Départs/Arrivées. Au fil des derniers mois l’industrie de la mode en France et ailleurs a fini par ressembler à un aéroport international. Preuve d’un déséquilibre majeur mais également de l’ouverture à un changement puisque ce sont les jeunes créateurs qui sont mis à l’honneur.
L’heure de la Renaissance aurait-elle enfin sonné?

Texte : Mélody Thomas
Direction Artistique : Holy Of Holies
Photographie : Florent Tanet

Dans le numéro précédent, j’écrivais sur la fin de la mode telle qu’on la connaît, annoncée par Lidewij Edelkoort avec son manifeste Anti_Fashion qui en dix points étrillait tout ce qui devait changer en mode. Douce ironie que celle de devoir écrire à présent sur sa renaissance. Ironie? Ce n’est peut-être pas le bon mot finalement. De Vanessa Friedman à Tim Blanks en passant par Alexander Fury, nombreux sont les journalistes qui ont vu s’enclencher les rouages de la faillite de l’industrie annoncée par cette prophétesse des tendances. Cependant, quelque temps plus tard, on ressent déjà les bénéfices dus à un changement d’ère. C’est ce que nous appelons aujourd’hui Renaissance. Un terme que l’on ne veut pas tenir éloigné de la période flamboyante qui a embrasé l’Italie puis l’Europe au xve siècle.
La renaissance, dans notre cas, c’est la redécouverte de la mode par le biais de jeunes têtes créatives au sein des maisons dites traditionnelles ainsi que de nouveaux moyens de diffuser l’information – pour nous les réseaux sociaux. Mais c’est aussi une évaluation sur notre manière de consommer le vêtement et l’univers dans lesquels ils sont créés. C’est également une renaissance vis-à-vis de notre représentation de la mode, à prendre au sens propre de sa définition « l’action de replacer devant les yeux de quelqu’un, de rendre quelque chose absent, présent » comme on peut le lire sur le Centre national de ressources textuelles et lexicales.
Absente, la mode? Même si elle fait beaucoup parler dernièrement, il faut avouer que c’est surtout en mal. Mais là où elle est bel et bien absente, c’est dans sa créativité libérée. La valse des changements à la tête des maisons et l’empiétement du marketing sur le créatif ont porté de nombreux coups à son indépendance. À force de traiter les industries culturelles de la même manière que celle de la sidérurgie, aurait-on fini par remplacer la créativité par le capital ? Le génie créatif est pourtant ce qui fait le charme de la mode, cette capacité incroyable de se renouveler constamment.

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Et ce renouveau, cette renaissance est portée par une nouvelle garde de jeunes designers fraîchement – ou presque – débarqués à la tête des maisons patrimoniales. Olivier Rousteing (Balmain), Julien Dossena (Paco Rabanne), Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant (Courrèges), Alexis Martial et Adrien Caillaudaud (Carven), Guillaume Henry (Nina Ricci) ou encore Demna Gvasalia (Balenciaga) représentent une chance pour la mode, de créer un futur, d’habiller « ceux qui n’existent pas encore », comme se plaît à le dire Yohji Yamamoto. Une mode qui se crée grâce au passé mais pour le présent et avec un regard gourmand vers l’avenir.
Loin de faire dans le jeunisme qui voudrait que «jeune c’est mieux», ces nouvelles arrivées permettent aux maisons de faire peau neuve. « Je suis un jeune designer, j’ai 28 ans et je veux vivre avec et parler pour ma génération, non pas une autre » déclarait Olivier Rousteing dans une interview pour Assistant Magazine. Ajoutant peu après : « Pierre Balmain était réputé pour son esthétique “jolie Madame” : ses silhouettes attiraient une clientèle féminine et un peu conservatrice qui menait un train de vie luxueux. Mais simultanément, son esthétique jet-set résonnait chez de nombreuses personnes. Puis Oscar de la Renta a repris les rênes de la marque et y a ajouté une touche couture, une couche de savoir-faire et d’élégance. Finalement Christophe Decarnin, est arrivé à la tête de la maison avec son inspiration street, sexy et rock’n’roll. C’est en quelques mots l’évolution de Balmain – et comme vous pouvez le voir, le luxe était fait pour marcher main dans la main avec la pop culture. »

« Une mode qui se crée grâce au passé mais pour le présent et avec un regard gourmand vers l’avenir. Loin de faire dans le jeunisme qui voudrait que « jeune c’est mieux », ces nouvelles arrivées permettent aux maisons de faire peau neuve.»

C’est donc ainsi que ces labels légendaires parviennent à rester d’actualité. Si l’on n’aime pas forcément l’idée d’une mode Kleenex, aucun amoureux du style ne saurait reprocher à la mode son envie d’être actuelle, de vouloir parler à son époque. Le duo mené par Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, respectivement 25 et 26 ans, l’a bien compris lorsqu’il a repris les rênes de Courrèges. « On dit qu’à la naissance de Courrèges, les mères ont voulu s’habiller comme leurs filles, et non plus l’inverse. Nous partageons ce même désir de nous projeter dans le futur » confiaient-ils au Monde peu de temps après leur embauche. Depuis, les deux créateurs ont pu présenter leur collection printemps/été 2016 afin de convaincre ceux qui s’échinaient à douter.

