Mikael Vilchez est un créateur suisse qui bouscule les codes de la mode en floutant consciemment les limites entre le masculin et féminin. Son jeune label Forbidden Denimeries est une ode à la singularité, à la tolérance et à la pop culture. Pour sa dernière collection masculine, le créateur s’est inspiré de figures féminines fortes afin de créer des silhouettes défiant les archétypes du genre. De J.Lo à Buffy contre les vampires, il n’y a qu’un pieu et ce n’est pas Mikael qui vous dira le contraire. Rencontre.

Forbidden Denimeries

Qui es-tu Mikael ? Peux-tu me parler de ton parcours ?

Mikael Vilchez : Mon parcours est rectiligne : j’ai terminé le lycée à Genève puis j’ai passé le concours de la HEAD où j’ai fait un bachelor en design de mode. Après mon bachelor, je suis parti à Paris pour faire un stage d’un an chez Balenciaga à la femme. En 2015, j’ai commencé un master à la HEAD et élaboré une première collection inspirée de mes origines latino-américaines sur le cliché du « macho latino ». Après mon master, je ne savais pas si je voulais refaire des stages ou repartir à Paris ; une chose était sûre, j’avais envie de créer. Comme je ne voulais pas déprimer et faire des choses que je n’aimais pas, je me suis dit qu’il fallait prendre des risques alors j’ai pris la décision de lancer ma marque nommée Forbidden Denimeries (qui est aussi le nom de ma collection de master à la HEAD).

Quel a été le processus de création de ta collection de master « Forbidden Denimeries » ?

MV : Chaque semaine, je m’inspirais d’une femme à laquelle je m’étais déjà identifié et je créais un nouveau look. C’était une sorte de performance car il y avait beaucoup de travail selon les looks et je me dépassais. Je me mettais en scène via des photographies et des vidéo, qui sont des supports intrinsèquement liés à mon processus de création. Cette approche autobiographique, je l’assume pleinement dans ma manière de communiquer parce que m’inspirer des femmes auxquelles je m’identifie est une démarche très personnelle.

Forbidden Denimeries

Qu’est-ce qui t’intéresse dans le fait d’utiliser des vêtements féminins pour les garçons ?

MV :Quand j’étais petit, je me déguisais en fille, chose que j’ai totalement censurée jusqu’à aujourd’hui car j’ai toujours eu peur d’y prendre goût. J’étais très proche de ma grand-mère et avant de partir en maison de retraite, elle m’a donné des nuisettes très délicates que j’ai gardées chez moi sans vraiment oser les toucher car elles étaient symboliques. Un jour, j’ai essayé l’une d’entre elles et l’expérience a été forte. Ce vêtement féminin renforçait ma virilité et mettait en valeur mon corps d’homme autrement qu’avec un t-shirt, sans me faire ressembler à une femme. J’ai décidé de dédier une collection entière à cette nuisette. S’inspirer de la femme, l’assumer pleinement sans vouloir cacher quoi que ce soit et le reproduire sur de l’homme m’intéresse.

D’où puises-tu ton inspiration ?

MV : Je m’inspire beaucoup des femmes mais en général ce sont les stéréotypes qui m’interpellent. Je choisis un stéréotype que je décline et je le réinterprète à ma sauce. Comment as-tu choisi le nom de ta marque Forbidden Denimeries et pourquoi ? À l’origine, il s’agit du nom de ma collection de master à la HEAD. J’aime bien l’idée d’interdit, celui que je m’imposais inconsciemment par rapport aux notions de genre et de l’appropriation des vêtements féminins. « Forbidden » regroupe donc les notions d’interdit, d’autocensure et le fait d’assumer son identité librement en ignorant totalement les limites du genre. « Denimeries » signifie « jeannerie », c’est un mot qui n’existe qu’en anglais. Cet univers s’est imposé durant la collection car il y avait des pièces qui ressemblaient à des vêtements « cheap ». J’aime le fait de piocher dans un bac à deux balles ta pièce en denim que tu adores alors qu’en même temps tu aimes les pièces de designer. J’ai envie de créer un équilibre avec ma marque, cela ne m’intéresse pas d’habiller une seule classe sociale – que je ne connais pas vraiment – je veux proposer également des pièces accessibles.

Pourquoi n’as-tu pas utilisé ton nom et ton prénom ?

