Samedi 6 février 2016, la chaîne ARTE propose un film documentaire consacré à la « photographe des stars » : « Bettina Rheims – Dans la fabrique des icônes ». En écho à l’exposition qui lui est consacrée à la MEP, cette femme ouvre les portes de sa vie et offre un aperçu de son parcours aux côtés des plus grandes célébrités ou d’inconnues au destin fatal… Michele Dominici, la réalisatrice de ce documentaire, s’est introduit dans l’existence de Bettina Rheims pour découvrir quel personnage se cache derrière cette folie artistique et cette sensibilité sans équivoque pour le porno et le scandaleux. C’est autour d’un petit café sur une petite place du quartier Montmartre, avec comme musique de fond Michel Delpech, que l’on rencontre la réalisatrice Dominici.

Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Michele Dominici et je suis réalisatrice de films documentaires. Je dois en avoir une douzaine à mon actif. Les sujets que je traite quel qu’ils soient commencent toujours l’air de rien et finissent souvent par parler de politique et de femmes ! C’est mon penchant naturel.

Quel est votre parcours ?

Je suis une self-made woman ! En effet, j’ai travaillé pendant sept dans le Musée des Sciences de Londres en tant que simple secrétaire. Je m’ennuyais tellement que je passais mon temps à lire en long, en large et en travers les magazines scientifiques qu’on distribuait. Et un jour, je suis tombée sur un sujet totalement tabou : le clitérisme ! Je me suis dit que j’avais là comme une mission : vulgariser ce phénomène physiologique au public. Le moyen ? Réaliser un documentaire ! Je suis revenue en France pour présenter mon projet – ARTE l’a pris. L’aventure ne faisait que commencer !

Comment est né le projet « Bettina, Dans la fabrique d’une icône » ?

C’est la production d’ARTE qui est venue me chercher. Quand cette idée de réaliser un documentaire sur Bettina Rheims est née, ils se sont dit que c’était à moi de le faire. Je leur ai dis que je ne connaissais rien de cette photographe, j’étais très génée de travailler sur un sujet que je ne maîtrisais pas du tout. Mais, la production m’a dit « Ce n’est pas grave, justement ton regard nouveau sera sûrement très intéressant ! »

Quelle a été votre réaction à ce moment-là ?

La manière dont j’ai abordé ce projet était très humble car je n’avais aucune légitimité à donner mon point de vue et à apporter un jugement esthétique sur l’œuvre de Bettina Rheims. Et en plus, personnellement, je déteste qu’on me dise ce qu’il faut penser devant un film ou une peinture. Je note qu’il y a un suivisme ambiant et donc je suis toujours très méfiante. J’aime bien donner à mes spectateurs l’opportunité de se forger leur propre avis.

Comment pensiez-vous y arriver ?

J’essaie de laisser place à d’autres émotions et interactions entre les goûts de chacun et la culture politique de tous. Par exemple, après la projection privée de ce documentaire, personne n’avait vu le même film ! Certains ont vu une critique politique très acide, d’autres ont vu un film très à l’écoute de la photographe. En trouvant leurs places, chacun a projeté beaucoup de lui même dans ce film. J’avais vraiment réussi mon film !

Concrètement comment se passe la production d’un film ?

C’est une drôle de coïncidence que vous me posiez cette question car justement hier j’étais en plein débat à ce propos avec un producteur ! Je m’attache beaucoup au réel dans mes films. Loin de la fiction qui emprisonne le public dans un arc narratif, mon travail s’appuie sur la matière. J’ai d’abord regardé Bettina Rheims en tant que personne. Je suis partie d’elle sans la noter comme on le fait au baccalauréat ! Quand je l’ai rencontré pour la première fois, je l’ai regardée comme elle était en tant que femme humaine. Puis, j’ai exposé sa vie aux yeux de tous… Certes, cela n’a pas toujours été facile -imaginez qu’à peine sortie du lit, une équipe débarque chez vous, une caméra se braque sur vous et vous pose des tas de questions… !

Quelle relation avez-vous entretenue avec Bettina Rheims ?

