Norma Kamali est une styliste new-yorkaise qui prône une mode facile et intemporelle pour les femmes depuis les années 70.  Dans le respect du corps, sa mode sublime les femmes grâce à des coupes et des matières faciles à porter afin de les aider à se sentir bien. Nous avons rencontré cette éternelle figure de la mode afin de parler de femmes, d’empowerment, de Rihanna (qui porte souvent ses créations) et d’Elvis Presley, l’un de ses anciens clients.

Norma Kamali

Peux-tu m’en dire plus à propos de ta nouvelle collection printemps-été ?

Norma Kamali : Il s’agit toujours d’une collection intemporelle avec des pièces qu’il est possible de garder pendant des années et de mettre pour toutes les occasions. Je mets un point d’honneur à ce que toutes les pièces soient faciles à porter et faciles à entretenir (en évitant par exemple le nettoyage à sec) afin de faire gagner du temps et de l’argent aux femmes qui n’ont plus envie d’être des “esclaves de la mode”, comme nous avons pu l’être durant des années. Les temps changent n’est-ce pas ? Il y a beaucoup de choses dans cette collection dont des rayures et des franges – ce que je fais depuis toujours. Quand tu portes des franges, ça signifie tout de suite “Ok, je vais m’amuser et je vais aller danser“.

Norma Kamali / PF18 (Shot on iPhone by Norma)

Quelles ont été tes différentes inspirations ?

NK : Beaucoup de créateurs pourront te dire cela : nous n’arrêtons jamais de créer et j’ai déjà des idées, des matières et des couleurs pour la prochaine collection. C’est comme un processus qui évolue sans cesse car parfois en créant une collection, je fais des découvertes. Je ne suis pas une créatrice qui va te dire que j’ai élaboré la collection en pensant à Tahiti car je n’ai pas d’inspirations particulières. Évidemment, je trouve que la ville de Paris et d’autres endroits sont inspirants mais ce n’est pas nécessairement des inspirations ou des références pour ma mode. En tant que femme, je m’implique et je crée des vêtements pour les femmes en pensant à elles et ce qu’elles aimeraient porter. Je me pose des questions telles que “Qu’est ce qui est confortable pour aller facilement à la gym ou pour le travail“, “Pourquoi le sommeil est important“,”Que porter pour faire du sommeil, un vrai rituel“. Je pense plus d’un point de vue pratique qu’aux couleurs d’un coucher de soleil.

J’aime la façon dont tu mets en valeur les femmes, quelle est ta définition de la féminité ?

NK : La féminité est l’expression de soi et “l’empuissancement” (Empowerment en anglais) des femmes. La féminité, c’est une femme qui se sent bien avec elle-même, une femme qui prend soin d’elle, qui mange correctement, qui marche et qui dort assez. La féminité, c’est également la façon de s’auto-respecter et de se donner à soi-même du respect. Ces petites choses sont gratuites donc si une femme peut faire ça et se sentir bien alors la sensation d’atteindre son but est géniale. Si elle mange de la junk-food, qu’elle ne dort pas assez, qu’elle est fatiguée de prendre soin d’elle, elle se sentira toujours pas assez bien. On se sent toutes inconfortables parfois à cause de telles ou telles raisons mais si tu estimes qu’il est nécessaire de faire des choses pour ton bien-être personnel et de faire de ton mieux, cela devient féminin et féministe.

Norma Kamali / PF18 (Shot on iPhone by Norma)

Comment les vêtements peuvent aider les femmes à se sentir puissantes ? 

NK : Il est plus important pour les femmes de d’abord se sentir bien avec elles-mêmes, car si tu te sens bien et libre sans “artifices”, tout ce que tu portes devient magnifique. Tu peux porter un vieux t-shirt qui date d’une dizaine d’années et un jean de ton époque lycée et être quand même absolument géniale. Les vêtements vont paraître encore plus beaux sur une personne qui se sent bien. Une robe ne peut pas changer ta vie, elle peut changer un moment mais tôt ou tard tu devras l’enlever.

Rihanna adore tes créations, comment se sent-on quand une des femmes les plus influentes du monde porte nos créations ?

NK : Rihanna est incroyable et je suis une grande fan, je suis vraiment très chanceuse. Quand j’ai reçu le CFDA Awards, j’ai décidé que je voulais remercier les gens qui m’ont aidé à travers les années et j’ai pensé comment, beaucoup de fois dans ma carrière, on m’avait soutenue. Elvis Presley m’avait acheté six mêmes robes pour six différentes filles, alors, cela ne m’a pas aidé à payer le loyer mais cela m’a rendu satisfaite car je me suis dit que cet artiste qui était vraiment bon, aimait aussi mon travail. Puis, cela est arrivé encore avec John Lennon et Yoko Ono. John m’a fait beaucoup de compliments, il était si drôle et si gentil. Toutes ces personnes m’ont donné confiance dans mon travail. Et pas seulement avec les célébrités du passé car aujourd’hui encore, cela arrive et par exemple, Beyoncé a fait beaucoup pour moi. J’ai été très chanceuse et surtout lors de moments où je me posais beaucoup de questions. J’aime les clients, les fans et les célébrités qui me donnent de la satisfaction en portant mes vêtements. D’ailleurs, c’est marrant car les gens qui suivent les célébrités ne savent pas que Norma Kamali est un label ancien, ils me connaissent juste aujourd’hui. C’est une nouvelle manière de raconter l’histoire de la maison car les gens aujourd’hui ne connaissent pas ce que j’ai fait auparavant.

