Avec un single sorti de l’underground avec une rapidité pas vue depuis vingt ans (c’est-à-dire depuis Nirvana), les quatre garçons de The Drums étaient plus qu’attendus au tournant quant à une réelle longévité créatrice. Avec leur deuxième album Portamento, le groupe élargit son champ des possibles, sans s’écarter de son objectif premier : écrire la chanson pop parfaite. Rencontre avec Jonathan Pierce, leader décontracté du groupe, pour faire le point sur une carrière déjà bien entamée.

Cela n’a pas été trop difficile de faire ce deuxième album après tout ce succès ?

Je pense que beaucoup de groupes sont sous pression pour leur deuxième album quand le premier a bien marché, et que cela leur fait peur. Pour nous, la pression est bénéfique, je voulais que cet album soit le meilleur possible, c’était ça le moteur. J’ai toujours besoin de montrer dont ce que je suis capable, j’ai besoin de me sentir en progression et de ne pas me retourner, je suis d’ailleurs incapable d’écouter notre premier EP. La plus grande pression, c’était ça : faire quelque chose de meilleur. Je pense que l’on a réussi, maintenant c’est fait, il faut que je fasse quelque chose d’encore mieux, et je suis sûr que dans six mois, je serais incapable de réécouter cet album même si j’en suis très fier ! On voulait vraiment aller plus loin avec ce nouvel LP. 

Pour moi, cet album sonne beaucoup plus anglais…

Mon dieu, tout le monde me dit ça ! Ce n’était pas du tout intentionnel, mais il est vrai que beaucoup de nos influences viennent de l’Angleterre.

Il y à ce titre aussi, Searching for Heaven, qui sonne tellement, du reste…

Oui ! C’est très synthétique et hypnotique. On a beaucoup d’influences différentes. Je sais que notre musique est très référencée mais The Drums, c’est aussi une affaire de sortir la meilleure pop song possible et non des pastiches. Que tu écoutes différentes versions des Smiths ou de New Order, ce sont toujours des putains de bonnes chansons. On a essayé de faire des chansons pop qui restent des classiques. 

À l’époque du premier album, beaucoup de gens ont décrit votre musique comme un croisement entre The Cure et la surf music. Ça vous a énervé ?

Je suis fier de ce que nous avons fait, c’était notre état d’esprit du moment. Ça ne m’a pas perturbé comme références. Le titre Let’s Go Surfing nous est venu comme ça, sans vraiment y penser, c’était très naïf et pas du tout calculé. C’était assez bizarre de jouer cette chanson partout autour du monde. Tout le monde peut la jouer ! C’est assez stupide quand tu y penses. Il ne s’est pas passé beaucoup de temps entre l’EP et le premier album, et tellement de choses se sont produites ensuite : on a parcouru le monde, on a failli se séparer une centaine de fois… C’était aussi intense en amour qu’en haine. Nous étions juste un petit groupe qui débutait en jouant ses petites chansons ! Et tout s’est enchaîné très vite. D’un coup, tout le monde nous regardait. Nous n’avions jamais composé ces chansons pour avoir ce succès ! Je n’avais jamais vu un groupe buzzé aussi vite, et c’était le mien. Soudain, nous étions extrêmement  hype (sourire). Le magazine NME a écrit sur nous : « Le groupe qui a sauvé la musique », et nous étions en train de nous dire : « Oh non ! Surtout ne dites pas ça ! », c’est une sacrée responsabilité quand même (rires) ! C’est très étrange, surtout quand trois mois auparavant, tu écris ces chansons dans ta chambre.

Et où avez-vous composé ce nouvel album ?

Dans ma cuisine à Manhattan. On l’a fait dans l’urgence, et très rapidement. La deuxième chanson était en réaction à la première, et ainsi de suite. C’est important d’aller vite pour nous. Si on passe trop de temps sur une chanson, c’est qu’elle est mauvaise. On a seulement composé douze chansons et elles sont toutes sur l’album. C’est marrant, j’en parlais à Nick des Babyshambles, sur le fait que l’album de Metronomy avait coûté pas mal d’argent. Et on hallucinait, parce que lui comme moi, nous avions fait notre premier album sans argent. Nous n’avons pas changé notre manière de composer parce que nous avons plus d’argent, et on n’a jamais voulu passer à la radio. On veut seulement faire des chansons qui touchent les gens.