C’était à la fois une relation de séduction et de méfiance. Ce qui est normal quand une inconnue vient chez vous pour filmer tout ce qui bouge, vous vous demandez à quelle sauce elle va vous manger ?! Je le respecte beaucoup chez les gens car ceux qui me laissent filmer chez eux sans défiance, c’est moi qui me méfie… C’est une règle que j’accepte et c’est pour cela que ça s’est plutôt bien passé entre nous. Sauf une fois !

Laquelle ?

La fois où je l’ai suppliée de filmer un shooting. Elle ne voulait absolument pas ! Mais, je lui ai dis « Ecoutez, c’est comme si je filmais Alain Ducasse sans aller dans ses cuisines ! ». Pourtant, elle refusait catégoriquement : elle se sentait nue ! C’est vrai que dévoiler les coulisses d’un shooting, c’est comme rendre public le brouillon d’un écrivain…

Comment avez-vous réussi à réaliser cette scène ?

J’ai mis huit mois à la convaincre ! Au bout d’un moment, je crois que j’ai appris à apprivoiser Bettina Rheims et son âme sauvage. Une confiance s’est installée et on a réussi à filmer ! Victoire ! C’était une scène cruciale qui fait basculer le film entre la partie superficielle de l’artiste et la seconde partie qui explore les profondeurs de cette femme aux multiples blessures et aux multiples talents.

Votre première rencontre avec Bettina Rheims ?

C’est marrant parce qu’a priori j’avais étudié son œuvre mais je suis arrivée assez neutre. Je n’avais aucune histoire avec elle. Je n’étais pas émue, ni angoissée, ni en colère ou révoltée. Je suis repartie du rendez-vous et elle m’a poursuivie durant quelques jours, elle a hanté mon esprit. Bettina Rheims est une personne très « magnétique ». Je me suis demandée pourquoi elle s’était à tel point imposée dans mes pensées. …

Y a-t-il eu un moment fort entre vous deux ?

En fait, ça ne s’est pas joué comme cela. Je n’entretiens aucun rapport d’amitié, aucun lien quand je filme. Je regarde ce que ses mouvements me disent au-delà d’elle-même. Par exemple, je vais regarder dans quels cafés elle m’emmène…. C’est un indice qui prouve qu’elle ramène ce qu’elle photographie à elle-même. En effet, on l’a souvent comparée Diane Arbus. Or, cette dernière photographiait certes elle aussi beaucoup de strip-teaseuses mais elle prenait ses clichés dans leurs loges. Au contraire, Bettina Rheims les invitait dans son studio ! Dans son « territoire », Bettina se sentait libre.

Avez-vous un autre exemple ?

Je me souviens de cette période presque irréelle pour moi de la Fashion Week de Londres. Bettina Rheims était très à l’aise dans ce monde exubérant, mondain et coloré ! Elle travaillait au milieu de ses pairs et on ressentait bien qu’elle composait avec ce qu’elle maîtrisait le mieux. A ce moment-là, elle exposait chez Christie’s. C’est la première scène du film car elle présente de la meilleure façon l’univers de Bettina Rheims : mode, argent, art, noblesse, aristocratie, voici ce qui entoure la photographe et décrit le mieux le personnage. Typiquement, je filmais l’ensemble du lieu c’est-à-dire à la fois ses amis et les serveurs qui tournaient autour d’elle constamment. Ainsi, j’ai voulu créer des expériences de vie et des regards différents pour enrichir le point de vue de ce documentaire.

Par où avez-vous commencé pour explorer la vie de Bettina ?

J’ai lu tous les livres de Bettina Rheims avant de commencer toutes autres investigations. En effet, après mon expérience lors de la réalisation du documentaire sur Jean Seiberg où j’avais reçu des tonnes de revues de presse à propos de son suicide qui se sont avérées être fausses (!), je ne m’informe plus sur internet ni sur des actualités écrites par d’autres. Ensuite, je l’ai rencontré deux fois, trois fois. Je lui ai demandé son programme pour l’année à venir. Cette photographe a une notoriété, un carnet d’adresse, elle est bien installée dans le monde. Je l’ai considérée comme une peintre officielle qui a ses entrées à la cour. Bettina Rheims photographie surtout les beaux, les riches et les puissants. Mon hypothèse était alors de me demander : « est-elle une peintre officielle du XXIème siècle ? » Sans jugement esthétique, j’ai exposé son univers, les rapports de force pour montrer l’aspect de cette femme qui jamais ne vieillira. Parfois, je me suis imposée dans sa vie car je voulais créer un paysage vivant et complet.

