Au moment où les vétérans reprennent du poil de la bête, voilà que débarque le groupe The Aikiu, emmené par Alex et sa bande, qui synthétise, à lui seul, 30 ans de pop music décomplexée. Comme si l’écriture des Smiths s’alliait à la synth-pop, le tout pour un son complètement actuel. Rencontre avec Alex, Julien, Barnabé, Christophe et Tatiana, tous pétris d’une adolescence lumineuse.

On s’était déjà rencontrés pour le EP « The Red Kiss », il y a deux ans, que de chemin parcouru depuis, avec cet album ! Et de nouveaux membres dans le groupe !

Alex : Pour Tatiana, cela fait plus d’un an qu’elle nous a rejoints, quant à Christophe, cela fait tout juste deux mois !

Pouvez-vous vous raconter un peu chacun ?

Christophe : J’étais persuadé, à 14 ans, que j’allais être le nouveau Jimi Hendrix et que l’histoire de la musique allait changer avec moi. Et pourtant, ce n’est toujours pas arrivé ! Faire de la musique sur scène était un besoin viscéral.
Barnabé : Moi, j’ai l’impression d’être encore dans le fanstasme de faire de la musique, mais je n’y suis pas encore tout à fait. Julien : Pour moi, c’est la décharge émotionnelle de la musique qui m’a permis de m’en sortir à l’adolescence. Je trouvais plus facile de m’exprimer en faisant de la musique, qu’avec des mots.
Tatiana : J’ai commencé la musique très tard, à 20 ans. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Mais la musique m’a permis de faire de belles rencontres et un jour, j’ai fait le constat que je ne faisais plus que ça. Encore aujourd’hui, je n’entrevois pas cela comme quelque chose de normal ou un métier. Je travaille avec plein de gens géniaux, et j’en suis très heureuse, mais il n’est pas exclu que je fasse autre chose dans l’avenir. Je suis plus dans l’apprentissage que dans le savoir-faire.
Alex : La musique est là depuis tout petit, mais c’est plus une passion qu’autre chose. En tout cas, ce n’est pas un métier. Cela reste du jeu, de l’amusement, même si on est très posés et investis dans ce projet, on ne se prend pas au sérieux.

Vous semblez avoir des personnalités très différentes, tout en affichant une belle cohésion de groupe : qu’est-ce qui vous lie comme cela ?

Tatiana : Je suis arrivée, il y a peu de temps, dans le groupe, mais ce qui m’a frappée et fait dire oui pour cette aventure, c’est que Alex, Julien et Barnabé s’aiment, et depuis longtemps. Ils ont un parcours commun d’amitié, et c’est toujours le fantasme rêvé : les groupes nés d’amitié de lycée. Ici, c’est ça, c’est comme un groupe de lycée, même si personne n’est plus au lycée depuis longtemps. [Rires]
Alex : Je crois que le point commun entre nous tous, c’est qu’on est une bande de personnes qui sont encore des gamins. Bien sûr, on veut grandir et vieillir, mais pas devenir aigris. On veut garder notre curiosité en alerte, vivre les choses, ne pas être blasés, pouvoir encore s’émerveiller sur des choses simples… C’est con, mais ça fait du bien !
Barnabé : Et on aime tous le Pho (soupe vietnamienne N.D.L.R.) ! [Rires]

Aujourd’hui, vous êtes un vrai groupe, comment entrevoyez- vous le fait de jouer cet album sur scène ?

Alex : Je dirais qu’il y a une vraie frustration de ne pas s’être rencontrés auparavant. Au début de la composition, on a été dans une chambre cloisonnée avec un home studio, mais on ne jouait pas vraiment comme un groupe. Quand le groupe s’est formé, ça a été comme une décharge électrique, sauf que l’album était terminé et, du coup, le live est très intéressant musicalement : il y a plus de choses dans le live, en termes de couleurs musicales et d’énergie.
Julien : Et les morceaux évoluent toujours, à chaque répétition et c’est très excitant.

Dans les paroles, on trouve la notion de choses visibles et invisibles, le titre, d’ailleurs, en fait état. Qu’en est-il ?

Julien : En fait, cela vient surtout d’Alex, c’est quelque chose qui provient de sa culture vietnamienne. Ce sont ses idées, traduites en paroles par Philippe. C’est bien normal, puisque c’est lui le chanteur du groupe après tout.

Pour l’écriture des morceaux, quel est le processus habituel ?

Alex : L’écriture est assez complexe. En général, cela part d’une impulsion, de Julien (Vichnievsky) et moi, pour la musique. Au niveau des textes, il y a Philippe Laugier qui écrit sur tous les titres. Moi, je pars d’une vision, une sorte de scénario. Ensuite, il y a des chansons entre Barnabé et moi, puis se sont greffés Julien et Tatiana. C’est le cas pour « Barbarella » et « Win », par exemple. Pour cette dernière, JD Samson (ex-Le Tigre) est arrivée à la fin. On se connaissait, on voulait bosser ensemble de longue date et elle a trouvé un super refrain. En fait, en y réfléchissant, il n’y a pas vraiment de formule !

Par contre, il semblerait qu’il y ait plein de références, de musiques, de films, etc. Et l’album Ghost Youth semble mâtiné d’influences, comme les Talking Heads, David Bowie ? Vous êtes en accord avec cela ?

Alex : En fait, les influences vont de Bowie à Roxy Music, de Talking Heads à Grace Jones. J’aime leur musique bien sûr, mais ce qui me plaît le plus, c’est le fait qu’il s’agisse d’artistes très complets en termes de musique, de scénographie, d’art…

Outre le groupe que vous formez dorénavant, il y a pas mal d’intervenants : notamment le nom d’un certain Eric D. Clark (plus connu sous le pseudonyme Whirpool Productions) ?

