Féminisme, androgynie et maintenant masculinisme, la mode n’en finit plus de remettre en question les mœurs actuelles. Des pénis timides de Rick Owens aux couettes tressées d’Hood by Hair, étude à la loupe.

 

DICK OWENS GATE

“Pourquoi vos parents vous ont-ils dit que vos pénis étaient moches?” C’est la question posée par Rick Owens lors d’une interview avec Surface Magazine paru durant l’été. Le designer américain revient sur la polémique qu’avait déclenchée Sphinx, sa collection masculine pour l’automne/hiver 2015, où les modèles ont défilés à pénis découverts. En quelques minutes le hashtag #DickOwens enflammait la toile et posait la question de la nudité en mode. « La nudité est l’un des gestes les plus simples et les plus primales, c’est l’effet coup de poing. C’est puissant» continu le designer lors du même entretien. Un moment qui coïncide avec un regain d’intérêt de l’industrie pour le vestiaire masculin depuis dix ans et plus encore depuis les trois dernières années et qui n’est pas aussi innocent que le créateur avait voulu le faire croire au début de la polémique. « Le fait qu’il ait ressenti le besoin de montrer le sexe masculin a une importance énorme, mais nous n’irons pas jusqu’à parler d’un avant ou après Rick Owens montrant l’instrument masculin » commence Arnold van Geuns, moitié du duo Ravage, collectif de designers responsables du Mens Book pour l’agence Li Edelkoort, avec qui nous avons pu nous entretenir à ce sujet. « Je pense qu’en agissant de la sorte, il a tué, peut-être intentionnellement, la sexualité. Montrer un sexe découvert ruine entièrement l’idée de ce que l’on pourrait appeler ’le jeu des grandes attentes’. Peut-être a-t-il été tellement loin dans le fait de mixer les genres qu’il avait besoin de nous rappeler que c’était vraiment un garçon qui portait les vêtements lors du défilé » ajoute-t-il sur le ton pince-sans-rire qui devait caractériser notre entretien. Une idée que plussoie Franck Lamy, commissaire de l’exposition Chercher le garçon qui s’est tenue au MAC/VAL du 7 mars au 30 août dernier. Réunissant une centaine d’artistes, mâles pour la majorité, l’exposition avait pour but de questionner et redéfinir le paradigme masculin à partir des théories et postures féministes développées depuis les années 1960. « Dans l’espace public, la nudité est un geste fort de résistance et d’affirmation. Le corps fait alors irruption, événement, au sens littéral, dans le cours du réel » affirme-t-il dans Boys Keep Swinging, article écrit pour le catalogue de l’exposition. En mode, les parties intimes sont longtemps restées un tabou, jusqu’à la présentation du turc Hussein Chalayan pour sa collection femme printemps/été 1998, où les modèles ont défilé dans des tchadors se raccourcissant d’une fille à l’autre, jusqu’à ne laisser qu’un voile sur le visage. Si le défilé a provoqué un tollé à l’époque puisqu’il offrait une autre vision de la femme moderne, il renvoyait aussi à la question : peut-on montrer le corps et ses parties génitales lors d’un défilé ? « Ce que l’on peut voir dans le travail de designer tel que Craig Green, Rick Owens et d’autres encore, c’est l’exploration des frontières/barrières entre les genres. Leurs ‘expérimentations’ ne sont pas réellement des tendances ; je préférerais appeler ça une recherche de ce qui peut être fait à l’intérieur ou à l’extérieur de ces barrières. Une sorte de travail de laboratoire. Des nouveaux codes pour l’homme et la femme en seront le résultat » explique Arnold van Geuns.

Un mannequin défile pour Rick Owens à la Fashuion week parisienne.