Pour la 11ème édition de Rock en Seine, ce week-end, le domaine de Saint-Cloud s’est vu accueillir 118 000 spectateurs en 3 jours, un record d’affluence pour ce mini Coachella parisien venu clôturer en beauté la saison des festivals avec pas moins de 64 groupes à l’affiche. Modzik était de la partie et vous fait son compte rendu.

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Vendredi : Franz Ferdinand mène la danse

 
C’est dans une chaleur jusqu’alors peu connue du festival – c’est-à-dire de saison – que débute le marathon du rock.  On ouvre les festivités avec Daughter, qu’on saisit en cours, pour une douce entrée en matière. Toujours étonnés de leur succès, ils témoignent d’une candeur touchante. On sent toutefois que le trio commence à prendre ses marques pour nous servir une folk plus pêchue qu’en studio, à notre grand bonheur.

Direction la grande scène ensuite, pour une téléportation immédiate à Woodstock, savamment orchestrée par Tame Impala. Sans prise de tête, les Australiens nous livrent leur son vintage avec distinction et humilité, ils s’essayent sans calcul à quelques inédits et rient même de leurs pains. Ce climat sans chichis fait que l’attroupement qui leur fait face a beau être conséquent, on se sent en petit comité. Les écrans géants de part et d’autre de la scène viennent renforcer l’atmosphère musicale très 60’s en diffusant non pas le concert mais des visuels tout droit tirés d’un trip sous LSD, et en à juger le nombre de personnes allongées sur la pelouse, l’effet est assuré.

La transition s’opère en souplesse avec Alt-J, qui récite son album avec précision, soutenu par une horde de mains formant des triangles. On se laisse bercer par les envolées délicates du synthé mêlées aux percussions, qui prennent tout leur sens en live. Mention spéciale pour la cover unplugged de A Real Hero de College, reconnue et acclamée par le public, assez jeune.

Les choses prennent un tout autre tournant à la tombée de la nuit, lorsque Franz Ferdinand s’empare de la grande scène. En effet, depuis leur dernière venue au festival en 2005, les Ecossais ont pris du galon et distillent à présent les tubes comme on enfile des perles, le tout rythmé par le déhanché décomplexé et le chant nonchalant d’Alex Kapranos. Le groupe nous sert une setlist sans faille, dans laquelle se glisse même une interprétation surprenante de I Feel Love de Donna Summer, mais ce sont leurs premiers hits (réservés pour la fin) qui feront réellement décoller l’ambiance.

On achève cette 1ère journée avec les guitares nerveuses et bluesy d’Hanni El Khatib, subtil mariage d’un vaste éventail d’influences aboutissant à ce genre qui leur est propre, preuve vivante que le garage peut aussi se montrer rafraîchissant.  

 
Samedi : la claque Phoenix

 
Le lendemain, comme une fatalité, on a perdu 10°C – et déjà quelques points de vie. On entame tranquillement la journée avec La Femme, dont on applaudit la performance scénique. Très lookés, les membres du groupe sont comme vissés sur ressorts, et aussitôt imités par le public. On appréciera également la mise en situation du morceau Sur la Planche, où le guitariste a littéralement surfé sur une mer de spectateurs ivres de joie.

Place ensuite aux Black Rebel Motorcycle Club, qui n’en sont pas non plus à leur premier Rock en Seine – le trio avait déjà investi les lieux 3 ans auparavant. Leur album de mars dernier les a remis sur la voie du rock dans tout ce qu’il a de plus massif et fédérateur, et c’est donc en toute logique que les légendaires blousons noirs nous dispensent une prestation musclée, posant les bases dès le départ avec leur reprise hommage à The Call, Let The Day Begin. En cours de show, les guitares vrombissantes laissent place à l’harmonica pour un interlude un peu plus country – on y retrouve notamment des morceaux tirés d’opus plus anciens tels que Howl ou Beat The Devil’s Tattoo – puis retour à l’artillerie lourde pour finir en coup de poing sur les indémodables Whatever Happened To My Rock & Roll et Spread Your Love.

On récupère ensuite notre âme teenage face au punk déferlant des Wavves. Voix rauque, guitares stridentes, morceaux courts et saccadés : ici pas de concessions, on prend part au mosh pit ou on dégage. Un peu comme dans une répète entre potes, l’ambiance est à la rigolade, on en tient pour preuve le running gag Lenny Kravitz, dont ils entonnent un air entre chaque morceau. So what ?

Passons aux choses sérieuses de retour sur la grande scène dont ont pris possession les très attendus Nine Inch Nails, qui nous assènent un show sombre et acéré. Infatigable, Trent Reznor enchaîne les hits avec panache dans des jeux de lumières épileptiques, maniant puissance et justesse à un seuil d’intensité vertigineux. Élocution suave et poses lascives sont à l’honneur, le dandy fascine et captive l’auditoire, le charme opère encore et toujours. Après nous avoir passé sans relâche au rouleau compresseur pendant plus d’une heure, il nous achève en beauté avec Hurt. Et la messe indus est dite.

Difficile d’enchaîner après ce tabassage en règles. On entend au loin les beats effrénés de Vitalic VTLZR, en s’approchant un peu on constate que les gens se déplacent d’une scène à l’autre en dansant, avant d’apercevoir le dancefloor géant qu’était autrefois la scène de la cascade. Encore en train d’accuser le coup, on mange un morceau en terrain clubbing avant d’aller se trouver une bonne place pour Phoenix, qui ne devrait plus tarder.

