Le 26 octobre dernier a débuté l’exposition « L’Autre Jean », au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne. Les designers à l’inventivité intarissable que sont Marithé et François Girbaud y prennent leur quartier et partagent 40 ans de leur histoire commune autour du jean et plus largement du vêtement, jusqu’au 6 mai 2013. Une rétrospective que le public retrouvera également dans la programmation officielle de la 8ème Biennale du Design.

Par Valentine Croughs

François et Marithé forment un duo mythique lié par le vêtement, comme ont pu l’être ceux de Serge Gainsbourg et Jane Birkin ou Michel Berger et France Gall avec la musique. C’est d’ailleurs ce qu’illustre d’entrée de jeu la première installation : deux vidéos – l’une en anglais, l’autre en français – très mignonnes dans lesquelles le couple dialogue à coups de propositions contraires, rappelant le fameux dicton « les opposés s’attirent ». Tandis que Marithé s’exclame « I want a dress », avec beaucoup de concentration du fait de sa dislexye, François répond « I want a pair of trousers ». Le ton est donné, celui de la complicité qui a fait vivre leur aventure « jeanesque » et gigantesque à travers le monde, sur quatre décennies.

French Jeans
La salle suivante reprend une sélection de jeans à travers les années, chacun d’eux témoignant d’une technique et d’une attention particulière. Sur l’un, le nombre de poches et les boutons en métal visibles et apparents (une indignation en ces temps-là) sont importants, sur l’autre, plutôt les plis ou la coupe. A l’époque, la force du travail et la guerre inspirent les deux hippies qui inventent, sans se rendre compte de son impact futur, le délavage industriel, donnant un effet sur le vêtement de « vécu avant d’avoir vécu ». Le vêtement avait alors une « odeur de menace », explique François, « alors qu’aujourd’hui, il répond à des fins et fonctionnalités autres, comme les vacances ou les sports de glisse ». Petit à petit, le tandem attire l’attention des Américains qui verront bientôt leur marché influencé par ces « French Jeans » comme ils les appellent.

Girbaudmania
Dans les années 70 et 80, les Girbaud habillent tout le monde, dont
notamment Jimi Hendrix au Woodstock, avec l’emblématique pinto jean. Et
ce n’est pas tout, le baggy, le cow boy et bien d’autres modèles
visibles au Musée, constituent des originaux de la maison qui décomptera
à peu près 6000 patrons différents. Les trouvailles ingénieuses des Français sont les résultats d’une recherche quasi scientifique et à tout niveau, tant dans la forme (les coupes avant-gardistes) que dans le traitement du jean (les teintes, le délavage, les imprimés, les moustaches, l’effet d’usure naturelle). Mais les joyeux lurons sont loin de s’imaginer ce qui se trame. Alors qu’ils pensent s’amuser à triturer la matière, ils révolutionnent en fait l’industrie de ce classique du streetwear, intemporel et incontournable.

L’avenir du jean
Mais aujourd’hui, François et Marithé s’inquiètent de savoir si les nouvelles générations assureront la relève et répondront, à travers leurs jeans et machines industrielles, aux besoins contemporains. Ceux de participer à la préservation de notre planète terre qui se meurt peu à peu. Fort de ce constat, la marque a mis sur pied de nouvelles techniques, plus performantes et plus respectueuses de l’environnement et des 2 millions d’humains qui s’attèlent à la tâche à travers le monde, jusqu’à en perdre la vie parfois. Fini l’utilisation de l’acide ou du pétrole, place à l’ozone et au laser pour un délavage sans eau. La machine Stonewash d’antan est délaissée en faveur de la Wattwash (que les visiteurs pourront tester durant la Biennale, à la Cité du Design), dont un aperçu vidéo est offert dans l’ultime salle du parcours Girbaud. Le jean devient sec et propre. A nouveau, le couple montre l’exemple.

Au fil des vidéos
Entre la première et la dernière salle, le Musée abrite de superbes images et photographies, ainsi que 40h de vidéo reprenant, entre autres, les défilés, commentaires et coulisses des campagnes choc de la marque telles que La Cène, qui a marqué les esprits et fait l’objet de polémique au sein des institutions religieuses. Une animation qui donne envie de s’asseoir et de s’imprégner longuement de l’univers du duo, que seul un immense travail d’archivage minutieux a rendue possible. On retiendra également la grande salle et sa superbe vague de corps fantomatiques suspendus au plafond (qui s’illuminent le soir), vêtus de diverses tenues cultes de Marithé et François autres que le jean au sens strict, démonstration de l’étendue de leur savoir-faire et tailoring pointu.

Petit bonus, d’autres pièces M + F sont disséminées dans les trois collections permanentes du Musée, symboles des industries d’excellence de la ville de Saint-Etienne, à savoir les rubans, les cycles et l’armurerie. Un haut lieu d’art industriel que l’exposition « L’Autre Jean » investit à très juste titre.

Exposition « Un Autre Jean »
Du 26 octobre 2012 au 6 mai 2013
Musée d’Art et de l’Industrie, Saint-Etienne
www.musee-art-industrie.saint-etienne.fr