Tout doucement, sans heurts, elle s’est imposée en évitant les fracas médiatiques avec un parcours atypique. Il n’est pas si étonnant que cette actrice, scénariste et réalisatrice ajoute la chanson comme corde à son arc. Il faut dire que son joli minois candide et ses grands yeux bleus étonnés ont de quoi faire fondre… Rencontre avec la chanteuse, une fois n’est pas coutume, au moment du tea time, autour d’un moelleux au chocolat et d’un verre de lait.

Y a-t-il eu des réticences dans ton entourage lorsque tu t’es lancé ce challenge musical ?

Bien sûr, comme toujours. Mais c’est comme ça à chaque fois. Si j’avais écouté les autres, je n’aurais jamais fait mon premier long métrage, je n’aurais pas fait un album. tout le monde a toujours peur…

La musique, ça a commencé comment ?

Depuis toujours. J’ai toujours eu envie de chanter. C’est la vie qui a fait que j’ai débuté par le cinéma. Il ne s’agit pas d’un choix délibéré de ma part. Le cinéma a commencé assez vite et fort pour moi, et plus le temps passe, plus j’ai eu peur de me lancer. C’est comme lorsque l’on est petit, on a envie de tout faire, puis c’est devenu plus compliqué. J’étais une enfant qui avait envie de tout faire et mes parents m’ont élevé en m’expliquant qu’on pouvait tout faire : qu’on pouvait être astronaute, vétérinaire et chanteur ! Que rien n’était impossible. et quand j’ai commencé à faire du cinéma, je me suis mise à avoir peur, peur de faire du théâtre par exemple, de la chanson (que j’ai toujours voulu faire, même avant le cinéma), d’être réalisatrice (car travaillant avec des réalisateurs, cela me paraissait très compliqué). mais au bout d’un moment, ma notoriété d’actrice m’a permis de tout faire. Car sur les piles de CD ou de scénarios, je pense que j’étais attendue au tournant, négativement ou positivement, mais la curiosité était bien là.

Quand tu étais petite, tu chantais avec une brosse à cheveux devant ton miroir ?

Eh bien non ! C’était avec un vrai micro que l’on m’avait offert. Et, le soir, j’allais me costumer en noir et je faisais des concerts. Un jour, mon père passe devant ma chambre à 2 heures du matin et pousse la porte. il me regarde interloqué, en me disant : « mais tu es complètement folle », et referme la porte. J’avais 12 ans ! n’importe quoi !

C’était quoi tes influences ?

C’était seulement du français, très peu d’anglais, pas du tout de rock. Brel, Brassens, Barbara, Ferré, Polnareff, Berger, Souchon… les dimanches, allongée sur la moquette avec mes parents qui m’expliquaient les paroles des chansons, ce que veut dire Polnareff dans Lettre à France, ce que veut dire chimérique…la musique nous faisait parler de tous les sujets… c’est agréable lorsque l’on fait l’éducation d’un enfant à l’aide de chansons.

Les prémices de l’album, c’était plein de textes griffonnés ?

Oui, ça s’est écrit sur une période de dix ans, sur des cahiers, un peu partout. en ce moment, on me dit que je dois être quelqu’un de sombre pour avoir fait un album pas très gai. et pourtant c’est peut-être la quintessence la plus positive, car à chaque fois que j’ai eu un chagrin d’amour je l’ai transformé en chanson. le chagrin amoureux a toujours été un moteur pour moi. Finalement il n’y a que des chansons d’amour sur mon album. et je trouve qu’il n’y a rien de plus symbolique qu’une histoire d’amour pour changer quelqu’un. Je pense que c’est les gens avec qui l’on est et que l’on rencontre qui vous changent, qui vous blessent, qui vous rendent plus intelligent, qui vous font régresser parfois, qui vous rendent con aussi. et comme je suis une amoureuse de l’amour de surcroît. on se donne à corps perdu, on fait n’importe quoi. cela va au-delà de l’éducation et de ce que l’on connaît. on peut se perdre dans une histoire d’amour.

Le choix de Damien Rice pour travailler sur ton album s’est fait comment ?

Quand j’ai vu le film Closer (entre adultes consentants, ndlr), j’ai acheté la b.o. en sortant et je l’ai écoutée pendant des années. Je suis allé le voir au Trianon en concert… après je suis partie à Woodstock faire un album. on m’avait tout organisé, j’avais un mois pour le faire. Je n’avais pas vraiment envie de travailler de cette manière et j’ai demandé au manager : « peux-tu envoyer un mail à Damien Rice ? » comme on demande un cadeau au Père noël. Je n’y croyais absolument pas, mais je voulais essayer. Il était à Boston et quatre heures plus tard il est venu. J’ai eu une chance inouïe. Il était dans un trip où il faisait un grand voyage et restait ou pas au gré de ses rencontres. il n’avait pas spécialement envie de rentrer en Irlande à ce moment-là.