Pour leur 2ème venue à Saint-Cloud, les Versaillais ont soigné leur entrée, allant jusqu’à retransmettre sur écrans géants leur arrivée en voiturette jusqu’à la scène, faisant ainsi monter la pression avant même d’y avoir posé le pied. Le quintet ouvre les hostilités avec Entertainment, le single entêtant de leur dernier album, et dès les premières notes le décor est posé : leur énergie est contagieuse, le public est en liesse. S’ensuivent des tubes en rafale, et c’est avec classe et rigueur qu’ils revisitent jusqu’à leurs plus vieilles compos (merci pour le medley If I Ever Feel Better / Funky Squaredance). Le son est d’une clarté limpide, l’image travaillée dans ses moindres détails – on assistera à la projection d’immenses rayures multicolores, des photos du château de Versailles ou encore un extrait du court-métrage « C’était un rendez-vous » de Claude Lelouch. La pluie se met à tomber, dans l’indifférence la plus totale. Le temps s’arrête sur Love Like a Sunset (Part I & II), Thomas Mars en profite pour marquer une pause, étendu contre un retour de scène, pour mieux repartir à l’assaut de la foule, dans laquelle il entreprendra une course folle jusqu’à la régie qu’il escaladera avant de regagner la scène dans un slam interminable. La fin du concert n’est plus que surenchère de béatitude, avec au programme frisson de l’extrême sur Rome, projection de faux billets de 500 francs, et conclusion du set comme il a commencé en rejouant Entertainment dans une apothéose des sens. On rentre KO et trempés, mais heureux.

 
Dimanche : la teuf gigantesque de Major Lazer

 

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Suite logique de notre soirée de la veille, le réveil est éprouvant. En bonus on découvre qu’il a plu toute la nuit, bottes et ciré sont donc de mise pour ce dernier jour. On se traîne, encore groggy, jusqu’à la scène de l’industrie pour le concert de Wall of Death, que bizarrement la bruine accompagne parfaitement pour des morceaux tels que Thundersky ou encore Blow The Clouds. Chants planants et guitares bien grasses, on se laisse volontiers emporter par leur rock psyché, et le temps du voyage on change de continent. Une réussite en aucun cas surprenante puisque le jeune trio parisien n’en est pas à son premier festival ; en effet en avril dernier les protégés des Black Angels ont participé au Austin Psych Fest, se frayant par la même occasion une place dans la cour des grands.

Dans une éclaircie, MS MR s’empare de la scène pression live pour nous fournir le réveil vitaminé dont on avait besoin. Véritable petit bonbon acidulé, Lizzy Plapinger arbore un legging parsemé de têtes de mort, un perfecto noir et des cheveux vert fluo, mais surtout un sourire immuable. On dénote une vraie complicité entre les 2 fondateurs du projet, qu’on sent sincèrement contents d’être là, une joie qui d’ailleurs se propage telle une traînée de poudre dans un public qui n’était pas forcément venu pour eux.

Ce sont ensuite les chevelus de Is Tropical qui nous accaparent pour une performance électrisante et maîtrisée. Tantôt doux, tantôt sauvages, chaque morceau est une invitation à se trémousser sur les riff excités des anglais, qui s’essayent à une poignante tentative de communication en français – une phrase qui malheureusement restera à ce jour incomprise.

Après une pause « fin de vie » au calme de l’espace presse, la curiosité nous pousse jusqu’au concert des Bloody Beetroots, où l’on ne trouvera qu’un mur de son qui nous calmera direct. Ici on n’est pas là pour faire dans la dentelle, la recette est simple et efficace : des amplis montés au max, 2 italiens masqués bondissant toutes guitares en l’air et vociférant sur des classiques du rock noyés dans des rythmiques saturées qui se suivent et se ressemblent face à une audience en transe. Bizarrement, à en compter le nombre de poings levés, la formule semble fonctionner.

Chvrches nous sauve in extremis de l’infarctus en nous rappelant qu’il existe encore un peu de douceur dans ce monde de brutes. On manque mourir de mignonnerie cette fois face à l’innocence de Lauren Mayberry, dont la voix cristalline ondule et se déploie sur des mélodies electro pop qu’on mettrait toutes dans la playlist de notre journée idéale, si seulement elle existait. Chaque chanson est un antidépresseur qu’on gobe allègrement, et lorsque le trio écossais nous salue, on lui donne rendez-vous sans faute à la Maroquinerie en octobre prochain, sachant pertinemment que l’attente sera insoutenable.

Choc des cultures lorsqu’on rejoint les fous furieux de Major Lazer : on arrive juste à temps pour sentir nos mâchoires se décrocher face à l’énorme session de twerk organisée sur scène où une partie du public a pu se hisser, le grand écart est violent mais quelque chose fait qu’on reste. L’instant d’après, on reconnaît la silhouette désarticulée de Stromae venu interpréter son morceau Papaoutai, et la foule de reprendre en chœur les paroles. Un coup d’œil au tableau qui nous entoure et on réalise qu’on est au comble du WTF : hystérie collective, fumigènes et confettis en pagaille, bulle en plastique format XXL, lancé de t-shirts, le délire est total. On se baisse tous pour se relever à 3 dans un élan de dynamisme qu’on ne se soupçonnait pas aujourd’hui, ça saute et ça chante, on est comme possédés par l’esprit de la fête avec un grand F. À la fois calés et décalés dans un show à couper le souffle, Diplo et ses comparses ont réussi à clore ce festival par une immense bringue à laquelle on n’a pas pu s’empêcher, nous aussi, de bootyshaker.

 

 Par Alice Jouchoux