On pourrait parler des heures, des jours du pouvoir et des jeux de pouvoir de la mode. À l’heure d’une prétendue démocratisation d’un milieu longtemps réputé comme inaccessible et secoué par de nombreux changements, rencontre avec trois icônes de la sphère mode : Loïc PrigentAlice Pfeiffer et Sophie Fontanel. Aujourd’hui, c’est cette dernière qui nous parle de son parcours, de cheveux blancs, du pouvoir des mots et de celui d’Instagram, son nouveau terrain de jeu favori.

Entretien et illustration : Safia Bahmed-Schwartz

Salut Sophie, tu peux te présenter ?
Je m’appelle – c’est marrant, il faut dire « je suis » ou « je m’appelle » – Sophie Fontanel. Je suis écrivain et journaliste et je travaille à L’Obs. J’écris sur la mode depuis maintenant une vingtaine d’années, un peu plus. J’ai commencé quand j’avais 25 ans, j’en ai 54. Il faut faire le calcul. Je n’ai pas écrit que là-dessus, mais maintenant presque.

Wikipedia te présente comme une femme de lettres, je trouve que tu es une femme de mots…
Femme de lettres ça me va bien. Ce que je préfère dans femme de mots plutôt que dans femme de lettres c’est que j’ai toujours fuit tout ce qui pouvait s’apparenter au pouvoir et à la norme du pouvoir. Quand j’ai eu le Prix du Premier Roman en 1995, je me suis dit que je ne l’aurais pas et je suis allé me balader au bois de Boulogne. À l’époque il n’y avait pas de portable du coup au lieu d’être au déjeuner du Prix, j’étais en train de glander au bois.

Tu as toujours voulu écrire ?
Quand j’étais enfant je voulais être écrivain public, donc j’avais déjà un rapport aux mots. Les mots ont un immense pouvoir : l’expression femme de lettres a un pouvoir parce qu’elle signifie quelque chose dans la société alors que femme de mots a un pouvoir dans la mode car c’est un monde d’image.

Quelle importance ont les mots dans la mode ?
Une importance capitale. Dans la mode, tu te fais engueuler sur des mots : « je ne comprends pas pourquoi tu as écrit ça », « ça ne nous arrange pas que tu dises ça », « tu ne peux pas dire cela avant une telle date ». C’est comme ça qu’elle est devenue si puissante. Elle s’est mise à parler de « Directeur artistique », comme si elle gagnait des galons d’art.

« Le poids des mots, le choc des photos »… Ton avis sur le slogan de Paris Match ?
J’ai toujours trouvé ce slogan génial. Mon compte Instagram c’est ça : le poids des mots, le choc des photos.
Tu sais, Dieu – s’il existe – ne donne pas la même chose à tout le monde. Certaines ont une jolie bouche, d’autres un gros cul. Moi, j’avais un corps assez joli, mais une gueule moins bien et puis, dès l’adolescence, j’ai su écrire. J’écrivais des poèmes à mes amoureux. Pour moi, le poids ultime des mots c’est le poids de la poésie, pas celui du marketing, ce qui emmerde la mode. Les Inrockuptibles m’ont sélectionné parmi les comptes « mode » à suivre en mettant en avant ma poésie.

Quel est ton rapport aux réseaux sociaux ?
Dès l’apparition des blogs, j’ai plongé dedans. Chez Elle, il n’y avait pas d’interaction, pas de rapport avec les lecteurs alors que maintenant on m’arrête trois, quatre fois par jour. C’est peut-être par intérêt que les gens me parlent, mais on échange et ça m’intéresse. Mon premier rapport aux réseaux sociaux, c’est celui de l’interaction. Je me suis incarnée, Fonelle s’est incarnée. L’autre jour, quelqu’un a demandé a un ami qui vit aux États-Unis de me définir. Il a dit que j’étais proche et c’est ça le truc. Je ne refuse pas le contact.

Tu interagis avec tout le monde ?
Pas avec les bourrins que je dégage dès qu’ils dépassent les bornes. Si quelqu’un me dit que je n’ai pas de talent je le laisse parler, mais pas s’il me dit aussi « je vais te défoncer ». Je reçois des fois des « suce-moi salope » en privé après avoir posté une photo de moi, de mes guiboles. J’ai 54 ans, je trouve ça dément de susciter ce genre de réactions à mon âge. Quand tu gagnes du pouvoir, tu as la responsabilité de modérer.

Pourquoi cette histoire de cheveux blancs est si importante ?
J’ai passé ma jeunesse a me dire que j’étais pas genial, à tel point que j’ai eu des névroses identitaires et un passage anorexique, quand je me regardais dans le miroir je ne voyais rien. Sans oser franchir le pas, j’ai toujours trouvé les femmes aux cheveux blancs sublimes, je leur enviais leur liberté. Une liberté que j’ai trouvé quand j’ai arrêté de me colorer les cheveux. Aujourd’hui je fais des photos devant le miroir, le selfie m’a guéri.

C’est quoi pour toi la mode ?
La mode, c’est le seul terrain hormis la sociologie qui me permet de parler de ce rapport entre l’homme et le vêtement. Enfant, je cousais mon bas de pantalon pour faire croire que j’avais un cheval, mais après il fallait que je découse parce que ma mère détestait qu’on abime nos vêtements.

Qu’est ce qui t’amuse encore après toutes ces années ?
La mode c’est un milieu qui me permet d’assouvir ma passion des habits. J’ai une raison de m’y intéresser et c’est aussi un terrain de jeu génial. La presse de mode et la presse en général ne savent pas comment évoluer. Les jeux de pouvoir sont en train de bouger : quand on a mis des blogueurs au premier rang, tout le monde s’est mis à hurler en se rendant compte que les journalistes allaient devoir être capables de prendre de belles photos, d’être des artistes.

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