Alex : Il voulait qu’on bosse ensemble et m’a proposé un morceau trop barré pour le reste de l’album. Alors, il est venu de Berlin et on a travaillé pendant une semaine sur « Let Me Freak Out ». Il dormait une demi-heure et travaillait sur des programmations ‘woodoo’ car je voulais des rythmes vaudous sur ce titre : je suis super fier car il est incroyable et talentueux. Il y a eu aussi Pilooski : on s’est rencontrés avant qu’il ne sorte son album Discodéïne. On a eu une super accroche, quelqu’un de très sensible et perfectionniste. Cela s’est très bien passé, mais nous, on n’était pas prêts, donc cela a pris du temps. Son apport a surtout été un travail sur les textures…
Julien : Au-delà, ce que Pilooski a apporté sur les morceaux de l’album, c’est plus dans la direction, dans ce mélange entre musiques live, rock et électronique.

Quel a été l’impact de Guillaume de The Shoes ?

Alex : Un gros intervenant, en l’occurrence. Il est venu à la fin : à la troisième version du premier album. [Rires] Avec Guillaume, on s’est rencontrés lors d’un festival au Luxembourg, je les ai vus et j’ai vraiment aimé. On a décidé de travailler ensemble et ma proposition a été la suivante : est-ce que tu as envie de rattraper mes frustrations sur le disque ? Il a compris le projet très vite, et il a apporté cette luxuriance et de la force, parce que c’est ça qu’il ressentait, afin d’accompagner la voix.

C’est vrai que l’une des vraies réussites du disque, c’est d’avoir su apporter cette luxuriance, sans noyer le propos pop des compositions…

Alex : Il a voulu servir et embellir l’écriture mélodique, et il y est parvenu d’une belle façon, je trouve. La narration des textes avec parfois de la grandiloquence, voire même fantomatique, parfois. J’étais très content que ce soit cela qu’il ressente. Et je pense qu’on s’est compris parce que, lui aussi, c’est un gamin.

On sent confusément sur l’album un balancement entre une immédiateté pop, une évidence, et une complexité plus électronique, un arrangement foisonnant ?

Julien : Ce n’est pas un disque qui a été fait dans l’urgence, on a pris le temps de le travailler, de le retravailler aussi, peut-être même trop. Et quand Alex dit qu’il est impatient de partir sur le second disque, dans le processus, on essaiera, cette fois, d’être plus dans la spontanéité et de ne faire de la production qu’à la fin, une fois tout composé. Sur ce disque, on a eu un vrai apprentissage, mais le procédé s’est avéré quelque peu fastidieux par moment.
Barnabé : On a manqué de jouer des morceaux en live avant de les produire. Mais aujourd’hui, on se fait plaisir sur scène.

Qu’est-ce que le live apporte à votre musique ?

Alex : Je dirais plus de groove, notamment.
Tatiana : Aussi, plus de moments dédiés à la musique tout simplement et moins au chant.

Cela permet à Alex de se reposer un peu ?

Julien : Alex, se reposer ? Il ne se repose jamais ! [Rires]

Quelle est, à ce jour, votre plus belle expérience de live ?

Alex : Quand on était en résidence au Social Club, avec ma grand-mère et ma tante qui assuraient le catering en faisant du riz cantonnais. Voir ma grand-mère danser sur notre musique, alors que je ne l’avais pas vue depuis 6 ans, j’en ai pleuré. C’est mon côté sentimental.

Quant à votre prestation à la Flash Cocotte ?

Tatiana : Cela était mémorable, en effet ! On avait l’impression que notre musique s’était transformée en love potion, comme si on avait été projetés dans un film de John Hughes !
Julien : Ah oui, Weird Science, c’était génial ça ! En voilà une idée de reprise, tiens !

Vous pensez déjà au second album ?

Alex : Oui, j’aimerais revenir à mes premières amours plus black. Lorsque Jean-Paul Goude me raconte ses histoires au sujet de Grace Jones, je suis fasciné : comment ils ont réussi, avec Chris Blackwell, à mélanger de la musique blanche avec de la musique jamaïcaine. Sur « Win », on a réussi à apporter un peu ce côté fusion. J’étais heureux que JD apporte cela dans son refrain. J’ai l’impression que c’est très new-yorkais ce mélange des genres.
Julien : Ce qui est bien, c’est qu’on n’a rien forcé : cela s’est fait naturellement.

Chronique

Alex Aikiu et sa bande ont réussi un bel exercice avec Ghost Youth : un album pop décomplexé, au charme adolescent, mais avec un travail d’arrangement, de fusion, de textures. Une luxuriance sonore, mise au service de la voix d’Alex, grâce aux talents conjugués de Pilooski et Guillaume de The Shoes. Et les références pleuvent, comme le film Nosferatu sur « Let Me Freak Out » dans lequel Isabelle Adjani fait une apparition spectrale ou encore, ce « Barbarella » où l’on s’attend à voir débarquer une amazone de l’espace à crinière de feu. Ghost Youth, c’est un peu comme un bain de jouvence, un disque qui vous plongerait dans un film de John Hughes et durant lequel le temps suspendrait son cours. Ecoutez The Aikiu, c’est avoir cette impression jouissive d’être adolescent pour toujours et à jamais, alors pourquoi s’en priver ? Forever young !

The Aikiu, Ghost Youth (Look Mum No Hands/Sony Music)
www.theaikiu.com

Propos recueillis par Joss Danjean / Photos : Quentin de Briey / Réalisation : Flora Zoutu