Kitsuné a dix ans. L’âge de raison? Pas tout à fait. La griffe à double casquette, ligne de vêtements/label de musique continue de se démarquer en proposant un concept qui a fait ses preuves au fil de la décennie 00. un esprit de fantaisie qui a bâti sa réputation sur son exigence et ses ingéniosités. Rusé le renard… Rencontre avec Gildas Loaëc et Masaya Kuroki, les deux instigateurs de ce projet fou.

Comment passe-t-on d’un magasin de disques à un label et à une bou- tique de vêtements ?

Gildas : J’avais un petit magasin de disque à Paris dans le 1er qui s’appelait Street Sound, juste en face d’un magasin de skate, Street Machine, véritable spot où les kids se retrouvaient. Il y avait une émulation rue Bailleul. Et j’y ai rencontré Masaya. Thomas et Guy-Manuel des Daft Punk venaient souvent au magasin. J’ai donc commencé à travailler avec eux, et j’ai immédiate- ment pensé à Masaya, bilingue japonais, pour le clip animé que Daft Punk voulait réaliser, Interstella 5555. On s’est rendus plusieurs fois au Japon dans ce cadre-là. C’est en arpentant les concept stores de la ville que nous avons décidé de fonder notre projet.

Pourquoi Kitsuné ?

Masaya : Ça veut dire « renard » en japonais. On dit qu’il a plusieurs facettes, plusieurs têtes. L’idée de la marque est de proposer différents formats d’ex- pression avec une seule identité.

Comment dénichez-vous les artistes que vous signez sur le label ?

g : J’ai travaillé avec Daft Punk pendant plusieurs années, j’avais donc déjà une connaissance de l’industrie du disque et un réseau. La reconnaissance du label et le réseau installé à l’international font qu’on est en contact avec beaucoup d’artistes et de managers. La compilation Kitsuné Maison est un tremplin pour beaucoup d’artistes. Y figurer, c’est se faire découvrir sur certains territoires. On est parfois amenés à aller en studio pour faire un album avec certains projets présents sur les premières compilations du label. On a donc réussi à attirer des noms prestigieux de la musique électro- nique et de la pop indé de ces dernières années sur nos compilations. On a eu Late Of The Pier ou Hot Chip avec qui on a adoré collaborer, mais aussi The Drums, Gossip et Digitalism, dont on a produit le premier album. On a participé à révéler Metronomy il y a cinq ans. Nous privilégions beaucoup nos goûts personnels, qui sont anglo-saxons, dans les artistes que nous choisissons. Je voulais donc piocher sur le terrain des Anglais. Il ne faut pas oublier que c’est eux qui ont inventé la pop music. On a signé Two Door Cinema Club et fait disque de platine en Angleterre. Ça, c’était du défi ! La musique est une passion que nous avons en commun avec chacun de ces artistes.

Vous aviez déjà des connaissances dans le milieu de la mode ?

m : Non, j’ai appris sur le terrain, dans les ateliers, auprès des fabricants. On s’est créé notre propre espace de vente. On travaille avec beaucoup de multimarques. Pour le moment, nous n’avons qu’une boutique à Paris, nous en ouvrons une autre à New York au mois de mars. Nos vêtements sont principalement vendus via d’autres enseignes. Nous ne faisons pas de publicité dans les magazines, nous n’organisons pas de défilés, mais on a un pied dans la mode. Nos clients ont le profil type des consommateurs de vêtements de créateurs, ce ne sont pas les acheteurs de prêt-à-porter, ni de streetwear, car le prix qu’on propose est assez élevé. Il fallait donc penser à un espace de vente en adéquation avec ces considérations. Nos vêtements sont donc vendus aux côtés de griffes haut de gamme comme Margiela. Je ne pense pas qu’on apporte quelque chose en termes de style, mais davantage en termes de qualité. En ayant conscience de cela, nous avons crée nos premières collections avec une ligne homme: jeans, polos, chemises et cardigans. On avait ainsi trouvé notre garde-robe de base. Et chaque saison, on a essayé de l’enrichir en proposant des styles nouveaux. Depuis ces trois dernières années, les collections commencent vraiment à être complètes. On a 30 ou 40 looks différents.

Vous dessinez vos propres modèles ?

g : Oui, c’est Masaya qui dessine les pièces. Aucun de nous n’a d’historique dans la confection. On est un peu autodidactes dans l’aventure de la marque de vêtements.

m : Les fabricants de tissus font la tendance, et je m’en inspire beaucoup. Je me sens un peu apprenti lorsque je suis auprès d’eux. Je vais chez eux avec mes dessins, et ils m’apportent leur expérience.

Votre ligne homme semble bien implantée. Maison Kitsuné n’est-elle pas une marque davantage masculine que féminine ?

m : Pour l’instant oui, effectivement. Nous développons la ligne femme doucement. Nous avons réussi à trouver l’identité de l’homme Kitsuné. En ce qui concerne la femme, il y a plus de recherches de matières et de formes. Ça prend donc un peu plus de temps.

Vous multipliez les collaborations, notamment avec Petit Bateau, J.M Weston, Corto Moltedo. C’est un besoin ?

m : C’est important pour nous, oui. On apprend beaucoup auprès de ces maisons, c’est très inspirant de travailler avec des personnes qui ont autant d’expérience. C’est un échange d’idées.