Le disque était prévu en français et en anglais ?

Non, on voyait ça complètement en français de a à Z, mais en travaillant avec Damien les titres en anglais se sont imposés.

Et tous les textes sont de toi ?

C’est cela, les textes sont de moi et les mélodies sont de Damien et moi, mais aussi de Joel Shearer car, après avoir travaillé ensemble sur six morceaux, Damien voulait ajouter quelque chose de différent et c’est lui qui a appelé Joel qu’il connaît bien. on a été un trio de choc, car on a chacun une manière différente de bosser. cela s’est avéré dur, facile, compliqué, passionné… on a vécu toutes les phases en fait ! on a chacun un égo et une façon de travailler différents. c’était chouette de travailler à trois. Et Damien parlant un peu le français c’était plus facile alors que Joel ne parle pas un mot, donc je lui traduisais les phrases, à ma manière car je ne suis pas très forte en anglais moi-même. bien sûr, il y a eu des heurts, des mots, des frictions, mais des fous rires aussi, beaucoup d’intensité et d’émotion…

Sur quelle période s’est fait l’album ?

On a mis deux, trois ans, car entrecoupés de tournages, d’enregistrements. On a travaillé un peu partout : en Irlande, en France et à Los Angeles. En t’attendant a été enregistré dans ma chambre, sur mon lit presque. Bien sûr, tout a été retravaillé en studio. Mais c’est évident qu’il fallait le faire comme cela.

On sent une balance entre un côté introspectif intimiste et un côté plus grandiloquent ?

C’est vrai qu’on a pas mal de piano et beaucoup de violon, et des envolées plus électriques, « très Damien », souvent dans le même morceau d’ailleurs, et ça c’est que ce je voulais. Dans Kiss, Il fait gris, Uncomfortable, Everything : j’adore Damien pour cela. Dans les groupes de cette veine, j’adore Sigur Ros, Arcade Fire, par exemple.

Un côté donc délicat et sensible, mais aussi une énergie et une force qui ne demandent qu’à éclater…

Oui, et puis aussi je savais que j’allais faire de la scène. Je savais que j’allais mourir de peur en me confrontant à cela. J’ai d’ailleurs commencé très fort en faisant Taratata avec Johnny hallyday. Quand j’ai fait Uncomfortable sur scène à reims, j’ai pris un pied incroyable !

Vous êtes combien sur scène ?

On est sept en tout, j’ai cette chance d’être entourée par de formidables musiciens. Je voulais avoir cette sensation sur scène. Je pensais que je pourrais y goûter en faisant du théâtre, mais en fait on était seulement deux comédiens et le metteur en scène et je suis restée sur ma faim. Du coup, je n’avais jamais vécu ce côté bande de copains sur scène et j’en avais très envie. C’est une nouvelle expérience avec de nouvelles sensations que je n’ai pas connues avec le cinéma.

Tu t’es posée la question entre musique, tournée et cinéma ?

Déjà, jusqu’au 15 juillet, je suis en tournée. J’avais pris ma décision et j’en étais consciente dès le début. J’ai hâte d’être à la Cigale. et puis je suis en promo de deux films, donc j’ai encore la double casquette en ce moment. et puis, côté cinéma, j’attends un beau projet qui me donnera envie de repartir en tournage. et puis on se débrouille toujours : un tournage c’est deux mois, donc on peut mener les deux de front. Et puis pourquoi ne pas m’arrêter aussi un peu. J’ai l’impression de travailler tout le temps. Je ne pars jamais en vacances et je sens que je vais avoir besoin de vivre un peu et de me ressourcer.

Quand on lit la dédicace de fin de ton album, tu écris : « À mes amours perdues, à mon désespoir, à mes insomnies et rêves agités, à mes délires d’un soir… » Ce n’est pas très réjouissant !

