Le quatuor londonien, devenu depuis trio, revient trois ans après son premier album et son succès. Jamie, Romy et oliver, toujours sobrement vêtus de noir, ont imposé une signature pop éthérée et atmosphérique, à coups de compositions, reprises et autres remixes. ils relèvent, aujourd’hui, le défi de perdurer, en creu- sant le même sillon musical avec leur second opus Coexist.

Après la sortie de votre premier album, vous avez tourné un peu partout dans le monde, qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

Jamie : Notre plus grande déception avec la tournée, c’était de passer de ville en ville, en ne voyant que les lieux de concert et les hôtels. Il y a tellement d’endroits que nous n’avions jamais visités et que nous aurions voulus découvrir. C’est d’ailleurs l’une des raisons, pour laquelle nous aimons revenir à Paris : nous connaissons un peu la ville, et nous pouvons nous permettre de flâner dans les rues sans souci. Tourner n’a pas été très inspirant pour l’écriture de cet album, sinon nous aurions un disque sur la vie dans un tour bus : ce qui n’aurait pas été très passionnant ! [Rires] En fait, l’écriture de cet album a été beaucoup concentrée sur cette dernière année, où l’on était plus à la maison, sur notre vie personnelle. Nous avons eu besoin de vivre notre propre vie hors du groupe pour avoir de la matière, des émotions à communiquer…

On dit souvent que réaliser un premier album prend une vie, alors que produire le second est concentré sur quelques mois. Q’en pensez-vous, d’après votre expérience ?

Romy : C’est vrai que nos premières chansons datent de nos 16 ans, mais nous avons aussi attendu d’avoir de nouvelles expériences dans nos vies, avant d’écrire de nouvelles chansons. Nous avons tout de même pris un an pour réfléchir, nous concentrer sur ce nouvel album. On ne voulait pas précipiter les choses. Nous avons pris notre temps et nous sommes heureux du résultat. Nous ne nous sommes donnés aucune limite de temps et n’avons subi aucune pression d’aucune sorte, concernant la sortie de ce nouvel opus. Nous avons même réalisé, chemin faisant, que tout était allé plus vite que nous ne l’aurions imaginé. Nous avons juste surfé sur notre propre vague intérieure.

Votre musique est très émotionnelle, par quel(s) élément(s) commencez-vous : les sonorités, les mots, les rythmes…

Oliver : Ce sont, définitivement, les mots qui arrivent en premier, ensuite, cela prend forme, comme une sorte de collage qui donne des paroles, qui se mettent en forme, en même temps qu’une mélodie s’impose peu à peu.

La vidéo de « Angels » a un lien direct avec la substance même de l’album Coexist, semble-t-il ?

Romy : Effectivement, on peut y voir deux substances, comme l’eau et l’huile, tenter de se mêler et coexister, avec un effet d’arc-en-ciel qui par- court le tout. Tout cela est très symbolique et résume assez bien cet album dans ses grandes lignes : des sentiments différents et dont on pourrait même croire qu’ils sont antinomiques, et pourtant qui peuvent exister en nous, au même moment. C’est tout le paradoxe humain qui peut faire notre beauté. Dans The XX, nous sommes bien trois individus distincts par bien des égards : lorsque nous faisons de la musique séparément, cela n’a rien à voir avec ce que nous créons tous les trois ensemble. Nos goûts personnels varient eux-mêmes beaucoup, mais la musique nous unit, nous lie ensemble. Il y a quelque chose, dans cet album, qui a un rap- port avec la lumière qui réfléchit des couleurs. Les chansons de Coexist parlent de nos vies, des gens qui nous entourent, de la vie en général et de tout ce qui peut nous affecter. J’avoue avoir un penchant pour les chan- sons tristes, même lorsque je suis de bonne humeur. On ne pleure pas tout le temps, tu sais ! En fait, nous avons pris beaucoup de plaisir à faire cet album ensemble ! Personnellement, j’ai toujours eu un faible pour la dance music, dont le ton est un peu mélancolique. Evidemment, on peut penser à des artistes comme Everything But The Girl. J’aime cette contra- diction. Etre avec des gens avec qui l’on passe un bon moment, mais, en même temps, avoir le cœur qui se brise par un surcroît d’émotion. Je trouve, pour ma part, plus évident de réaliser quelque chose d’honnête avec ce sentiment, qu’avec une joie exacerbée.

