Beyoncé parfois et au final, tu te demandes à quoi ça servirait un album que toi seul pourrait comprendre. Sur le premier, c’est ce qu’on faisait, on écrivait juste pour nous et lorsqu’on a dû sortir ça pour l’exposer à un public d’inconnus on a du réajuster et c’est ce qu’on aime au final. On partage beaucoup plus avec le public désormais.

Quels sont les différences entre un EP et un album ?
C’est une bonne question. On peut se dire à quoi ça sert un album maintenant. C’est un truc qui appartient presque au passé. Ce qu’on voulait faire avec ce nouvel album, ce qui nous plaisait, c’était l’idée de ce vieux format hyper classique mais sans pour autant faire quelque chose de trop compact, que les chansons puissent marcher séparément, les isoler sur des trucs comme Soundcloud et autres sans qu’elles ne soient trop dénaturées.

Comment se passe l’écriture et les arrangements ?
Je commence le travail et après on ajoute tous des trucs, mais la décision finale appartient au groupe et c’est mieux ainsi. Sur le premier album c’était beaucoup moins collaboratif, cette complicité est venue sur la route, en jouant les chansons dans des concerts, elles changent, elles évoluent… Donc enregistrer cette album c’était retranscrire cette évolution. On a loué un énorme studio où on jouait les chansons de minuit jusqu’à neuf heures du matin, pendant un mois jusqu’à un point où l’on s’appropriait vraiment les sons. On voulait retrouver cette forme un peu classique de composition, parce qu’aujourd’hui avec un ordinateur, tu fais des boucles et en trois minutes tu sors un truc sur Ableton. 

Comment passe-t-on d’un remix de Lana Del Rey à quelqu’un comme Tricky ?
C’est l’effet post-iPod Shuffle ! Les rapports que les gens entretiennent avec la musique ont beaucoup évolués depuis l’arrivé des mp3 et autres iTunes. Par le passé, il y avait de vrais communautés du genre “Nous on écoute les Smiths” ou “Nous on écoute le Wu-Tang” un truc super romanesque que tu ne vois aujourd’hui plus que dans les films. Les gens ont besoin de se reconnaître dans un style mais c’est un truc que je perçois assez négativement en fait parce que j’aurai pas pu écouter le Wu Tang Clan et dire “C’est à moi, c’est ce que je suis” parce que la musique appartient à tout le monde. Cependant, je comprends que quand t’es plus jeune, la musique te sert à rentrer dans des cases.

J’ai lu partout que vous vous considériez plus comme un collectif d’artistes multimédia que comme un simple groupe de musique. Qu’est ce que cela implique ?
La liberté ! C’est un peu la même chose que pour la question précédente, y’a tellement de façon de s’exprimer aujourd’hui qu’on ne peut pas se cantonner à un seul média. Il y a pleins d’outils incroyables, pleins de formats pour diffuser des idées. Tu ne peux pas dire la même chose avec un film qu’avec une chanson. C’est comme si l’on parlait différentes langues mais pour au final exprimer la même chose.

Comment s’est passée la collaboration avec Sam Lynham (chanteuse du groupe Gramme) ?
L’un des meilleurs trucs dans le fait de jouer dans un groupe comme le notre c’est que tu rencontres tout le temps des gens, artistes, photographes, journalistes…des gens intéressants, comme Sam Lynham ou John Bloss, des gens pas très “glamour”, des rocks stars anonymes sans argent mais avec des idées hyper précises et c’est comme ça que les connexions se font. Sam, j’aime sa voix. On aurait pu prendre un chanteur de soul classique pour assurer nos arrières mais quand on a enregistré avec elle, on a aimé ce côté poète punk. L’influence qu’elle puise dans la soul est tout en détachement. C’est ce qu’on a trouvé intéressant.

L’esthétique et plus particulièrement la vidéo sont des parts importantes du projet Breton. Comment se met en place le travail et la réflexion autour de ça ?
On a fait deux trois vidéos où l’on se penchait sur des trucs tirés du réel. December par exemple reprend des images de vidéo surveillance. J’aime quand l’histoire se transforme, que quelqu’un la raconte à quelqu’un d’autres jusqu’à avoir une histoire totalement différente. A la fin l’histoire en devient plus intéressante, les images et les idées sont changées et manipulées à l’image de celui qui la raconte.