Je ne considère pas la mélancolie comme quelque chose de négatif. en fait, j’ai fréquenté pas mal de chanteurs et de musiciens et cela m’a toujours choquée d’entendre des choses comme : « je suis super content du single, tiens écoute c’est génial ». alors que dans le cinéma on ne dit jamais : « regarde mon film je suis top dedans » ! maintenant que je fais de la musique, je comprends qu’il faut aimer sa musique pour aller la défendre sur scène. moi j’aime la musique mélancolique. Je peux avoir la grosse patate sur Ton héritage de Biolay, écouter du Brel à fond la caisse en préparant un dîner. J’adore écouter Avec le temps de Ferré, car cela m’inspire…

Les mélodies de tes chansons ne sont pourtant pas forcément en mode mineur.

C’est bien aussi de contrebalancer les choses. Je ne veux pas me complaire dans le mélo non plus… même si cette petite intro de Début et Fin n’est pas vraiment gaie. À la base, j’avais construit mon disque comme un film que j’avais écrit et l’ordre des chansons suivait donc ce scénario. et puis il a fallu organiser une production, organiser le tournage d’un moyen métrage, et ensuite j’ai revu ma copie. Je me suis dit : d’abord, fais ton album. Fais ton nom. et lorsque tu auras testé les deux, tu feras les deux, sur un second projet. chaque chose en son temps ! Dans un autre ordre, il est très logique cet album et certainement moins sombre d’ailleurs. Parce qu’en fait, toutes ces histoires d’amour m’amènent à la question que je pose à mon père : est-ce que je vais trouver l’amour ? et je le trouve ! en fait, il faut mettre Papa et kiss à la fin (rires) !

Tu as l’habitude d’endosser des personnages et cette fois ces histoires sont assez personnelles. Ce n’est pas trop déstabilisant de se mettre un peu à nu comme cela ?

Je n’ai jamais eu autant le trac ! alors que devant la caméra je n’ai jamais le trac, maintenant c’est presque mon quotidien avec cet album. mais je fais aussi de la musique pour avoir le trac. Je pense que ce n’est pas bien de ne plus avoir le trac, cela fait trop longtemps que je n’avais plus ressenti cela.

Il y avait donc une envie de ta part de te mettre en danger ?

Toujours. l’an dernier avec le tarantino (Inglorious Bastards), je pouvais penser à rester tranquillement vivre là-bas et je suis allé me mettre sur une scène de théâtre tous les soirs. J’ai cru que j’allais crever de peur. mais c’est dans cette posture que j’avance. D’abord, je m’ennuie vite et si je n’ai pas le trac, j’ai l’impression que c’est facile et je ne veux pas trouver cela facile. Je trouve que ce n’est pas bien, qu’on devient bête. on s’intéresse moins. moi, j’ai tendance à être paresseuse, mais je ne me lance pas dans plusieurs projets, je peux avoir vite tendance à ne rien faire. la vie, ça sert à faire plein de choses. Quand j’étais petite, je ne pensais pas que j’aurais une vie aussi folle : travailler avec tarantino, apprendre l’anglais, jouer du piano, rentrer à Paris pour faire du théâtre, repartir en irlande pour écrire des chansons. tu montes une boîte de production, tu écris ton film, tu diriges tes acteurs, tu bosses avec une équipe de 60 personnes et techniciens, tu les embarques pendant quatre mois, et tu pleures à la fin, quand c’est fini. bien sûr là il faut que je ralentisse, car cela fait quatre ans que je tiens sur l’excitation comme un gosse qui découvre le monde. Je savais aussi qu’on m’attendait au tournant : ah, encore une actrice qui chante ? J’ai hâte de voir avec qui elle a travaillé pour ses chansons… eh bien il se trouve que les chansons sont de moi, et toc ! il faut toujours se justifier… (grrr) tout le temps, je me dis que j’en fais trop. mais, en même temps, je suis honnête, je fonctionne à l’envie. et puis il faut dire qu’à la base il n’y a pas de single sur cet album et je joue beaucoup d’argent dans cette histoire ! Je me suis permise de faire une parenthèse, de rencontrer d’autres artistes, de voyager à l’étranger – ce que je déteste…

C’est vrai que ton album est atypique pour un disque français.

Complètement ! toute l’équipe est étrangère, de l’ingénieur du son au mixer, ce qui fait sonner le tout anglais, mais avec des textes en français. c’est comme mon premier long (Les Adoptés) qui ne fait pas français du tout, mais plutôt suédois avec des plans et des lumières, des flous artistiques… Je pense que le prochain album sera plus rock, ça vient de la scène bien sûr… encore une envie de plus… moi j’aime bien danser !

Mélanie Laurent, En t’attendant (Mely Productions/Atmosphériques)

www.melanielaurent-music.com

Propos recueillis par Joss DanJean
Photos : Benni Valsson
Réalisation : Flora Zoutu