Il était pour le moins attendu que l’effet The XX allait nous apporter un coup de frais dans le paysage musical. Mais c’est un petit prince de 23 printemps rompu au dubstep, l’Anglais James Blake, qui donne un nouveau coup de pied salvateur dans la fourmilière. Après quelques maxis, et une cover totalement habitée du Limit To Your Love de Feist, il livre un premier album déconcertant de fraîcheur et de maturité. Une interview débridée, menée dans la cour du studio photo parisien où notre équipe a réalisé cette séance à la faveur de la nuit tombante… 

Comment as-tu débuté dans la musique ?

La musique a toujours été là dans la vie. Je ne me suis jamais posé la question de si je voulais faire autre chose. Je n’avais pas de plan b.

Tu as toujours chanté ?

mes parents chantaient déjà eux aussi. On faisait des harmonies ensemble lorsque nous nous déplacions en voiture pour aller à la mer ou autre.

Comment expliques-tu que ta musique soit aussi sombre pour quelqu’un de si jeune ?

Je ne sais pas si elle est vraiment sombre, mais il s’agit bien sûr d’introspection.

La musique a-t-elle des vertus thérapeutiques pour toi ?

Tout à fait. c’est cathartique. La musique a bien souvent des vertus. Elle m’aide à faire ressortir des choses qui sont en moi, que je suis incapable d’exprimer autrement d’ailleurs.

Tu as dit que chanter était une libération…

Et je confirme. Je suis toujours impatient de chanter, encore plus que de jouer en fait. J’aime l’équilibre entre le travail de son en studio et le live où le chant prend toute sa dimension. Hier soir, je donnais un live à Londres, à St Pancras Church, et chanter dans une atmosphère pareille était vraiment électrisant. J’aime que les vocaux soient purs et délicats. J’aime que la musique soit texturée, travaillée, mais pas pour autant surchargée. Je prends grand soin à ce que ma musique respire. et je m’attache à ce que la musique et la voix aient chacun leur espace, sans débordement.

Ton titre I’ve Never Learn To Share est assez ahurissant dans son genre.

Il ne s’agit pourtant que de deux lignes qui sont répétées comme une sorte de mantra, avec une fois de plus une texture sonore assez marquée. étrangement, on me parle beaucoup de ce morceau…

Tu as des frères et sœurs ? D’où provient ce morceau ?

Et, pourtant, je n’ai ni frère ni sœur. Je n’ai même pas le souvenir du moment où j’ai écrit cela. Par contre, je me souviens l’avoir chanté. Cette phrase veut dire quelque chose pour moi, même si je ne sais pas ce que cela signifie exactement. Cela m’intrigue et cela m’est familier également. Cela a forcément un sens et c’est étrange…

Dans ton album, tu as choisi de reprendre un morceau signé de la Canadienne Feist. Pourquoi ce choix ?

Je n’ai pas pour habitude de faire beaucoup de reprises. Je préfère m’attacher à développer ma propre musique. Mais j’ai choisi de conserver ce titre pour l’album parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une reprise. J’ai entièrement produit ce morceau, je l’ai réarrangé. Je l’ai fait mien en quelque sorte.

Les textes de tes morceaux ont-ils une vraie signification pour toi ?

J’ai écrit moi-même tous les textes. bien sûr, il y a un sentiment d’isolement qui plane sur le disque. quant aux sujets que je peux évoquer, je crois que mes textes parlent d’eux-mêmes et quelques fois il faut aussi lire entre les lignes. Je ne souhaite pas donner toutes les clefs, mais laisser aussi les auditeurs comprendre ce qu’ils veulent dans ma musique. chacun peut y trouver des choses qui font écho à sa propre vie et à sa sensibilité. de mon côté, j’ai grandi en écrivant ces textes. aujourd’hui, cela me semble presque un disque de jeunesse. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup changé depuis ces morceaux.

Cela t’arrive-t-il d’avoir des paroles qui hantent ton esprit, à tel point que tu doives absolument faire quelque chose avec ?

Complètement ! J’écris toujours mes textes sous forme de poèmes, sur le papier. Ensuite vient la chanson. mais en fait j’aime casser cette idée de processus. Ne jamais refaire la même chose. Ne pas me répéter, si possible.

Tu fais plutôt de la musique de manière personnelle, ou dans le but de toucher les gens ?

Je pense qu’à 70 %, c’est avant tout pour moi. Ensuite, oui, j’aime à penser que je peux toucher les gens avec ma musique. Je crois qu’on fait toujours de la musique pour soi, et c’est pour cela que les gens l’apprécient. Si l’on fait cela pour plaire, au final on se fourvoie et cela devient inintéressant. On devient prisonnier de schémas et il n’y a rien de pire à mon sens.

Que ressens-tu lorsque tu livres ces morceaux qui sont assez personnels au public ? Que tu les libères ?

Quand je termine une chanson, je ressens comme une libération : ça y est, c’est fait, je tiens quelque chose ! ensuite, je la soumets au public, elle n’est pas terminée, elle commence à vivre… Quand le public se l’approprie, alors là elle est vraiment terminée. J’aime voir le visage des gens quand ils écoutent ma musique, c’est pourquoi j’aime autant faire le DJ ! tu vois immédiatement la réaction. Côté style, j’étais plus house par le passé, mais, ces derniers temps, mes goûts me poussent vers le dubstep. Cela m’est de plus en plus familier et naturel.

Quels sont les autres arts qui ont un impact sur ta musique ?

J’aime beaucoup les livres, la poésie notamment, mais les voyages aussi…

Les derniers groupes indie qui ont breaké t’ont-ils ouvert de nouvelles perspectives ?

Grâce à The XX, et d’autres artistes, le public a commencé à écouter la musique électronique d’une tout autre manière. ils ont rendu les choses plus faciles aux artistes comme moi. peu importe l’allure qu’elle revêt : une chanson demeure une chanson. quels que soient les rythmes, les arrangements. Tant qu’on a affaire à une bonne chanson, c’est tout ce qui compte. C’est là ma philosophie !

Chronique

Son album débute par un Unluck qui place d’emblée l’atmosphère du disque : des cliquetis et des sonorités par-delà lesquelles survole une voix tout en émotion, presque cassée, et des nappes de synthés qui vont crescendo. Une chose est sûre, ce James Blake est plutôt chanceux : beatmaker de bon aloi (élevé à la house music et au dubstep) et doté d’une voix altière peu commune, ce jeunot donne l’impression que les bonnes fées se sont penchées sur son berceau. Sa première livraison est une sorte de soul blanche électrisée, comme s’il avait digéré toute l’histoire de cette musique pour la transposer directement dans le futur et la mâtiner de sonorités électronica délicates dont il use à l’économie. Un disque tout en retenue et hautement émotionnel. L’artiste-mutant du moment, à n’en pas douter !

James Blake (AZ/Universal)
www.myspace.com/jamesblakeproduction

Propos recueillis par Joss Danjean