Avec son troisième album, il y a fort à parier que Zola Jesus (de son vrai nom Nika Roza Danilova) recueille enfin les suffrages et sorte de l’underground post-80’s où certains ont pu la cataloguer un peu vite à ses débuts et son premier LP The Spoils, en 2009. Maturité ou moment de grâce, nous allons certainement en apprendre plus sur cette artiste des plus singulières, et pourtant, reconnaissons-le tout-de-go, des plus talentueuses et inspirées.

Comment est-ce arrivé qu’une petite fille du Wisconsin se soit lancée dans la musique ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la musique, chanter, etc. Je ne sais même pas comment cela m’est venu. Tout ce dont je me souviens, c’est que là d’où je viens je pouvais faire beaucoup de bruit sans gêner les voisins !

Comment es-tu passée de la passion pour la musique à entrevoir cela comme une profession à part entière ?

Lorsque j’ai décidé de faire connaître ma musique autour de moi, alors que j’étais encore à l’université, j’ai commencé à avoir de plus en plus de retours positifs. Cela finissait par me prendre tellement de temps que je ne pouvais plus m’adonner qu’à cela. 

D’ou vient ce nom de Zola Jesus ?

De la période où j’étais au collège et où j’aimais beaucoup cet auteur français, Émile Zola. Et puis Jesus, pourquoi pas Jesus ? Il y a certainement une part de provocation là-dedans.

Quelle est l’histoire de ce nouvel album intitulé Conatus ?

Je savais dès le départ que je voulais faire un disque différent du précèdent. Du coup je suis partie dès l’abord vers quelque chose d’opposé, je voulais mettre des violons, changer de façon d’écrire les chansons. Je voulais me lancer un challenge personnel, ne pas rester sur mes acquis et refaire ce que j’avais déjà fait auparavant. J’ai peur de rester statique, de stagner. Si je sentais que je refaisais quelque chose qui ressemblait trop à mes anciens morceaux, alors je recommençais de zéro.

Quel a été le procédé de création de cet album ?

À peu près la moitié du disque était réalisée à la maison dans mon home studio, ensuite j’ai travaillé avec le producteur en studio. On a ajouté des synthés analogiques, des violons, une vraie batterie. Cette-fois j’ai travaillé avec Brian Foote (Nudge), qui m’a aidée à avoir accès à des instruments que je ne pouvais pas avoir chez moi. J’avais fait mes deux précédents albums entièrement à la maison, mais là je voulais aussi essayer autre chose.

Comment cela se passe-t-il lorsque l’on travaille avec un producteur pour la première fois ?

C’est très difficile pour moi car je suis une vraie control freak, je ne veux pas que ma musique soit altérée. La raison pour laquelle j’ai choisi de travailler avec Brian, c’est qu’on se connaissait déjà et je savais qu’il saurait se mettre en retrait. Je ne voulais compromettre ni ma vision ni ma musique. Il était là quand j’avais besoin de lui et m’a aussi aidée à respecter le planning. Ce n’était pas une vraie collaboration créative, pour autant il était là à chaque pas pour que les choses soient faites.

L’atmosphère de ta musique est assez dense, mais elle recèle aussi un côté stimulant. Comment expliques-tu cela ?

Cela est dû à ma personnalité, je pense. D’un côté je me confronte naturellement aux aspects les plus noirs et obscurs de la vie ; mais d’autre part il faut faire face pour avancer et ne pas rester bloqué ou effrayé. Je pense qu’il y a toujours plusieurs façons de voir une situation. De même, créer une atmosphère particulière permet aussi à la musique d’avoir un univers où elle peut se développer. 

Il y aussi un balancement entre morceaux plus lancinants et d’autres plus up-tempo. C’est quelque chose de délibéré ?

Oui, c’est volontaire : autant j’aime les atmosphères lentes et pesantes, autant j’apprécie aussi les rythmes plus rapides, la musique électronique… J’écris souvent des choses assez lentes au départ, et on s’est amusés avec Brian à en accélérer certaines pour voir ce que cela donnait. Mon précédent album était plus calé sur le même genre de bpm, et là aussi je voulais que ça change !

D’où provient donc ce son si particulier que tu possèdes depuis ton premier album ?

C’était primordial dès le début de proposer quelque chose de neuf, qui ne relevait pas des sons actuels que l’on entend un peu partout. Je voulais une griffe sonore. Bien sûr il y a des références que j’adore et que j’ai incorporées, comme la batterie des 80’s qui est incroyable par exemple. On a perdu ces batteries avec les années 1990.