On ressent une plus grande intimité sur Coexist, que sur votre premier album, qu’en est-il ?

Romy : Oliver et moi avions l’habitude d’écrire les paroles des chan- sons, en échangeant des idées par e-mail, cette fois, nous avons vrai- ment travaillé ensemble, dans la même pièce. Je pense que cela montre encore plus d’écoute, d’ouverture et de vulnérabilité sur ce nouveau disque. Bien qu’Oliver et moi nous connaissions depuis notre plus tendre enfance – nos parents sont amis, nous avons été à l’école et fait nos études ensemble – nos liens sont forts, mais ils n’ont rien de romantiques. A 15 ans, nous avons lancé notre groupe. Et même après le tourbillon du succès qui nous a complètement happés, je ne me souviens pas de ce que pouvait être notre vie avant notre amitié à tous les trois.

oliver : J’ai une sœur avec qui j’ai une relation super forte, et lorsque j’ai une querelle avec Romy, cela se passe de la même manière qu’avec elle.

Quel a été le rôle de Jamie, cette fois-ci ?

Jamie : Même si l’album reste très atmosphérique, je pense que l’on peut sentir sur des titres un peu plus influencés house, que j’ai été impliqué plus en amont des chansons qu’auparavant.

Romy : Sur le premier album, il y avait pas mal de chansons que nous avions déjà écrites, avant même que Jamie ne fasse réellement partie du groupe. Pour les nouvelles chansons, Jamie a donc été capable de s’inté- grer encore plus, notamment, en ce qui concerne les parties rythmiques des chansons. A ce titre, je dirais que notre niveau de collaboration s’est vraiment accru, et nous en sommes très heureux tous les trois.

Vous citez « Chained » comme un titre particulier pour vous…

Romy : Effectivement, Oliver et moi l’avons écrit ensemble. Je jouais du clavier, Oliver était en train d’écrire, et ce petit miracle a eu lieu. Il n’aurait pas pu se produire, si l’on avait travaillé séparément par e-mail. Quand j’ai joué le titre en live à Jamie, il a commencé à jouer en même temps et a apporté une tournerie rythmique, que nous n’aurions jamais imaginée. Cela s’est déroulé de manière totalement organique.

Vous avez aussi à faire des compromis moins agréables, semble-t-il ?

Romy : L’attente, par rapport à notre musique, est beaucoup plus grande aujourd’hui. Je pense déjà aux trois prochains mois de tournée qui arrivent : nous adorons composer de nouveaux morceaux, mais c’est diffi- cile pour nous lorsque nous sommes en tournée. Nous avons besoin de silence et de calme pour nous retrouver. Mais on va essayer de trouver du temps pour que cela arrive : se garder des périodes où l’on pourra travailler entre deux tournées, par exemple.

Très souvent les artistes usent de producteurs pour développer leur son et évoluer. Vous avez décidé de continuer à tout gérer vous-mêmes, pourquoi ce choix ?

oliver : Depuis le début, nous souhaitons faire quelque chose de person- nel, qui nous ressemble, et mêler quelqu’un d’extérieur ne nous conviendrait pas, je pense. Jamie peut nous dire n’importe quoi et inversement, car nous avons une totale confiance en lui. Quant au son et à notre musique, elle a déjà évolué, par notre façon de travailler et de composer depuis nos débuts…

Où est né Coexist, exactement ?

oliver : On a loué un petit studio près d’où l’on vit, et l’on s’est assis là, durant six mois, pour travailler, composer, réfléchir, échanger, se concentrer… Et la magie a opéré…

Tous les titres des chansons qui composent cet album sont très courts (« Angels », « Missing », « Tides »…), est-ce délibéré de votre part ?

Romy : Ce n’est pas vraiment voulu, on a aimé leur sonorité et le fait qu’on ne donne pas trop de précisions dans le titre, mais avec des mots forts et qui, néanmoins, sont lourds de sens. C’est un peu paradoxal, mais on aime cela.

