Peu habituée à la critique, la maison Balenciaga a fait l’objet la semaine dernière d’un lynchage gentillet de la part d’Ikea. En cause ? Le dernier it-bag de la marque aux faux-airs du sac de transport inventé par le géant suédois. Les marques de luxe n’en sont pas à leurs premiers et derniers coups d’essai en termes de « réappropriation populaire ». Pourquoi les grandes maisons s’inspirent-elles d’objets initialement utilisés par monsieur et madame tout le monde ? Hommage ou condescendance inconsciente ?

Le mythe de la bonne guerre

La semaine dernière, Balenciaga a présenté son dernier it-bag, le Arena Extra-Large Shopper Tote Bag sur sa page Facebook. Copie quasi-conforme du sac de course Ikea nommé Frakta – mise à part le prix – il n’a pas fallu longtemps à la firme suédoise pour réagir avec humour. Le résultat ? Une affiche toute simple mais efficace, donnant des conseils afin de reconnaitre LE vrai sac Frakta – « En le secouant, s’il bruisse, c’est le bon » – buzz assuré. La fausse campagne, relayée par des médias du monde entier a fait rire des milliers d’internautes qui ne se sont pas fait prier pour partager à leur tour.

Ikea-Modzik
Ikea

Deja vu

Ce n’est pas la première fois que le monde du luxe s’inspire d’accessoires du quotidien. Souvenez-vous, Marc Jacobs alors directeur artistique de Louis Vuitton à l’époque avait défrayé la chronique avec son sac cabas motifs tartan largement inspiré du très pratique sac de l’enseigne low-cost française Tati. La très chic maison Céline s’est-elle aussi éprise du motif tartan made in Tati Barbès pour sa collection automne/hiver 2013 pour des manteaux over-size.

Quant à Jeremy Scott, roi du détournement, il s’est inspiré d’un produit de grande consommation pour son parfum Moshino Fresh Couture, qui n’est autre qu’une fausse bouteille de lave-glaces. Même format longiligne, même bec pistolet et même couleur bleu pour le liquide. Si l’on trouve le produit d’entretien à moins de 5 euros en grande surface, la fragrance griffée coûte, quant à elle, la modique somme de 82 dollars. Enfin, plus récemment, le pointu et discret label VETEMENTS dirigé par Demna Gvasalia s’est essayé à la chaussures chaussettes, avec des briquets Bic en guise de talons.

Moschino SS16

Explications

Comment expliquer le besoin des marques de luxe de s’inspirer d’objets du quotidien ? Ces mêmes qui sont initialement destinés à un public qui ne peut pas acheter un sac à 1500 euros. Frédéric Godart, sociologue spécialisé de la mode, répond « la mode en tant qu’industrie de la création s’inspire de multiples sources, qu’il s’agisse des autres arts comme la peinture ou de la vie quotidienne. Pour ce qui est de la vie quotidienne, cette récupération par la mode est un fait courant et les exemples abondent. Par exemple, les épingles à nourrice récemment utilisées par Sonia Rykiel ou Anita Ko (en or rose et diamants). Il s’agit avant tout d’un mécanisme créatif ancestral : faire du nouveau pour plaire à la clientèle, qui peut être négativement perçu comme une forme de supercherie tant le décalage entre le quotidien de la plupart des consommateurs et le monde du luxe peut être significatif ». La faute à la créativité si ces objets du quotidien sont source inépuisable des grands créateurs. Quant à la question de l’intention des designers face à cette réappropriation, difficile de juger pour Frédéric Godart, estimant que l’on connait rarement l’intention des créateurs et qu’il peut s’agir d’hommage à un aspect particulier de l’existence, d’actes purement esthétiques ou parfois ironiques. Une chose est certaine, les réactions du public seront toujours vives et globalement négatives. « Ces objets du quotidien, symboliques pour certains sont récupérés pour générer du profit » conclut-il. Et si c’était à cause de la crise ? Elle a bon dos.