Avec le sac, fruit de la collaboration avec Corto Moltedo, visez-vous le it bag ?

g : Non. Ce serait un accident heureux, ceci dit ! On n’a pas du tout cette prétention et on est loin de cette démarche pour le moment.

Vous vous diversifiez. Avec J.M Weston, vous vous êtes lancés dans la chaussure, avec Corto, dans le sac. Pourquoi ?

g : On aime bien explorer de nouveaux territoires, sur lesquels on n’est pas encore du tout implantés.

Vous semblez aux antipodes de la conception traditionnelle de la mode, sans cesse changeante, en proposant des pièces intemporelles, tendances mais pas trop marquées sur l’année. Pourquoi ce choix ?

m : On n’essaie pas de faire quelque chose de tendance. La pièce l’est peut-être lorsqu’elle sort, mais elle le sera tout autant dans cinq ans. On aurait pu la proposer il y a dix ans également. Vous ouvrez une boutique à New York en mars.

Était- ce important pour vous d’être implanté aux États- Unis ? Est-ce un accident ou une véritable volonté ?

g : Le territoire où on s’aventure le plus est le Japon. On est vendus dans certains points de vente aux États-Unis, Barneys ou encore Ope- ning Ceremony. Et grâce à un heureux concours de circonstances, on a eu l’opportunité d’ouvrir notre deuxième boutique à New York. On n’y pensait pas vraiment, mais on a saisi l’occasion.

Entrevoyez-vous cet espace de la même manière que ce que vous proposez à Paris ?

g : L’idée est de garder le « french cachet ». Masaya a dessiné un appartement haussmannien, dans un esprit très 7e arrondissement, avec des moulures et du marbre. On amène vraiment Paris à New York. On a poussé ce projet là jusqu’au bout. Ce sera très exotique pour les locaux!

Le fait de garder votre indépendance, de ne pas faire appel à des investisseurs extérieurs, est-ce important pour vous ?

g : Oui bien sûr, tant qu’on a la possibilité et les moyens de garder cette indépendance. Ça nous a souvent valu d’être taxés de businessmen. Le challenge est d’être encore là demain. Les projets qu’on fait ont tous une réalité économique, ils doivent tous être rentables. C’est pour cette raison qu’on réalise des collections assez pragmatiques malgré tout.

Vous avez mené de front la musique et la mode. Avez-vous d’autres envies périphériques ?

g : Notre objectif est de nous améliorer dans ces deux domaines. Je crois qu’on est assez besogneux et exigeants pour cela !

m : On aimerait quand même proposer une marque de produits. C’est pour ça qu’on réalise plusieurs lignes comme « Kitsuné Tee », collection pensée pour les jeunes, la ligne « Parisien », qui est vendue exclusivement 52, rue de Richelieu. On a envie de parler à des générations différentes. Pour le moment, les consommateurs de la collection basique ont entre 30 et 40 ans et même un peu au-dessus, ceux de « Kitsuné Tee » sont plutôt des teenagers. La ligne « Parisien », qui n’est pas encore finie, définit un style du même nom, du moins celui qu’on imagine, et vient s’adresser à une tranche d’âge intermédiaire.

g : L’idée est de faire un vrai label de musique, et une vraie marque de vêtements.

Votre double identité vous a-t-elle parfois posé des problèmes en termes de crédibilité ?

g : De manière générale, on attend d’un label de disques qu’il soit exclusivement… un label de disques. On a donc eu droit à quelques remarques, telles que « Kitsuné n’est pas un vrai label de disques puisque c’est aussi une marque de vêtements ». Mais au fil du temps, on a gagné nos galons. Ce sont deux mondes créatifs, qui devraient être ouverts. Or parfois, on aperçoit quelques réticences.

Peut-on imaginer qu’un jour Kitsuné organisera son défilé concert ?

g : Un jour, pourquoi pas. On n’est pas non plus pressés.

m : Kitsuné n’est pas encore dans cette démarche de démonstration. Peut-être lorsque le projet sera plus abouti.

Et quand vous regardez en arrière, quel regard portez-vous sur votre projet actuel ?

g : On est très contents de ce qu’on fait, on a des journées sympas, que demander de plus ?

m : Nous sommes loin d’être arrivés au bout de nos deux aventures. Nous sommes littéralement obsédés par la qualité, et nous essayons sans cesse de nous améliorer aussi bien du côté du label que de la ligne de vêtements, par le choix des matières que nous utilisons. Ouvrir une boutique à New York, on ne pouvait pas penser mieux.pour nos dix ans! Les prochains objectifs : Tokyo, Hong Kong, sans oublier Paris Rive Gauche.

Chronique

Pour fêter son dixième anniversaire, Kitsuné sort le deuxième volume de sa série Kitsuné Parisien, une compilation qui regroupe les nouveaux projets les plus excitants de la scène parisienne, à commencer par tomorrow’s World, duo composé de Jean-Benoit dunckel (air) et de Lou hayter (new young Pony Club). sans oublier le trio rennais Juveniles, les balades électroniques d’Owlle ou encore la verve pop aux accents new wave de Lescop. 100% Français !

Kitsuné Parisien II Par Gildas et André (Kitsuné)

Propos recueillis par Joss Danjean
Photo Emmanuelle Tricoire