Avec la culture des blogs, les nouveaux groupes ont maintenant accès à une culture mainstream et indie illimitée. Tu penses que c’est une bonne chose ?

C’est bien dans le sens où tout le monde peut être entendu, et tu peux te promouvoir seul d’une certaine manière. Mais c’est aussi le mauvais aspect car tout le monde a un groupe maintenant et que tu es donc en compétition avec des millions de groupes (rires). Tu as le meilleur comme le pire. Les choses changent en culture pop. Regarde ce monstre de Lady Gaga, ce qu’elle croit être si polémique va rediriger ses fans vers des choses moins factices, je pense. C’est une période assez intéressante, le mainstream de l’époque de Michael Jackson était intéressant car il avait beaucoup de talent. Celui de Lady Gaga est juste merdique, comme ses chansons. Je pense que la culture indie va renverser le mainstream, regarde le succès de groupes talentueux comme Arcade Fire.

Et vous, avec votre succès, vous avez été approchés par des groupes mainstream ?

Oui, on a été contactés par des gens connus. Edwyn Collins par exemple, Gus Van Sant, Boy George et Mark Ronson aussi, avec qui nous sommes devenus amis. Des gens pour qui on a beaucoup de respect. Mais pas Lady Gaga (rires)

C’est facile d’être quatre mecs sur la route à parcourir le monde ?

Non, c’est très dur. C’est très intense, tu as l’impression de vivre dix ans en une année. Ça nous a tous changés ce world tour… Le retour a la maison a été assez atroce aussi, car tu as cette idée romantique de rentrer chez toi et la dépression post-tour te tombe dessus. Et tu ne veux plus retourner en tournée. Et tous tes liens sociaux sont changés avec le succès. J’y ai beaucoup perdu… J’ai passé beaucoup de temps seul en rentrant. Ça a inspiré une partie de l’album. Le premier album a un côté très innocent, doux et plein d’espoir ; celui-ci est plus sombre. Il est aussi très autobiographique.

Quel est ton meilleur souvenir de la dernière tournée ?

Quand nous avons enregistré un titre avec Edwyn Collins dans son studio à Londres. Passer quelques jours avec lui, juste être avec ce mec adorable qui adore la musique. Il aurait plein de raisons d’être en colère contre le monde, mais il reste adorable. Il est très humaniste.

Et qu’est que tu écoutes en ce moment ?

J’adore ce groupe chez Captured Tracks Records, Craft Spells. On dirait qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’ils font (rires), comme New Order à ses débuts. J’écoute aussi beaucoup Scott Walker en ce moment.

Parlons mode, tu penses que la mode est indissociable de la pop music ?

Absolument. J’adore la mode ; quand nous avons commencé ce groupe, nous voulions avoir ce look très spécifique, maintenant, on est plus relax avec ça. J’adore l’esprit de gang dans un groupe de rock, c’est ce que nous avions essayé de faire, avoir la même coupe de cheveux, les mêmes chaussures… Pourquoi les groupes ne font plus ça maintenant ? Si tu fais de la pop, autant le faire à fond ! Notre son n’est plus si spécifique d’une période non plus. En mode comme en musique, c’est important de savoir manier les références de différentes périodes pour les combiner.

Tu as des créateurs préférés ?

J’adore Vivienne Westwood. Et l’idée du punk au féminin.

Qui est la pop star la plus élégante selon toi ?

Mon guitariste (rires). La pire ? Pink ! Comment elle fait pour être comme ça ? Dix ans de n’importe quoi ! Du parfait mauvais goût ! Il n’y a rien, c’en est affligeant, c’est tellement étrange que personne ne lui ait jamais rien dit (rires).

 

Propos recueillis par Guillaume Cohonner

Photos : Marcus Mam

Réalisation : Flora Zoutu