Vous êtes très discrets tous les trois ! On sait finalement assez peu de choses vous concernant…

Romy : Nous ne nous sentons pas comme des popstars et nous ne souhai- tons surtout pas le devenir. Ce qui compte pour nous, c’est notre musique, la partager avec les gens, échanger des émotions, sans forcément avoir à discourir. Regarde Jamie, c’est sans doute le DJ le plus discret de la planète et son succès est là, donc pas besoin de faire de l’esbroufe pour toucher le public. Tant que nous aurons la liberté de création et de dif- fusion de notre musique, cela nous conviendra. J’ai toujours pensé que ce que l’on apprenait à l’école n’était pas si utile, d’une certaine manière. Mais on nous a laissés à nos envies et lorsque tu découvres que tu peux faire quelque chose de personnel, cela devient très vite une passion. Avec Oliver, on s’est mis à écrire des chansons que l’on jouait, anxieusement, sur de toutes petites scènes. Jamie nous a vus dès notre deuxième show. Jamie : J’étais impressionné qu’ils parviennent à se produire, comme cela, devant un public. Moi, je faisais juste de la musique dans ma chambre. Je n’ai jamais voulu être sur scène. Ils avaient le courage de le faire, et je les ai tout de suite admirés pour ça, sans parler de leur talent de composition. Je les ai alors rejoints, en me plaçant derrière eux.

Romy : Je regrette juste le départ de notre guitariste, Baria, qui a quitté le groupe, peu après la sortie de notre premier opus ; les premiers live ayant mis à jour des choses qui indiquaient que nous ne pouvions pas fonctionner comme cela. Alors que nous nous connaissions depuis cinq ans, nous ne nous sommes plus parlés depuis. Je suppose que cela va demander du temps, comme pour un divorce. Mais cela nous a rendus plus aventureux, et nous a obligés à changer notre façon d’aborder nos chansons, ce qui s’est révélé très enrichissant pour l’écriture et la production de Coexist.

Quelle est la chanson qui a changé les choses pour vous, dans ce nouvel album ?

oliver : Nous avons écrit ensemble « Our Song » : c’était si peu familier pour nous ! Des paroles, comme : « I will give you me and we’ll be us » (N.D.L.R. : Je me donnerai à toi et nous deviendrons nous) et aussi « There’s no one that knows me like you do, what I’ve done you’ve done too » (N.D.L.R. : Il n’y a personne qui te connaisse aussi bien que moi, ce que j’ai fait, tu l’as fait aussi), prennent toute leur signification. Et, bien que je n’apprécie guère expliquer les paroles des chansons, pour laisser le public se faire sa propre idée personnelle, cette chanson traite, néanmoins,clairementde.notrerelationàRomyetàmoi.C’estlapremière fois que nous avons chanté l’un pour l’autre et, dès lors, plus rien ne sera jamais comme avant.

Chronique

On avait laissé nos amis sur la route, après le succès exponentiel de leur premier opus, et on les retrouve en trio avec un disque toujours aussi planant, à l’instar d’un voyage immobile, comme en apesanteur. autant les titres des chansons coupent comme des rasoirs (« Try », « Missing », « Swept Away ».), le ton de l’album, lui, oscille entre la réunion, les liens, la séparation, le manque, la lumière du crépuscule, quelque part entre la joie et la mélancolie, la douceur et la douleur… Les moments les plus épiques sont, sans conteste, « Chai- ned », « Reunion », ou encore « Tides », et sa tournerie aussi lancinante qu’ad- dictive… Romy, oliver et Jamie sont parvenus à faire évoluer leur musique et éviter la redite. Coexist s’avère un travail totalement dévoué, et chaque morceau le prouve haut la main. une fois de plus, on succombe à leur pop atmosphérique. un disque léger et dense à la fois, qui fera date, on peut le parier. [soupir…]

Coexist, The XX (Young Turks/XL Recordings) www.thexx.info

Propos recueillis par Joss Danjean
Photos Antonin Guidicci
Réalisation Uli Semmler