Ton style musical a d’emblée été plébiscité par la scène gothique alors que tu ne ressembles pas du tout à une goth, tu n’es pas affublée de noirs oripeaux…

C’est vraiment étrange car j’aime beaucoup des choses qui font partie de la mythologie gothique, mais j’aime aussi des éléments qui sont tout simplement l’opposé de tout cela, comme Madonna ou d’autres stars de la pop internationale. Mon tempérament est différent de ce que j’écris dans ma musique, mais c’est cette écriture et le fait de pouvoir disséquer cette noirceur qui me permet d’avoir un comportement positif dans la vie. Il semble donc que la musique a un vrai pouvoir thérapeutique sur moi. Lorsque je suis seule, je suis calme, réservée et réfléchie mais lorsque je suis entourée de gens, je suis plutôt positive et enthousiaste. Loin de moi l’envie par exemple de rendre une situation plus difficile ou sombre qu’elle n’est déjà.

J’ai vu une interview à la télévision où tu confessais avoir peur de la mort. C’est toujours le cas aujourd’hui ?

Oui, je suis terrifiée à l’idée de mourir, et de la mort en général. Toute ma vie est basée sur cette peur. Cela gouverne ma vie entière et nourrit ma musique. C’est d’ailleurs par le biais de la musique une fois de plus que je parviens à m’en libérer. C’est un combat constant chez moi. L’idée d’humanité et de sens de la vie est aussi une notion importante dans ta musique, je crois. Tout est question de vie et de mort dans ma musique : ce qu’on fait de notre vie, ce qui nous motive à nous lever chaque jour pour faire quelque chose de nos vies… Toutes ces choses m’obsèdent et me hantent littéralement.

Tu as vécu et grandi dans la campagne du Wisconsin et aujourd’hui tu parcours le monde et rencontres beaucoup de gens. Dans quelle mesure cela t’affecte, toi et ta musique?

Lorsque je vivais dans le Wisconsin, je rêvais de voir autre chose, de voyager, et aujourd’hui je désire souvent rentrer à la maison ! La dualité est intéressante. On dit que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Ces deux points de vue m’affectent. Voyager m’a certainement rendu plus courageuse : prendre l’avion, le train, dormir par terre parfois… Je suis devenue bien plus forte.

Et partager ta musique avec des publics dont tu n’avais même pas idée auparavant, qu’est-ce que cela t’évoque ?

C’est totalement surréaliste ! Qui aurait cru que je me retrouverais en couverture d’un magazine ? Pas moi en tout cas ! La chose la plus bizarre, c’est que j’étais arrivée à un stade où je n’allais rien faire de ma vie si ce n’est croire en moi. Cela peut sembler stupide, mais il y a un moment où tu dois avoir foi en toi et ce que tu fais, sinon c’est terminé avant même d’avoir commencé. Même si tout ce que tu fais n’est pas bon, au moins c’est honnête et tu y mets ton coeur.

Ta musique a des références 80’s très marquées qui relèvent d’une esthétique particulière. Pourtant l’esthétique que tu as choisie semble délibérément différente, empreinte de beaucoup de sophistication. Peux-tu nous en dire plus ?

L’aspect visuel est très important car je suis autant musicale que visuelle. Les deux sens se mêlent inextricablement. La musique fait souvent penser à des images, et, inversement, une image peut évoquer tel ou tel type de musique. Pour ce côté sophistication, je dirais que lorsque tu fais quelque chose, tu veux le faire de A jusqu’à Z. J’essaie d’être la plus claire possible dans ma démarche, soulever un questionnement mais aussi établir une sorte de déclaration d’intention.

Tu as choisi un visuel d’album très blanc, très vaporeux, à l’opposé de ce que l’on aurait pu attendre de toi…

Je ne voulais pas tomber dans le cliché dark avec ce disque, d’autant que je souhaitais lui associer une image plus aérienne, qui faisait plutôt référence à la bravoure. Je voulais de la légèreté, de l’optimisme, mais aussi une sorte d’énergie communicative et c’est en ce sens que l’on a travaillé sur la pochette.

Écris-tu tout le temps ?

En fait, je mets du temps à parvenir à la condition mentale pour écrire et composer. Les morceaux doivent arriver simultanément, dans la même période, sinon je ne pourrais pas parvenir à la cohérence que je cherche. Je dois être dans la même perspective quand je fais un disque, sinon cela ne fonctionne pas. Pour celui-ci, il m’a fallu trois mois pour écrire et trois mois supplémentaires pour le produire et le terminer.

Ton disque semble balancer entre des sons purement synthétiques et des choses plus organiques. Pourquoi ?

J’adore la musique électronique mais ici je voulais ce balancement entre organique et digital : des synthés avec des violons, des sons synthétiques avec une batterie live… À l’instar de ma propre dualité, je pense que je ne peux pas – et ne veux pas d’ailleurs – faire tout dans une seule direction. Ce doit être une question d’équilibre, entre noirceur et légèreté, digital et organique…

 

Propos recueillis par Joss Danjean

Photos : Antonin Guidicci 

Réalisation : Mari David