À l’occasion de notre article “Le Green pas si vert que ça” (Modzik48) nous avons interviewé le styliste et fondateur d’Honest By, Bruno Pieters. Adepte de la consommation éthique, Bruno Pieters s’attelle à développer un nouveau paradigme modesque dont la transparence serait la clé de voûte. Le designer engagé propose actuellement une exposition à Anvers, “(Behind) the Clothes”  jusqu’au 31 juillet.

Si l’industrie de la mode ne peut devenir plus écologique et commencer à travailler avec responsabilité, elle n’existera plus dans le futur. Notre avenir est au conditionnel. Nous devons nous réveiller et évoluer. La manière dont on travaille et consommons la mode aujourd’hui met en danger notre existence en tant qu’espèce. Cette planète survivra à notre ignorance contrairement à nous. Mais à côté de cette menace à long terme il y a le fait que de plus en plus de clients influenceurs prennent conscience et font attention à ce qu’ils achètent. Et je parle vraiment des influenceurs parce que maintenant ils ne sont encore qu’un petit groupe, mais ils dirigent et inspirent beaucoup plus de monde. Au final ce n’est qu’une question de temps. 

Si l’industrie de la mode ne peut devenir plus écologique et commencer à travailler avec responsabilité, elle n’existera plus dans le futur.

Vous avez fait vos premiers pas pour de grandes maisons (Christian Lacroix, Martin Margiela, Hugo Boss), en travaillant simultanément pour votre propre marque, avant de totalement disparaître du milieu. Pourquoi avoir pris ce recul ?

 J’avais besoin d’une pause. J’ai fait deux années sabbatiques en Inde. C’était un moment très important pour moi. J’avais besoin de retrouver la réalité. Et j’avais besoin de me rappeler les choses qui m’importent. Je suis revenu en 2012 avec Honest By’s, parce qu’en tant que client, je voulais 100% de transparence. Un besoin de transparence totale pour faire des choix responsables quand tu achètes des vêtements ou n’importe quoi d’autre qui importe. S’il n’y a pas de clarté complète, tu ne peux pas être sûr que ce que tu achètes est synthétique avec tes propres valeurs et principes. « Acheter c’est voter », expression classique mais rien n’est plus véridique aujourd’hui. L’acheteur a tout le pouvoir. Les marques et les designers ne vont jamais dans ce sens. Ils vont seulement faire ce que le client attend d’eux. Au sommet de la pyramide de la mode il n’y a pas de rédacteur de mode américain, non, c’est le client. Personne d’autre n’importe.

Au sommet de la pyramide de la mode il n’y a pas de rédacteur de mode américain, non, c’est le client. Personne d’autre n’importe.”

Après avoir travaillé pour de grandes maisons, pensez vous que la Haute Couture soit plus encline à créer des collections eco-friendly que le prêt-à-porter ?

La haute couture est fictive. Elle n’existe que parce que certaines corporations sentent qu’il est important de maintenir une image de tradition et d’héritage. Pour le reste elle est totalement impertinente. Mais votre question n’a rien à voir avec le monde réel. Dans le monde réel, les marques, les créateurs, les compagnies existent pour une seule raison, qui est de créer de la croissance financière. Chaque décision qui sera prise ne sera qu’à propos de ça. Et cela inclut la décision de commencer à travailler de manière responsable et durable. Donc si le client le leur demande, ils le feront. Si le client s’en fiche et continue d’acheter ce qu’ils font et comment ils le font aujourd’hui, rien ne va changer.

Cette transparence complète dont vous avez fait le choix, n’est-elle pas dangereuse pour la survie de votre marque ?

Je ne vois pas pourquoi elle le serait. Je suis fier de ce que nous faisons et je veux partager absolument chaque étape du processus de production avec notre client. Je veux aussi partager notre calcul de prix parce que nos produits valent chaque centime que l’on demande et je veux que l’acheteur voit cela. Il a le droit de tout savoir sur ce qu’il achète. Selon moi, c’est la chose normale à faire, le service client. Ne pas tout lui dire sur son achat devrait, à mon avis, être illégal. J’avais peur d’être transparent au début mais je ne l’ai jamais regretté ; ça a rendu notre société plus forte qu’avant.

Et si vous parlez des dangers des compétitions, cette raison n’existe pas vraiment en réalité. Parce que tout le monde connait déjà les fournisseurs et fabricants de chacun. Parce que les directeurs de création, les assistants, les CEO etc. changent de poste et vont de sociétés en sociétés et partagent toutes les infos d’une marque à une autre. Donc les marques qui disent ne pas être transparentes pour cette raison vous donnent juste des excuses. Il n’y a qu’une raison de ne pas être transparent aujourd’hui : c’est que tu as quelque chose à cacher dont tu n’es pas fier.

J’avais peur d’être transparent au début mais je ne l’ai jamais regretté ; ça a rendu notre société plus forte qu’avant.

Enfin, que pensez-vous de la manière dont les marques, notamment de fast fashion, instrumentalisent cette « tendance écolo » en créant des campagnes de greenwashing donnant l’illusion aux consommateurs de consommer dans le respect de l’environnement ?

 Tout d’abord, je pense qu’aujourd’hui une marque peut être désignée comme fast fashion, qu’elle soit haut de gamme ou pas. Elles font toutes un nombre incalculable de collections à une vitesse jamais atteinte.

Et les grandes enseignes sont bien sûr plus focalisées aujourd’hui sur le dialogue ‘vert’/’écolo’ et font des campagnes pour promouvoir leurs efforts pourtant si infimes. Ce qui est normal car ce sont celles qui sont toujours sous le feu et critiquées. Je trouve cela très étrange car les maisons de luxe utilisent des matières autant toxiques, sont aussi impliquées dans le travail des enfants etc. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas un créateur ou marque qui sera capable de vous dire qui a travaillé sur ce champ de coton ou dans cette ferme de soie.

Dans nos recherches pour Honest By, on a découvert qu’aucun de ces fournisseurs de tissu de luxe n’ont de commerce équitable ou Oeko-tex ou de certification biologique. Et ce n’est pas parce que ce qu’ils font est mieux. Pas du tout. Donc concrètement vous pouvez acheter une robe à 50 000 euros et il y aura quand même le travail d’un enfant impliqué.

Les problèmes environnementaux et de travail que traverse l’industrie de la mode sont des enjeux pour l’industrie toute entière, qui incluent tous les secteurs et toutes les gammes de prix.

Il y a un besoin urgent pour une révolution de la mode et elle a besoin d’être initiée par le client, autrement elle n’aura pas lieu. Nous devons arrêter de nous comporter comme des consommateurs et commencer à agir comme des êtres humains. Un être humain est par définition gentil et compatissant, il pose des questions car il ou elle veut être sûr(e) que ce qu’ils achètent a été fait de manière humaine.

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Informations pratiques :

(Behind) the Clothes.
Exposition
05.06.16 – 31.07.16
11 am – 6 pm
Fermé le lundi
Entrée libre

Kattendijkdok-Oostkaai 22, 2000 Antwerpen, Belgique