À seulement 24 printemps, cette belle plante au charme pétulant et au caractère bien trempé déboule sans crier gare dans le monde de la musique avec un premier album rétro soul aux accents indie pop où elle cumule les casquettes : chanteuse, compositrice, multi instrumentiste et même productrice. Sans oublier un style très affirmé inspiré des sixties et doublé d’un sens aigu de la customisation, entre design vintage et look urbain actuel. Même sa coupe de cheveux fait déjà des émules sur le sol britannique au grand dam des coiffeurs !

Tu sembles arriver de nulle part, mais tu as déjà une solide expérience dans le métier, avec plusieurs années passées à Los Angeles. Tu as même chanté sur un des albums des Pussycat Dolls…

J’ai vécu des moments difficiles au début de ma carrière, avec un contrat d’artiste qui ne m’a menée nulle part, mais ce fut une bénédiction déguisée. cela m’a permis de comprendre que je ne devais pas faire de compromis avec ma musique. cette expérience m’a amenée aussi à me découvrir en tant qu’artiste. J’avais soif de faire beaucoup de choses à mes débuts, j’étais influençable… Maintenant, je sais ce que je veux.

Ce fut un moment dur pour toi ?

Oui, vraiment. J’avais un sentiment d’échec et l’impression d’avoir laissé tomber ceux qui avaient cru en moi. J’ai ensuite hiberné pendant deux ans, je me sentais très déprimée. Maintenant, je me sens comme une survivante, une guerrière… Plus rien ne peut m’atteindre ! enfin, presque.

Ta musique est un mélange unique d’influences très diverses…

En fait je pense que cela s’explique par le fait que mes parents ont migré vers l’angleterre lorsqu’ils étaient adolescents. ils avaient la culture caribéenne dans leur sang, mais ont intégré facilement la mentalité anglo-saxonne : ils écoutaient autant du reggae que du punk ou du rock. Mon père était fan des disques old school des années 50 ou 60… ils m’ont légué tout cela. Quand tu es black et britannique, tu as le goût de styles très différents. Ma musique rend compte de cela.

Tout au long de l’album, on a le sentiment que tu as porté un soin tout particulier à confectionner d’imparables mélodies…

En fait, quand je commence à écrire une chanson, je ne com- mence jamais par le rythme : c’est juste moi et ma guitare… qui n’a qu’une corde ! en retirant les autres cordes, on se retrouve tellement limité que cela force à se concentrer sur les parties les plus importantes : le texte et la mélodie. Peu importe que l’on ajoute des arrangements, la mélodie reste la plus forte et elle est tranchante comme un couteau… si la chanson est bonne sur une corde, alors elle est réussie.

Alors que les mélodies et le ton général de l’album sont positifs et enjoués, les textes sont parfois durs…

Je ne sais pas s’il y a une bonne ou une mauvaise façon de faire des chansons profondes… Mais à cette époque je ne me rendais quasiment pas compte de la tristesse que j’éprouvais. Je pense que je cachais beaucoup mes sentiments. Je continuais de sourire alors que je me sentais mourir à l’intérieur. et je pense que ma musique a eu un rôle thérapeutique. J’ai aussi écrit des chansons aux tona- lités tristes mais, pour ce premier album, j’ai pensé qu’il était plus intéressant d’aborder les choses de manière plus enjouée. J’ai été surprise et flattée de voir les réactions à l’écoute des chansons. le prochain album sera définitivement plus sombre, à l’atmosphère presque gothique. Pour l’instant, je chante «i’m crying blood» («Je pleure du sang») sur une musique légère.

Les chansons de ce disque ont été écrites à Los Angeles ou à Londres ?

À l’époque de mon départ de l.a., je ne pouvais plus écrire quoi que ce soit, j’ai dû attendre mon retour en europe pour cela. J’ai même failli m’installer à Paris et, finalement, je suis revenue à londres. À l.a., rien ne m’inspirait. J’avais oublié combien la culture européenne me manquait : l’architecture ancienne, la profondeur, la sophistication, la mode, la pluralité des ethnies… À mon retour, j’ai écrit mon disque en deux semaines. c’est comme si j’étais assoiffée d’écrire à nouveau.

