Peu ont su, comme lui, restituer la démesure du corps humain et sa puissance presque vaine. L’artiste aux toiles et aux sujets monumen- taux n’a de cesse de peindre des colosses aux pieds d’argile, dans une lutte acharnée face à la grandiloquence de la vie.

PAR MATHILDE JANIN

La peinture de Freud a souvent été qualifiée d’organique, étrange qualificatif pour une œuvre qui prend finalement assez peu en compte les organes et autres abats. Au contraire, elle se concen- tre sur les enveloppes, les contenants. Les chairs sont flottantes et semblent par endroits vidées. Si la transparence de la peau n’est pas niée, c’est pourtant toujours pour présenter des corps hermétiques.

C’est sur cette notion de clôture que joue la rétrospective qui lui est consacrée. Celle-ci se concentre sur l’atelier du peintre, cet

Espace fermé où il peut abstraire les corps de ce qui définit leur humanité, c’est-à-dire leur environnement. Aussi, longtemps boudé par le public français, l’artiste n’est pas, comme certains ont pu l’écrire par le passé, un néo-réaliste. Le corps vidé de ses organes, vidé de son contexte de corps, s’écarte de la réalité et dépasse sa simple fonction, qui est de vivre, qui est d’habiter le monde.

Aussi la peinture de Freud est-elle morbide, désespérément. Elle est assemblage de bleus et verts sur fond rose, comme autant de reflets sur les ailes d’une mouche ou tout autre chose qui évoque la pourriture. Les visages sont brouillés, ce sont des assembla- ges de zones sombres jusqu’à l’abstraction, comme une ultime pudeur face à la cruauté des tableaux.

On regarde l’œuvre de Lucian Freud et l’on pense aux peaux qui s’entrechoquent, à la réalité affreusement dermique des corps ; on devine ce qui se déplace, ce qui se meut sous la chair, on ne perçoit que monceaux de graisses, de tendons, de muscles sanguinolents, mais rien qui fasse vivre. On regarde l’œuvre de Lucian Freud avec, déjà, un pied dans la tombe. 

Lucian Freud – L’Atelier. Jusqu’au 19 juillet 2010 Centre Pompidou – Place Georges Pompidou – Paris IVe