Tu parles français, le nom Breton vient d’André Breton, vous avez plutôt de bon rapport avec la France non ?
On a eu beaucoup de chance en France. C’est marrant,  y’a deux ans, on jouait aux Transmusicales, et je me rends compte du chemin parcouru. Ca a été une transformation hyper progressive, dans le sens où on était vraiment pas connus du tout et on à reçu un accueil incroyable. Il s’est passé la même chose en Allemagne un an après, alors qu’en Angleterre, c’est totalement différent, les gens ne prennent pas beaucoup de risque avec les groupes, surtout dans notre genre. On n’est pas un groupe de radio alors qu’en Angleterre ça ne marche que quasiment comme ça. En France, il y a une importance plus grande donnée au live. On a pu jouer sur de grandes scènes ce que nous a permis d’exposer notre art dans son élément, ce qu’on fait marche mieux sur de grandes scènes que dans un cadre plus intime. 

Justement en écoutant l’album j’ai tout de suite pensé qu’il était fait pour être joué, taillé pour la scène.
On a tourné pendant un an et l’album a été écrit sur la route donc effectivement taillé pour la scène. Notre relation avec la musique a évoluée au fil des dates. Quand j’ai commencé la musique de mon côté je faisais du hip-hop, un truc d’ordinateur, à base de loops,  de homemade studio et de MP3 où tu peux quasiment tout faire, c’est ce qu’il y a d’intéressant, mais ça reste un peu claustrophobique. La musique en live, sans parler de rock forcément, ça peut être de l’électro ou autre, quand tu joues devant cinq milles personnes ça prend une autre dimension.

Vous avez pas mal tournés ces derniers temps, quelles scènes vous ont marqués ?
Il y’a deux semaines on a joué à Melbourne en Australie et c’était vraiment incroyable. On a fait un concert qui s’appelle Surrounded où on a montré dix films silencieux sur lesquels on faisait la bande originale en live y compris les dialogues. On avait un quartet avec nous, on a joué pendant une heure à dix milles miles de Londres dans une atmosphère totalement différente de celle où on fait danser cinq milles personnes. Leur montrer un film et leur faire ressentir des choses c’est là où c’est intéressant, un truc différent que de simplement appuyer sur play pendant un show millimétré. 

A part le groupe, qui s’occupe de la direction artistique ?
Personne, il faut qu’on soit tous d’accord avant de faire quelque chose mais c’est tout. Il y a beaucoup d’idées, beaucoup de discussions et c’est assez facile de travailler de cette façon.

Comment avez vous trouvé le Funkhaus votre nouveau studio à Berlin ?
Je cherchais une salle où l’on pouvait se cacher, être totalement immergé, pour pouvoir habiter les chansons qu’on allait jouer. Il y a certaines idées que tu ne peux avoir qu’en jouant, après avoir intégré le son à tel point que tu ne l’entend plus. J’ai cherché partout en Europe, un endroit pas cher et on l’on pouvait habiter. On a choisit Berlin non pas parce que c’était Berlin ça aurait pu être n’importe où, j’avais même peur que cela sonne presque comme un cliché. J’avais peur que ça s’entende dans notre musique mais comme on était un endroit pas vraiment dans le centre, un endroit oublié et caché, on a réussit à éviter ça.

Parle moi du rasta blanc et de sa soucoupe volante.
(rires) Le quartier où on était c’était pas du tout un endroit “cool” ni branché et du coup ça attire des gens comme nous. On avait besoin de ce genre d’endroit rempli de freaks qui cherchait la même chose que nous, la tranquillité pour mener à bien leur projet en marge. Ce rasta avait l’air d’un mec qu’on aurait abandonné sur une île. Il avait une vraie soucoupe volante. Il vivait dedans, il est toujours là-bas d’ailleurs et il est hyper sérieux avec ça, on n’a pas le droit de le prendre en photo ni rien parce qu’il pense qu’on veut lui voler les plans !

Quel est votre rapport à la mode ?
On est très intéressé ! On va faire des collaborations avec des créateurs qui sortiront bientôt. Pas seulement pour faire un truc fashion  mais plus dans une optique artistique, on veut pas seulement faire du merchandising. Ce qui nous plaît c’est de casser ces codes et clichés que véhicule un groupe de musique : sortir un album, faire du merch… mais bon au final tu es bien obligé de commencer quelque part alors tu sors un album et les gens veulent acheter des tee-shirts et autres produits dérivés. Au départ, on voulait pas trop rentrer dans ce truc mais les gens le veulent, ils veulent soutenir et faire partie du mouvement alors on a décidé de faire un compromis, de faire quelque chose de plus élaboré que de simple tee-shirt avec le logo du groupe imprimé dessus. Du coup, ce qu’on a fait c’est de faire participer des créateurs venant des quatre coins du globe et de reverser une partie des ventes a des associations. Aussi, on veut faire des tee-shirts uniques qu’on créerait sur scène avec de la peinture qui exploserait, des pièces uniques faites à un moment bien précis, quelque chose qui compte. 

Propos recueillis par Roméo Husquin