En ce début d’année 2016, Kenzo Takada vient d’être décoré de la Légion d’Honneur, un privilège de plus en plus convoité mais aussi de moins en moins crédible. Aux côtés des victimes de Charlie Hebdo et des « héros » du Thalys, difficile de croire que le styliste japonais puisse être distingué de la suprême reconnaissance française… Pourtant, depuis quelques années, la Légion d’Honneur tend à être « vulgarisée » et distribuée comme si on avait oublié la signification réelle de cette médaille et l’importance historique de cette distinction nationale.

La cérémonie de la remise de la Légion d’Honneur était placée sous les auspices de la diversité, récompensant certaines célébrités pour leur unique raison d’être française… C’est ainsi que Vanessa Paradis s’est vue remettre cette médaille en tant qu’égérie de Chanel, la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot pour sa participation aux campagnes de Céline et des Galeries Lafayette,… Peut-être trouvons-nous en Françoise Fabre, l’image légitime d’un tel honneur, elle qui est à la tête de l’entreprise nationale de parfumerie Fragonard. Mais, pour Kenzo Takada, nous nous posons toujours la question…

Première supposition : cette distinction remise au styliste japonais marque un tournant dans l’histoire de la mode et un véritable pas en avant. En effet, cette mise en valeur du monde de la fashion sphère par la France peut se comprendre, comme une prise de conscience que cet univers particulier représente un réel enjeu. En écho à la remise du titre de Dame commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique par la Reine Elizabeth à la businesswoman Natalie Massenet, la France a voulu prouver son intérêt pour la mode et élargir son champ de vision.

Deuxième supposition : dans un contexte morose marqué par les récents événements qui ont meurtri l’année 2015, cette cérémonie voulait souligner en premier plan ceux qui ont donné de leur vie et ceux qui ont fait preuve d’un courage sans précédent pour lutter contre toutes ces menaces et ces atrocités. Mais, la France a sans doute souhaité aussi mettre en lumière l’optimisme qui règne en France à travers certaines personnalités appréciées du public. Le domaine de la mode représente bien cette part de rêve que rien ni personne ne peut entraver…

Troisième supposition : s’il est vrai que Kenzo Takada est d’origine japonaise, sa patrie d’adoption semble bien être la France depuis plus de 50 ans. En effet, installé à Paris au milieu des années 60, le styliste aujourd’hui âgé de 76 ans s’est intégré très rapidement dans l’univers de la mode française. C’est en France qu’il crée sa propre marque. C’est en France qu’il évolue dans son travail créatif. C’est en France qu’il se fait un nom. C’est encore en France qu’il affirme son style coloré reconnaissable entre tous.

Quatrième supposition : Kenzo Takada incarne d’une certaine manière l’ « american dream » à la française. Déjà nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres en 1984, il ouvre la porte à d’autres créateurs, d’autres stylistes venus d’ailleurs. Nous pensons notamment à Yijing Quin, la fabuleuse artiste qui a récemment reçu le prestigieux label Haute Couture accordé par la Fédération française de la Haute Couture. Ainsi, la France se voudrait plurielle en matière de mode et surtout montrer l’exemple. En cela, l’initiative de décorer Kenzo Takada apparaît plus que salutaire.

Cinquième supposition : la médaille de la Légion d’Honneur version 2016 compte faire fi des idées reçues. En effet, à l’origine, Napoléon avait créé cette récompense non dans le but exclusif de décorer les militaires… L’empereur souhaitait avant tout honorer les artistes ! Alors, Kenzo Takada s’impose d’emblée dans la liste des créateurs humanistes et sages qui ont réussi à faire ressortir avec leur liberté pleine d’humour l’excellence de l’art français. Ainsi, on comprend désormais mieux pourquoi un styliste japonais, aujourd’hui à la retraite, a été « drapé » en tant que créateur d’une marque rachetée par LVMH depuis vingt ans…