Par EVA BOUILLON

Né d’une fusion de genres musicaux appartenant à l’histoire afro-américaine, le R’n’B a conquis grand nombre de chanteurs, sans distinction de couleur. Évolution musicale ou appropriation culturelle ?

Des pas de danse sensuels et un torse bombé rappelant les débuts d’Usher, ou un slow jam à la R. Kelly : vous avez devant vous JMSN (prononcez « Jameson »), artiste identifiable par sa barbe rousse et son inspiration avérée du R’n’B afro-américain. Également surnommé Snowhite (Blanche Neige) pour son teint opalin, il puise librement dans la soul et le gospel – comme la guitare de « Simply Beautiful » d’Al Green évoquée dans son titre « Cruel Intentions » (2016).

Le chanteur de Alt R’n’b n’est pas le seul caucasien à se voir comme le descendant d’une histoire bien loin de la sienne. Phénomène récurrent dans l’histoire de la musique, de Elvis Presley à Bob Dylan en passant par Justin Timberlake : le musicien caucasien s’attelant à reproduire et innover dans un champ classiquement noir, et – c’est là ou ça se complique –  qui est une expression de résistance à une oppression blanche.

« L’authenticité. C’est la raison pour laquelle les chanteurs de R’n’B blancs suscitent le débat »

Prenons le gospel, qui a entre autres nourrit toute la culture de la chanteuse Amy Winehouse : ses premières expressions, les « Negro Spirituals », descendent des chants d’esclaves africains en Amérique, et sont leurs premiers incantations religieuses ; une véritable voix d’espoir et d’unité en tant que peuple noir.

Aujourd’hui, alors que la question d’appropriation culturelle surgit dans l’univers de la mode et de la culture pop – des dreadlocks vues au défilé printemps-été 2017 de Marc Jacobs aux nattes couchées ou des cornrows de Kylie Jenner – l’industrie musicale se remet en question: peut-on librement se servir de références distantes voire opposées à sa propre descendance? Peut-on citer un héritage loin du sien? La culture de remix et celle du copy-paste auraient-elles ouvert le R’n’B à une pluralité d’ethnicités qui entraîne une appropriation culturelle abusive ?

Kylie Jenner présente ses cornrows à ses followers Instagram

Ces questions continuent à soulever de lourds débats. À commencer par un, et non des moindres: « L’authenticité. C’est la raison pour laquelle les chanteurs de R’n’B blancs suscitent le débat: qu’apportent-ils à ce genre musical de personnel, qui dépasse l’imitation? », nous informe Ernest White II, écrivain, journaliste et professeur en études afro-américaines. « La monophtongaison leur vient-elle naturellement en chantant (élément du parler afro-américain) ou est-ce pré-fabriqué pour sonner plus « noir » ? Comprend-il l’histoire et la culture derrière la musique ? »

« La reconnaissance est à la racine de toute récupération »

Selon Ernest White II, il faudrait commencer par comprendre et honorer la communauté concernée, se pencher sur son histoire, ses complexités, sa raison d’exister. Même constat pour Ari de B, titulaire d’un master en intersectionnalité (étude des croisements entre oppressions des genres, classes et races), qui enseigne et milite sur le sujet : « Ce genre vient de la diaspora afro-américaine et est toujours dominée par elle, mais lorsqu’il est repris, cela doit être cité. La reconnaissance est à la racine de toute récupération ».

Ernest White II précise : « Autour des années 2000, des artistes blancs (généralement apprécié des fans afro-américains) tels que Christina Aguilera, Jon B. ou Lisa Stansfield, ont été très sincères vis-à-vis de leurs influences musicales ». Mais Ari de B nuance le propos: « Est-ce que cela fait toujours sens aujourd’hui – si on pousse la logique de l’appropriation culturelle – sachant que toute l’histoire de la musique n’est que le produit de reprises ? Est-ce que cela dé-légitimise forcément le chanteur de R’n’B blanc ? ».

Dès lors, bien que tout soit construit sur une récupération – et comme vu précédemment, le R’n’B n’est pas en reste – l’hommage explicite à une culture à laquelle on appartient pas, demeure tout de même impérative. Ne serait-ce que pour effacer les soupçons d’appropriation culturelle. S’il y a bien un exemple à suivre, c’est celui de la chanteuse canadienne Jessy Lanza, qui admet simplement, à propos du R’n’B : « Il s’agit un peu de rechercher les émotions qu’on a ressenties étant teenager voire enfant. Pour être honnête, je suis à fond sur le R’n’B (…) depuis mes dix ans. Il y a eu une résurgence de la disco, c’est maintenant au tour du R’n’B d’être revisité par ma génération », dit-elle lors d’une interview.

Autrement dit, la frontière est fine et périlleuse entre hommage et fétiche, entre marque d’honneur et copie frauduleuse : la culture hybride qui marque le monde actuel se doit de reconnaître ses forces, ses privilèges, et ses opportunités de donner une voix à des communautés moins visibles que la sienne – Iggy Azalea ceci est pour toi.