Norma Kamali / SP18 Swim (Shot on iPhone by Norma)

Quel genre de femme te fascine ?

NK : Beaucoup ! J’avais une émission à la radio ainsi qu’un podcast et j’adorais interviewer des femmes. Je trouvais les files si intelligentes et il y avait tant de femmes spéciales et inspirantes pour les autres. Quand je parlais avec des femmes venant de Chine, du Moyen-Orient ou encore d’Europe, elles avaient une histoire spéciale à raconter. Si tu prends le temps d’écouter et de poser les bonnes questions, la discussion sera honnête, sincère et ouverte. J’estime que les histoires des femmes sont profondément inspirantes.

D’où te vient ton engagement pour la liberté des femmes ?

NK : Je suis passée par plusieurs mouvements féministes et celui dont je me souviens et qui était le plus fort était celui du début des années 70. Il y avait beaucoup de cris, beaucoup d’énergie et de bruit – puis plus rien. Aujourd’hui il est très important de continuer les discussions (et pas seulement de crier) et d’avoir des conversations avec les hommes car beaucoup agissent mal envers les femmes. Si tu prends un homme de 25 ans, tu peux être certaine que consciemment ou pas, il a déjà “objectifié” une femme. Nous ne pouvons totalement les blâmer car ils ont des mères et des pères qui leur apprennent comment se comporter.

Aujourd’hui il y a des nouvelles règles et les hommes sont plus conscients de cela, mais ils ont aussi peur et ne savent pas comment se comporter. Ils ne sont plus sûr de savoir si ils peuvent ou pas faire ceci ou cela. Nous devons leur apprendre ce que c’est que d’être des femmes “objectifiées”, et cela, que ce soit durant un date, un entretien d’embauche ou dans d’autres situations gênantes. Il faut parler à son père de ces situations, le regarder dans les yeux et lui parler de tous les détails. La peine qu’il va ressentir dans son âme sera si vive qu’il ne laissera plus aucun homme se comportait de cette façon avec une femme. Communiquer avec les hommes qui se soucient des femmes, est un premier pas, le second est de réaliser que toutes les femmes sont différentes et que certaines ne veulent pas être féministes car elles sont épanouies à prendre soin des hommes (et c’est leurs choix). Le plus important est de laisser le choix aux femmes et de ne pas les juger. Nous ne voulons rien de plus que d’être égaux.

Norma Kamali / SP18 Swim (Shot on iPhone by Norma)

Peux-tu me parler de ton projet « Stop The Objectification of Women » ?

NK : J’ai réalisé à quel point l’estime de soi avait un impact sur les femmes et que nous sommes constamment en train de nous poser des questions sur nos émotions et notre apparence. Nous sommes constamment en train de nous poser des questions.

Je fais ce métier depuis 50 ans et rien que dans ma carrière, j’ai subi des choses humiliantes et embarrassantes de la part des hommes. Des choses que j’ai gardé pour moi sans jamais en parler à personne. Ces secrets se sont accumulés et je vais te donner un exemple de pourquoi j’ai envie d’en parler aujourd’hui. Un jour, lors de négociations, j’étais avec des hommes à négocier pour mon entreprise et j’ai gagné. Tout le monde a quitté la salle et l’homme qui négociait contre moi a décidé de se mettre derrière moi et m’a touché de manière inappropriée en me disant “bon travail”. J’étais tellement fâchée cependant je ne pouvais rien dire car j’avais gagné les négociations et que je pouvais tout perdre. Je suis rentrée chez moi et pendant des années, je n’ai rien dit. Quand j’ai commencé cette campagne “Stop The Objectification of Women”, j’ai réalisé que nous devions parler. Si je te parle de cette situation et que tu me dis “ce même genre de situation m’est déjà arrivée“, cela arrivera avec d’autres et cela libérera la parole et les secrets afin que les femmes se sentent mieux. La campagne est mon histoire et le partage de celles des autres. Des histoires que je n’ai pas été capable de dire auparavant car elles sont blessantes mais peut-être qu’aujourd’hui, vous allez me raconter vos histoires, qui vont ressembler aux miennes et que nous allons nous sentir libérées. Cette campagne sert à la libération de la parole.

Norma Kamali / PF18 (Shot on iPhone by Norma)