Kenzo Takada affirmait : « Côté mode, j’aime de plus en plus la simplicité des formes intemporelles, les imprimés qui font rêver d’espace et de nature, les vêtements de loisirs qui invitent aux voyages ». Force est de constater qu’il a trouvé en Antonio Marras un digne explorateur de ses utopies fashion.

Que ce soit dans l’antre mythique, au 3, place des Victoires, qui marie Art déco et estampes japonaises ou pour la dernière collection Printemps/eté Hom- mes 2010 qui rend hommage à l’explorateur Pierre de Brazza et qui offre une profusion de teintes et de matières, et jusque dans le choix des chansons de ses spots publicitaires (« The Wanderer » de Jil is lucky), l’émancipation des carcans géographiques et des frontières physiques constitue la marque de fabrique de Kenzo, comme le rappelle Antonio Marras : « J’aime à considérer Kenzo comme un véritable univers créatif dépassant les simples frontières du microcosme fashion. Cela fait d’autant plus sens que l’essence même de la marque a toujours été alimentée par l’idée des voyages nomades et des tribus lointaines. D’ailleurs je préfère le terme de « tribu » à celui de « famille » car il englobe plus précisément cette idée de communauté de gens qui se retrouvent dans le partage d’une même vision. J’imagine alors les amateurs de la marque comme des personnes certes différentes mais unies par des aspirations communes. »

En relisant L’Invitation au Voyage de Baudelaire, on imagine aisément de légères et vaporeuses étoffes Kenzo vêtant les protagonistes qui songent « (…) à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble ! / Aimer à loisir / Aimer et mourir / Au pays qui te ressemble ! ». en se replongeant dans l’Utopia de Thomas More, on visualise sans peine Kenzo Takada en utopus, créateur inspiré de l’île d’utopia-Kenzo, et Antonio Marras en Raphaël Hythloday qui, en décrivant l’île, s’impose comme son principal pourfendeur. Alors, au  déracinement du Maître (arrivé en France en 1964), ce dernier oppose un attachement profond à ses racines sardes qui, loin d’être pénalisant, lui assure un équilibre primordial : « Lorsque vous naissez sur une île, vous grandissez par étapes : d’abord vous apprenez à connaître votre maison, puis votre voisinage, ensuite votre village et enfin la « grande » ville proche… Mais vous atteignez très vite les limites de cette progression. Vous vous retrouvez alors devant l’immensité marine qui vous empêche de poursuivre cet apprentissage.
Soit vous considérez cette barrière naturelle comme la fin de votre voyage, soit vous dépassez ce postulat et vous voyez la mer comme une nouvelle route que vous pouvez emprunter pour atteindre d’autres buts et pays. C’est ce que je ressens. Je n’ai jamais considéré mon attachement à mes racines et à mes origines comme un frein à mes découvertes et à mes voyages. Au contraire, je l’ai vu comme le point de départ de tout ça. Mieux, j’y reviens toujours pour réinterpréter et digérer mes différents voyages ».

Et alors que la marque fête ses 40 ans, les dernières collections, tant dans leurs motifs que leurs tissus et matières, font l’éloge de la diversité : « Toutes mes collections font honneur à l’héritage Kenzo (…). J’aime surtout l’idée de métissage dans la lignée de l’inspiration de Kenzo, le premier à avoir senti toute la portée de cette mode hybride constellée de multiples influences. Il est arrivé dans un monde fashion assez étriqué avec ses défilés dans la rue. Il a imposé sa vision de la jeune fille libre et décomplexée, qui se jouait de la mode et qui contrastait avec l’image surannée de la « bourgeoise prisonnière des conventions vestimentaires », éten- dard des Maisons de la Rive Gauche. La femme qu’il habillait devenait différente, maîtresse de ses choix, élégante.

Au paradigme monopolistique de la mode parisienne, il a opposé ses influences multiculturelles. ses thuriféraires étaient bohèmes et de véritables exploratrices modernes. Oubliées les robes de cocktail à l’heure du thé ou les tailleurs du matin, place aux coupes kimono, aux couleurs et aux fleurs ! « C’est ce que j’apprécie dans cette Maison : ce sens aigu et original de la beauté et ces créations hommages à la diversité et aux cultures. Je pense qu’elle a envoyé un message fort à l’univers fashion et a ouvert la voie à de nombreux créateurs ».Et lorsqu’on l’interroge sur ses desseins, l’enfant rêveur d’Alghero se découvre plus pragmatique : « J’adorerais renforcer mais aussi moderniser l’héritage de la Maison, dans ses codes et ses valeurs. Il existe pléthore de concepts qui me semblent opérants : celui d’une mode « globale » ou d’hybridité et de mixité d’éléments constitutifs… mais pas seulement. » Pas de doute dès lors que Kenzo restera pour longtemps et pour beaucoup la marque de l’évasion, du dépaysement et du multi- culturalisme.

Par Florent Oumedhi