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Mini-robes et pantalons ont défilé avec une insolence sixties toute neuve. Il en va de même chez Nina Ricci reprise en 2015 par Guillaume Henry. Après avoir dépoussiéré le patrimoine et l’image de la maison Carven, il a décidé de donner un second souffle à cette autre marque. « Ma vision de la femme n’est pas un fantasme, ce mot me fait frémir. Elle existe bel et bien. Je me la représente féminine mais sans artifices. Ni dans la démonstration, ni dans l’exercice de séduction. Je préfère les gens qui ne clignotent pas! » déclarait-il en septembre dernier à Madame Figaro. Sachant lier à merveille créativité, audace et vision commerciale, Guillaume Henry semble être le chef de file d’une nouvelle génération de designers. Ancrés dans une époque où tout va de plus en plus vite, ces jeunes créateurs savent jouer les couteaux suisses et ont su aiguiser leur sens de la communication en utilisant à leur avantage tous ces nouveaux outils que sont les réseaux sociaux. Là où les médias semblent perdre du terrain, les marques semblent savoir instinctivement où se trouve leur communauté.

« Plus conscients de ses défauts et plus érudits quant à ses capacités de développement avec un réel impact progressif, c’est une véritable introspection que portent ces nouveaux créateurs sur l’industrie et sur son mythe. »

Le résultat ? Si la plupart sont implantés sur Instagram, qui selon Olivier Rousteing est le nouveau Vogue, à l’instar de Paco Rabanne et Courrèges, les autres égrènent leur présence – Snapchat pour Carven et Balmain ou bien Pinterest pour Nina Ricci. L’utilisation de ces nouveaux médiums dépasse la simple volonté de gagner en achat à travers un story-telling incluant le consommateur – même si les chiffres prouvent que ces nouvelles méthodes portent économiquement leurs fruits. Il ne s’agit donc pas d’un seul effort marketing mais d’une réelle passation à une époque nouvelle, une nouvelle ère qui s’ouvre pour la mode. Plus conscients de ses défauts et plus érudits quant à ses capacités de développement avec un réel impact progressif, c’est une véritable introspection que portent ces nouveaux créateurs sur l’industrie et sur son mythe.

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Demna Gvasalia, qui présentera au mois de mars son premier dé lé pour Balenciaga, déclarait lors d’une interview accordée à Business of Fashion vouloir mettre en place un nouveau modèle de présentation et de vente pour VETEMENTS, le label créé avec son collectif – et tant pis si ce modèle n’entre pas dans le cadre de la sacro-sainte messe, plus couramment appelé la Fashion Week. « Le cycle de création ne coïncide pas réellement avec le cycle de production, sans parler de la demande et du nombre de pièces que nous avons à créer. Les pièces sont devenues sans âmes, parce qu’elles devaient être faites, mais il n’y avait pas de réelles raisons à leur création. Ce fut la partie la plus frustrante. […] Notre idée est de faire des choses auxquelles nous croyons réellement et que nous voulons voir porter par les gens. Ce n’est pas ce que j’ai fait dans mes expériences professionnelles précédentes » déclarait-il alors à Imran Amed, rédacteur en chef de la publication. Cette confession, cette nouvelle manière de repenser la mode a fait s’écrouler une digue monstre qui bloquait les créateurs. Depuis, Christopher Bailey (Burberry), Tom Ford, Sir Paul Smith, Tommy Hilfiger et Diane von Fűrstenberg ont décidé de réduire le nombre de défilés de leurs labels respectifs et de faire fusionner leurs collections Homme et Femme dès septembre prochain afin de rendre l’achat de leurs pièces immédiatement disponible à la vente. Une réponse qui semble un peu trop facile et pas si éloignée que cela de la Fast Fashion. Acheter plus rapidement fait-il consommer plus. Ou n’est-ce qu’un colmatage temporaire d’une industrie épuisée? Le doute subsiste.
Dans l’ouvrage Fetishism in Fashion dirigé par Lidewij Edelkoort, Doreen Carvajal, correspondante au International New York Times, a écrit « Trouver le renouveau en restant fidèle à la tradition », un article sur la recrudescence de novices chez les moines dominicains en Irlande. Cela s’expliquerait selon elle par l’attachement que ces moines ont envers leurs traditions, donnant à ces nouvelles recrues une envie de mener une vie simple, d’appartenir à une communauté dont l’identité est définie et pérenne. C’est ce que cherchent à faire les marques en incorporant de jeunes designers. Plutôt qu’un usage unique façon kleenex, ces jeunes créateurs tendent à enrichir et développer un imaginaire et avec lui, une communauté. Alexis Martial et Adrien Caillaudaud qui ont repris Carven cette année en sont d’ailleurs la preuve. Pour leur première collection au sein de la maison française, ils ont travaillé sur l’image de la Parisienne vue de l’étranger. Comme quoi, contrairement à ce qu’en dit le dicton, en changeant l’habit, on change aussi le moine.

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Article originellement publié dans le numéro 47 de Modzik, toujours disponible ici.