L’improbabilité même que de se retrouver, inopinément, un lundi soir, devant The National à Paris. Tout cela suite à l’annulation d’une date en Turquie. Miracle.

The National-Point Ephémère

Il serait presque indécent de présenter ces américains qui, très tôt, ont été soutenus par le public parisien, écumant les petites scènes et les canapés des bons samaritains qui voulaient bien les accueillir. Néanmoins, s’il fallait en dire quelques mots, il faudrait parler de leur rock intense, de la voix et de la profonde présence du chanteur Matt Berninger, de leur complémentarité respective, de la troublante émotion qu’ils véhiculent. À dire vrai, s’il fallait en parler, on se retrouverait finalement coupé dans notre élan, un début de sanglot nous serrant la gorge.

Toujours est-il qu’à 20:30 bien passé, on était dans l’enceinte du Point Éphémère, jetés à la volée comme des graines quittant la gousse. Immanquablement, l’attente faisait trépigner avant que les élégants n’arrivent. « La première et dernière fois, c’était au festival La Route du Rock en 2010, et à des mètres et des mètres de la scène.  Pourtant, elle peut dire qu’elle en avait pris plein la face. Elle avait vigoureusement et purement ressenti l’intention musicale au point de se retrouver prise au piège de leur bon vouloir mélodique. » Ce soir, dans ce petit lieu tapageur, le lancement prendra pour appui I Should Live in Salt, premier morceau du dernier album Trouble Will Find Me, sorti cette année chez Beggars. L’effet est radical, le plongeon aussi. Sur la frontière entre la scène et le vide, Matt Berninger se positionne au plus près de la lumière qui lui embrase le visage, les frères Dessner à ses côtés. Les guitares grincent, le son s’élève, on s’égare entre la béatitude et la mélancolie alors que l’enchaînement se fait sur la plus tendue Don’t Swallow the Cap.

Rapidement, chacun trouve sa place dans l’harmonie musicale dessinée par la troupe, souplement, doucement, les morceaux se donnent saveurs mutuelles, communiquant les uns avec les autres. Si le susdit dernier album prend beaucoup de place dans les grosses 60 minutes de concert, on trouvera tout de même le moyen de se perdre dans l’épaisseur d’un Bloodbuzz Ohio ; dans l’envergure d’un Terrible Love qui se frappe contre les murs et transperce sans miséricorde ; dans l’accaparante progression d’un Fake Empire. Mais si le parcours musical est fluide, un remue-ménage vient remettre les pendules à l’heure, nous rendant tous conscients du « rêve » en cours. La bande n’aura alors peur de rien. Sur Mr November, Matt Berninger s’écorchera les cordes vocales, traversera la foule, le fil du micro venant capturer les badauds. Il ira loin comme ça, jusqu’à l’extérieur, retournant l’organisation du public, re-dynamisant l’écoute. Finalement, après quelques morceaux et un rappel nécessaire, ce sera la fascination collective autour de Vanderlyle Crybaby Geeks chantée en acoustique par la bande et le public. On se sentait alors prendre part à un moment unique d’équilibre et d’harmonie sous tendu par la forte teneur émotive du morceau.  Les pieds à quelques centimètres du sol, les yeux embués, pour atteindre l’acmé.

Par Emilie Jouan

Crédits photos: Nathanne Le Corre