MV : Je n’ai pas forcément envie de lancer ma marque sous mon propre nom car cela a un sens très fort pour moi, peut-être que je me sens trop jeune pour cela. Je pense notamment à des grands noms de la mode qui se sont fait racheter ou retirer leur propre label.

Pourquoi exclusivement le denim ?

MV : Pendant que je travaillais à Paris, j’ai acheté ma toute première veste en denim. J’ai eu l’impression de porter une armure car ce vêtement me donnait confiance en moi et l’impression d’être sexy. C’est incroyable à quel point un vêtement aussi basique peut créer une sensation aussi forte. À partir de ce moment, j’ai été obsédé par le denim. J’aime bien me concentrer sur une seule matière quand j’élabore une collection car ça me donne un cadre technique.

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Les femmes, les séries et les films. Ce sont pratiquement toujours des femmes qui m’inspirent, celles auxquelles je m’identifie.

Forbidden Denimeries

Selon toi, qu’est-ce qu’il manque à la mode masculine, de la grande distribution aux podiums ?

La manière de communiquer sur les collections peut-être. J’adore l’idée du défilé mais si je dois en faire un, il faut qu’il fasse vraiment sens. Il manque également un positionnement ou un engagement politique plus affirmé, qu’il s’agisse d’éthique ou d’écologie. On renie parfois l’aspect socio-culturel de la mode sous prétexte que ce ne sont que des vêtements alors qu’elle pourrait renforcer certains propos engagés.

Qu’est-ce que t’inspire chez les icônes que tu as choisies pour ta dernière collection, dont Buffy, J-Lo, ou Carrie Bradshaw ? Ce qui saute aux yeux est qu’elles sont toutes des femmes puissantes…

Tout à fait, elles sont toutes fortes et très différentes. Au niveau de mes inspirations, j’assume complètement mon côté populaire : des inspirations pop des années 2000 de mon adolescence à des références plus classiques. Une femme qui fait ses preuves aura doublement mon admiration car dans un monde totalement machiste, elle doit lutter pour se faire respecter. Par exemple, je m’inspire de Buffy qui est plus forte que tous les mecs réunis dans la série. Quant à J-Lo, elle me fascine pour son côté « bomba latina » et femme-objet qui a énormément de pouvoir.

Est-ce que cela te fait peur de te lancer dans le grand bain ? Que ressens-tu à cette idée ?

C’est flippant et très excitant ! Quand j’ai peur, je me demande ce que j’aurais pu faire d’autre. Je suis d’un tempérament assez anxieux et j’ai tendance à vouloir anticiper la moindre chose en ce qui concerne le travail.

Que veux-tu apporter à la mode avec tes idées ?

S’inspirer de la femme pour faire de l’homme, ce n’est pas si anodin. Pour moi, cela paraît complètement normal et acquis donc je ne me pose même plus la question. Je me suis rendu compte que derrière mon travail se cache un message qui prône la liberté identitaire, autant pour les hommes que pour les femmes. Je l’exprime avec des vêtements et dans le fait de m’identifier à des femmes en étant un homme. Dans ma mode, il y a l’idée de liberté et de tolérance. Je souhaite inculquer au public l’idée que la tolérance est cool.

Peux-tu me donner ta définition de la virilité ? Modzik avait dédié un numéro entier à cette notion.

Chaque homme peut être viril tant qu’il assume qui il est car le fait d’accepter son identité, ses attirances et ses centres d’intérêt rend sexy et cela même si tu es efféminé ou macho. La virilité passe au-delà des muscles, c’est une question de confiance en soi.

Forbidden Denimeries

Est-ce que tu peux me donner ta définition du mauvais goût ?

Le mauvais goût m’inspire, ce n’est jamais une mauvaise chose pour moi. Une tenue bariolée et « tape à l’œil » peut être considérée comme de mauvais goût mais si elle est cohérente, je trouve ça beau et intéressant.

Qui préfères-tu entre Britney Spears et Christina Aguilera ?

Je n’ai jamais réussi à choisir entre les deux. Elles sont rivales mais ont leurs spécialités. Britney est la reine du marketing et elle assure encore aujourd’hui. Christina a évolué et j’attends avec impatience son vrai comeback.

As-tu une devise ?

Buffy qui conseille Willow : « Vis le moment présent parce que demain tu seras peut-être morte »