C’est suite à un enseignement d’Arts Plastiques au lycée que Cléo Thomasson a adhéré au monde de la culture. D’une discipline à une autre, elle se retrouve à laisser ses crayons pour un appareil photo. Son ouverture sur l’Autre et sa passion pour l’image sont devenues une évidence. Elle a consacré un an après le bac à voyager et photographier. Il y a trois ans, elle intégrait l’école du reportage argentique 75 (le SeptanteCinq) à Bruxelles. Nous la retrouvons aujourd’hui diplômée en photographie documentaire, dont l’issue s’est fait à travers sa série du Complexe du Homard, où elle a shooté une vingtaine d’adolescents. Celle-ci a d’ailleurs remporté le prix Roger de Conuyk.
Plongée dans les méandres de l’adolescence, le poids des mots, la confiance en l’Inconnu qui devient amitié… la suite juste là.

2 GRAND  double 1 copy

Tu as trouvé ces adolescents sur les réseaux sociaux et dans la rue. Quelles contraintes as-tu rencontré ? Notamment pour établir un lien de confiance.
J’ai commencé avec une personne, puis deux, puis trois. Au début c’est difficile car je n’avais ni image ni texte pour illustrer mes propos. J’essayais de me faire comprendre tout en essayant de ne pas passer pour une folle. Après quelques rencontres je me suis retrouvée avec plein de propositions d’amis en amis d’amis d’adolescents.
Pour la confiance tout était dans le naturel, j’essayais au mieux de ne pas m’imposer, de laisser faire les choses et de voir la tournure des moments partagés. Car au final c’est surtout l’échange que je tente de mettre en valeur et non une image en elle-même.

Quelle intimité souhaites-tu avoir avec le spectateur ?
C’est au milieu de mon sujet que j’ai remarqué que j’étais une sorte de porte-parole de leur intimité. Je m’incruste dans leur vie de tous les jours pour les photographier et les faire parler. J’écris un journal intime à leur place. C’est à ce moment-là qu’on peut parler d’intimité avec le spectateur car les pages de cahier permettent d’étaler tous ces moments.

Tu as défini ta démarche d’anthropologique. Quelles similitudes trouves-tu entre l’anthropologie et la photographie ?
L’anthropologie est une science qui étudie l’être humain sous tous ses aspects, à la fois physiques et culturels. La photographie le met en image. Mon sujet est une sorte d’expérience sur ce passage tangible de la vie et j’utilise la photographie pour le représenter.

2 - copie

L’idée du « complexe du homard » t’est venue avant ou après ta réalisation ? Peux-tu en dire plus sur ton choix ? Pourquoi ce concept psychologique ?
Je ne pense pas que je parle de concept psychologique, c’est simplement le hasard de mes recherches qui m’ont amené à Françoise Dolto dès le début. « Le complexe du homard » m’a tout de suite plu comme titre de sujet.

Qu’as-tu vu dans leurs regards qui a fait la différence avec d’autres ?

C’est très subjectif, c’est simplement par goût. Je suis très attirée par les regards et les personnes qui font partie d’une phase d’entre deux, de transition, de flou palpable… Mon regard s’arrête sur une bouche, une manière de parler, un piercing, des mots prononcés, des yeux qui divaguent…

Quelles questions leur posais-tu ? (pour écrire dans le carnet)
On commence toujours par boire un café et fumer une cigarette dans ma chambre, on parle de l’école, de nos projets, de voyage, de soleil, des amis, de pourquoi ils ont osé venir jusqu’à moi (et je les remercie).
On parle rarement des parents d’ailleurs. Et puis je retiens tout dans ma tête, je fais des images tout en continuant à parler. Je leur demande à leur tour de m’écrire quelque chose et dès leur départ je retranscris tout ce qu’ils ont su me dire. Il n’y a pas de question type, j’essaie de resserrer mon sujet dans mes propos pour ne pas m’éloigner, l’adolescence c’est vaste ! Mais en général c’est l’idée du corps, de la peur, de l’attache, d’un certain passé et des choix à venir qui tournent autour de nos cafés.

double 12

A3 1  A3 3

Y a-t-il eu un(e) en particulier qui t’as plus bouleversée ? Ou une anecdote à partager avec nous ?
Étonnement chaque personne a su me combler à sa manière pour mon sujet. Evidemment je me suis attaché aux personnes que j’ai pu revoir plusieurs fois et avec qui j’ai créé une amitié.

Je pourrais citer Noémie, le « modèle » qui revient le plus avec qui j’ai énormément partagé. Ou encore Alex qui a su me chambouler, ou Suzanne qui m’a énormément fais rire, ou Merlin qui est un garçon exceptionnel et très sensible, ou Alexane et Chloé qui m’ont montré une très belle amitié, Léa et ses yeux bleus, Nine et ses bons mots au bon moment… Chacun a contribué à mon sujet et c’est en grande partie grâce à eux.

Ont-ils eu du mal à s’ouvrir ?
Cela dépend des personnes et heureusement ! Si toutes les personnes que je photographie se confie à moi et se mette nu à la minute où ils ont passé ma porte il n’y a plus d’intérêt au sujet. Sauf peut-être une belle série d’ado nu. Je n’ai jamais forcé quelqu’un à vouloir m’en dire plus, je veux qu’il me donne ce qu’il a à me donner. Et c’est dans leurs mots et mes images qu’on voit la diversité des sentiments à cet âge-là. Chacun a son expérience et ses ressentis et cette diversité donne toute la force à cette période de vie et à mon sujet.

Pour les choisir, tu as dû te faire une image d’eux, imaginer ce qui pouvait se cacher derrière ces regards. As-tu eu des a priori ? Ou été surprise après avoir échangé avec eux ?
Quand je contacte via Facebook je m’imagine un visage à travers des photos et leurs pensées par des mots ou des inspirations. J’ai toujours eu des bonnes surprises et rarement de grand froid lors de mes rencontres – aucune d’ailleurs. Et c’est toujours surprenant après la rencontre d’une personne d’en savoir autant sur eux, simplement le fait qu’ils soient venus jusqu’à chez moi pour que l’on se rencontre. Je pense qu’ils ont été tout autant surpris que moi quand ils ont passé ma porte.

double 10

23

Pourquoi introduire des photos de ta maman dans les carnets ?
Parce que j’ai 21 ans et j’ai besoin de m’introduire dans ce sujet. Et parce que ma maman a aussi eu 21 ans. En réalité je ne sais pas, j’ai eu besoin d’archiver et mémoriser beaucoup de choses cette année. Mon sujet commence sur mes écrits de l’été de mes vingt ans, j’avais besoin d’un prologue et j’avais besoin de ne rien oublier. Il parait que j’ai peur de la mortalité à force d’écrire et de tout garder !

Tes collages/montages (la manière de disposer photos, textes) étaient-ils réfléchis ou aléatoires ?
Complètement aléatoire, c’est en fonction de la fin de mon pot de colle, de l’imprimeur du coin et de la place que j’ai pour écrire. Évidemment derrière cela il y a un éditing, un choix d’image qui sera en grand ou en petite, une idée de série, des mots plus grands et des textes mis en valeur.

Quelle suite t’attend dorénavant ? Approfondir le thème de la jeunesse ou te tourner vers d’autres horizons ?
Je viens de finir mes études, je vais pouvoir partir à la mer et tenir des carnets où je vais parler de bleu.
Pour la suite je vais continuer mon projet et en commencer deux autres sur le même thème.

3

double 16  7 grand

4


Le Complexe du Homard
© Cléo-Nikita Thomasson