par Patrick Thévenin

Plages de sable fin, chants des grillons et bruits des vagues, le balearic, né sur l’île d’Ibiza, est la bande son idéale des amours de vacances. Un genre qui – allelujah – refuse de mourir. N’oubliez pas votre crème solaire.

Il y a trente ans, en plein été 1987, le jeune DJ anglais Paul Oakenfold (qui n’est pas encore la star qu’il est devenu ensuite) invite ses meilleurs amis à Ibiza. L’île n’est pas encore devenue le supermarché du clubbing, c’est une enclave de liberté au milieu de la Méditerranée. Un lieu de villégiature gay, le spot discret des people américains de l’époque qui viennent s’y reposer loin des regards indiscrets. Mais Ibiza est surtout le point de chute des hippies qui y débarquent pour changer totalement de vie et vivre enfin selon leurs idéaux. Parmi ces jeunes chevelus qui rêvent d’un monde meilleur, il y a Alfredo, un journaliste argentin qui parcourt l’Europe du sud au nord pour noyer son ennui et décide de rendre visite à un de ses amis qui habite Ibiza. C’est le déclic, le jeune garçon ne quittera plus l’île alternant les petits jobs avant d’enfin trouver sa voie : il sera DJ à l’Amnesia qui est alors un petit club en plein air où les clubbers dansent au milieu des chèvres. Un club, qui pour se différencier et concurrencer les énormes discothèques comme le Ku ou le Pacha, a l’idée géniale d’ouvrir en plein jour et d’accueillir tous les clubbers qui sortent de boite mais n’ont absolument pas envie d’aller se coucher, inventant de facto le concept d’after.

Mais ce qui fait la différence, ce sont les sets d’Alfredo qui ne ressemblent à rien de connu. Libéré des carcans du dancefloor, il mixe en plein soleil et impose sa philosophie dansante : le balearic. Un grand mix où se mélangent le    « Thrashing Doves » de Jesus On The Payroll avec « Primavera » de Tullio de Piscopo, le « Avalon » de Roxy Music avec le « Din Daa Daa » de George Kranz, le « Why Why Why » des Woodentops avec « On The Beach » de Chris Rea, ou « La vie en rose » de Grace Jones et « When Doves Cry » de Prince. Après avoir passé des nuits blanches à danser, quatre amis anglais rentrent à Londres des étincelles plein les yeux avec une seule idée : retranscrire la magie du lieu en plein cœur de la capitale, en y important l’esprit balearic beat qui posera les bases de l’acid-house anglaise. Le mouvement musical, encore plus puissant que le punk, va secouer l’Angleterre dès 1987 et plonger la perfide Albion dans un deuxième summer of love fait de raves, de pilules d’ecstasy, d’hymnes à danser jusqu’à n’en plus pouvoir et d’un gouvernement Thatcher qui ne sait plus quoi faire pour empêcher les kids de sortir le soir.

C’est cette philosophie de la danse horizontale, des beats caressants et plongés dans la crème solaire, des mélodies dorées au soleil couchant que ne vont cesser de développer des DJs d’Ibiza comme José Padilla du Café Del Mar, Paco du Glories ou Jon Sa Trincha sur la plage, avant-goût de paradis, du même nom. Au cours des années 90 et 00, leurs sets ouverts à tous les styles, dans lequel le jazz le plus pointu flirte avec la pop la plus extrême, les guitares flamenco nous caressent les orteils en éventail, les bruits des cigales et de vagues nous grattent le bas du dos, s’imposent comme le must d’Ibiza, façon carte postale auditive les pieds dans l’eau et coucher de soleil. Mais les plus beaux rêves ont une fin et, dans les années 2000, des petits malins avec des dollars plein les yeux décident de capitaliser sur le genre, le transformant en vulgaire bande son pour lieux chics, avec les compilations Costes ou Buddha-Bar et l’avènement du lounge.

Aujourd’hui, après des années passées à accompagner des bougies parfumées, le balearic porté par une génération de jeunes kids est plus en forme que jamais. On retrouve cette philosophie de la tendresse musicale, de la danse horizontale, de la caresse mélancolique et du ressac rythmique chez Polo & Pan, le duo frenchie qui fait sensation, sur le projet secret où Frank Ocean est repris au piano, dans le coffret magnifique qui compile le best of de la dream-house italienne des 90’s, dans la nu-disco passée au ralenti des Norvégiens Lindstrøm ou Todd Terje, chez le producteur Mark Barrott qui a installé son label International Feel à Ibiza pour être au plus près des racines du genre. Mais aussi dans la pop aérienne de Beach House ou de Tame Impala, chez des DJs comme John Talabot ou Pional dont les sets sentent la brise marine ou chez des labels branchés comme Permanent Vacation et des producteurs stars comme Four Tet. Ce qui d’une certaine manière nous rassure : il existe donc encore, et plus que jamais, des musiciens prêts à composer la bande son qui nous fera danser les pieds dans l’eau sous 40° avec le minimum de textile sur le corps !