Bettina est-elle une grande féministe selon vous ?

Je ne le pense pas. Je penche plutôt vers l’idée que Bettina Rheims a mis son appareil photo au service des hommes et non des femmes ! On le comprend à travers les révélations du film à propos de ses relations avec son père… Elle a reproduit des codes érotiques destinés à la gente masculine, clairement ! Mais, Bettina se revendique comme fervente féministe. Pourtant une jeune femme, qui se revendique aussi féministe, critique de manière virulente l’œuvre de Bettina Rheims. D’ailleurs également à la fin du film, un débat a lieu à ce propos avec Catherine Millet.

A la fin de la réalisation du film, Bettina vous a-t-elle manqué ?

En réalité, c’est toute l’équipe qui m’a manqué ! J’adore tellement le tournage, ce moment intense où je peux enfin capter et saisir ce que je vois et lui donner du sens. C’est tellement un luxe qu’on me laisse m’exprimer à travers cette matière créative. C’est comme quand on va au marché, on achète ses fruits et légumes et c’est le début du bonheur ! Lors d’un tournage, c’est la même chose, je me régale tout le temps ! De plus, c’est vrai qu’avec Bettina j’ai vécu dans un milieu que je ne connaissais pas. Je regardais vivre ces gens comme si j’étais au cinéma. J’ai appréhendé la Fashion Week avec mon œil d’anthropologue…

Qu’avez-vous retenue que votre première expérience à une Fashion Week ?

Cela m’était tellement étranger ! Les gens sont si à l’aise et en même temps mal à l’aise. Je me rappelle ce passage où je suis en train d’interviewer une jeune fille à propos de la photo que Bettina a fait d’elle. Elle semble peu convaincue du résultat… Arrive Bettina qui lui dit « tu es tellement sexy sur ce cliché! ». A ces mots, la jeune fille fait un sursaut de soulagement à peine perceptible. Tout le monde pavane mais en réalité ils sont tous dans leurs petits souliers à la Fashion Week !

Quelle est la lignée narrative de ce film documentaire ?

C’est comme un oignon qu’on épluche. Au début, je filme tout ce qui impressionne et j’invite à découvrir un univers où chacun est beau et gentil ! Et graduellement on pénètre au cœur du sujet, jusqu’à la dernière scène où on parle d’un autre aspect de son travail beaucoup moins reluisant… Mais, je laisse planer le mystère – la toute dernière scène se passe dans les prisons. On dégringole donc de l’ambiance « Louis XIV » à l’univers des gueux… Dans la micro-scène du générique de fin, on sait où on pourra retrouver Bettina Rheims très prochainement !

Au cours de la réalisation, avez-vous eu des influences extérieures ?

En effet, je me suis rendue au Prado à Marseille et là je me suis nourrie des œuvres de Velasquez… Forcément, je me suis inspirée un peu de son parcours et de l’expression de ses peintures… J’ai pu aussi réfléchir à la manière dont je travaillais, à trouver la bonne distance entre la personne que l’on filme et soi-même. J’ai constamment essayé de préserver un équilibre entre la complaisance et le dégoût et de me considérer comme un pygmée au milieu d’individus qui me sont totalement inconnus…

Qu’avez-vous appris sur vous, sur votre travail, après la réalisation de ce film ?

Ce documentaire m’a confirmé que j’adorais mon travail. J’ai pu concrétiser ma manière de penser un film en partant du réel et sans jamais raconter une histoire toute faite. Je me suis rendue compte que j’avais toujours ce souci de donner un élément émancipateur au télé-spectateur, qu’il sorte du film avec comme un déclic qui transforme sa vie, le libère d’un poids qu’il ne soupçonnait peut-être pas lui-même, bref, qu’il soit plus armé !

Mais comment le public sortira « plus armé » après avoir vu ce film sur Bettina Rheims ?

Pour moi, tout réside dans la dernière scène qui se passe dans une prison. Le spectateur y décèlera une militance féministe tout en subtilité. Je donne à prendre ma vision de déconstruction du travail de Bettina sans forcer. Je compose et le spectateur disposera à sa façon ce qu’il a bien voulu comprendre du message…

Sur ARTE  samedi 06 février à 22h30 (50 min)