Étrangement c’est toi qui produis aussi ton album, chose assez rare pour un premier disque…

J’ai été obligée de le faire moi-même car, à ce moment-là, je n’avais pas du tout d’argent. J’avais déjà travaillé avec des pro- ducteurs et appris quelques techniques : je m’en suis servi. Produire, c’est comme faire un gâteau : il faut ajouter des couches de la bonne manière. sans essayer de faire du remplissage, mais en pensant à une certaine simplicité, ce qui est la clef dans la musi- que pop. Maintenant que je suis un peu plus âgée et que j’ai pris de l’assurance, je pense aussi être capable d’écouter les conseils sans en avoir peur. entre l’écriture et la sortie de cet album, je pense avoir acquis une certaine maturité. Je conserve le contrôle sur mon art, mais je reste ouverte aux opinions des autres.

Qui te conseille ?

Cela va de ma famille à mes amis, en passant par ceux avec qui je travaille : mon manager, ma maison de disque, mon tourneur… tous ceux qui m’entourent ne sont pas du genre à dire oui sans réfléchir. ils me disent la vérité sans complaisance, que ce soit concernant un visuel, un problème de voix ou mon attitude. Par chance, je ne vis pas dans une bulle. J’ai vécu cette expérience des paillettes et du show-business à L.A. et je me suis promis de ne jamais devenir comme beaucoup de gens que j’ai rencontrés là-bas… ils ne sont pas heureux. la culture de la célébrité est une illusion et je ne me sens pas plus importante qu’un docteur, un chef ou un professeur juste parce qu’on me voit en couverture des magazines. ce sont des métiers à part entière. si tu vis dans le déni, comment peux-tu apprendre et grandir normalement ? Je crois fermement que l’honnêteté peut te faire devenir une meilleure personne.

Tes chansons parlent d’histoires qui sont arrivées à beau- coup de gens. Tu t’inspires de ton expérience personnelle ?

Si je suis honnête, je pense que mes meilleures chansons sont celles qui proviennent effectivement de mon expérience per- sonnelle, même si j’ai écrit aussi des chansons sur des histoires qui ne me sont pas arrivées. Je peux tout aussi bien parler de peines de cœur, de relations, de sexe que de racisme. Mais je me sens plus vulnérable quand je parle de moi et je pense que cette honnêteté touche au cœur.

Tu es excitée de rencontrer le public en live ?

Pour l’instant, j’ai énormément tourné en Angleterre, notam- ment avec uk headline tour qui était complet, avec The Tings Tings et avec Ladyhawke. J’ai surtout hâte de jouer en France et en europe. Je planche déjà sur l’écriture de mon second album pour avoir plus de morceaux à proposer sur scène. Je déborde d’énergie en ce moment ! J’ai aussi participé à une bande dessinée en cinq épisodes avec David allain, The City Of Abacus qui sort en janvier : il s’agit d’une jeune fille qui va libérer la ville d’abacus. elle sera peut-être adaptée en animation, qui sait ?

Tu as un site de vente en ligne de vêtements vintage customisés, comment est née cette envie ?

Quand j’étais jeune, on m’avait proposé de faire des photos, mais je n’avais jamais pris cela très au sérieux, jusqu’au jour où un jeune designer dénommé ashish me demande de le rencon- trer et là, tout s’est accéléré. Je me souviens encore de l’époque où je lisais le Vogue de ma mère : en 2009, j’ai posé pour ce magazine, c’est vraiment incroyable !

Ton style est marqué par les années 60, comment expliques-tu cela ?

C’est classique et c’est vraiment fun de jouer avec les références du passé. les coupes étaient précises et il y a eu une vraie révolution dans la mode à cette époque. Bien sûr, je mélange aussi avec des éléments plus modernes.

Pourquoi customiser des vêtements vintage ?

Je n’avais pas d’argent : j’étais donc forcée de faire du neuf avec du vieux. il n’était vraiment pas question de m’offrir des vêtements de créateurs modernes, alors j’ai cherché dans le passé, en leur donnant un look plus contemporain. Mon site internet (vv-vintage.com) n’est que la suite logique de cette idée.

Quels sont les designers que tu affectionnes plus particulièrement ?

Les premiers noms qui me viennent en tête sont Balenciaga, Victor & Rolf, ashish et chanel…

Quel est l’artiste qui t’inspire le plus pour son style et/ou son attitude ?

Je dirais Grace Jones ou Dorothy Dandridge : les pieds sur terre mais la tête dans les nuages !

Que penses-tu des liens de plus en plus étroits entre la mode et la musique ?

Nous vivons dans un monde visuel et de plus en plus rapide, il est normal que le look et l’apparence d’un artiste soient le reflet de sa personnalité et de sa musique. Cela va de pair pour moi.

Propos recueillis Par Joss Danjean
Photos : Taki Bibelas
Réalisation : Flora Zoutu

V.V. Brown,
Travelling Like The Light (island/Universal)
www.vvbrown.com
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