C’est aux côtés d’Olivier Theyskens chez Nina Ricci, qu’ils ont fait leurs preuves. Depuis octobre 2010, Léonie et Marius travaillent ensemble sous le nom de Mal-Aimée. Entretien avec ce duo mêlant modernité urbaine et féminité androgyne.

Pour commencer, pouvez-vous nous dire qui se cache derrière Mal-Aimée?

Marius : Alors, on s’est connu dans les ateliers de la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève. Je suis le premier à être arrivé chez Nina Ricci, en tant que stagiaire. Puis j’ai évolué dans la maison pour travailler aux côtés d’Olivier. Ils recherchaient un autre stagiaire et j’ai proposé Léonie.

Qu’est-ce qui vous a poussés à travailler ensemble et à vous lancer?

Marius : Chez Nina Ricci, on s’est tout de suite très bien entendu. Puis avec le départ d’Olivier Theyskens, on est parti aussi, c’était son travail qui nous intéressait.

On n’avait jamais vraiment postulé dans des maisons auparavant, donc on a mis nos CV à jour, et on a travaillé sur nos books…

Léonie : On ne voulait pas se quitter, et en même temps, postuler à deux, c’était loin d’être facile. Mais on ne s’est pas dit: “On va créer une marque”, c’était loin d’être une évidence. On a commencé par participer au Festival d’Hyères, en élaborant une petite collection, sans succès. On a tout de même continué, notre collection était plutôt aboutie, on l’a donc présentée à plusieurs bureaux de presse. Même si on n’avait pas encore de nom pour la marque. Les choses ne se sont pas faites dans l’ordre, on ne savait pas trop où on allait. 

Marius : On a un peu fait “les choses à l’envers”. Puis une agence, autre que celle dans laquelle nous sommes actuellement, était intéressée. On y a réalisé deux collections, le directeur artistique a changé et nous sommes partis.

Et donc, d’où vient le nom “Mal-Aimée”?

Marius : On devait absolument trouver un nom. Mais on ne pouvait pas faire grand chose avec “Léonie et Marius”, ça fait tout de suite “Tartine et chocolat”, beaucoup trop niais. On a fini par constater que le “A” et le “M” revenaient assez souvent, donc on a d’abord travaillé sur le logo. Ensuite, on ne saurait l’expliquer, mais “mal-aimée” trottait dans nos têtes, l’idée nous plaisait bien. Et c’est en regardant dans le dictionnaire, en tombant sur une citation de Michel Tournier tiré de La Goutte d’Or : “Un chant mélancolique où une fillette mal-aimée en raison de ses origines infamantes devenait une jeune fille dangereusement désirée” .

Léonie : Et là on s’est dit “On le tient !” 

Pouvez-vous nous parler de votre manière d’élaborer une collection?

Léonie : La matière est le point de départ. Elle nous donne des envies d’associations de matières, de coupes.. On aime mélanger. Ensuite on discute de nos envies respectives. Marius va davantage s’exprimer par des silhouettes. Moi, plus en mettant au point une technique 3D, et de fil en aiguille Marius part dans le dessin et moi dans le patronnage.

Marius : Voilà, moi je suis dans le croquis, et Léonie dans le moulage. Elle regarde mes dessins et, en général, elle retrouve des idées qu’elle exprime sur ses toiles. Elle rend mes dessins réels. Je m’occupe aussi des imprimés. Et désormais, plusieurs couturières nous aident à l’élaboration de nos collections, qui sont de plus en plus importantes.

Quelles sont vos inspirations, vos icônes?

Marius : On ne fonctionne pas trop en s’inspirant d’expos…  Par exemple, pour la collection été qui vient de sortir, on s’est inspiré d’oursins pour les imprimés, en partant de photos de ma maman. Mais du coup, les oursins vont amener à d’autres références, avec les couleurs, au film de Dario Argento. Lana Del Rey nous a pas mal marqués aussi. Finalement on remarque les inspirations après coup. C’est assez instinctif.

Léonie : Pour notre première collection, nous étions partis des “Transformers”, à partir d’anciens patrons, d’archives de costumes d’hommes. Les patronnages étaient très intéressants. Mais c’était seulement pour le Festival d’Hyères. Finalement, nous sommes revenus sur une façon plus classique de travailler.

Marius : Ca devenait tout de suite des silhouettes trop abstraites sinon.

Vous avez commencé le Prêt-à-porter il y a peu d’ailleurs?

Marius : On est parti sur le Prêt-à-porter avec la 3ème collection. Un virage un peu radical. Ca a bien marché. Au début, tu ne veux pas te poser trop de questions, tu veux juste faire des choses spectaculaires. Mais d’un point de vue commercial, tu es obligé de synthétiser, d’épurer. Quand une pièce contient trop d’idées, elle se suffit à elle-même, tel un bijou. Mais elle ne s’intègre pas à une collection.

Léonie : Avec le PAP, c’est plus simple pour les acheteurs, tout fonctionne avec tout. Tu stylises tes tenues. Mais on arrive tout de même à intégrer des pièces fortes à nos collections. On garde notre esprit.

Quel est votre rapport avec Lana Del Rey?

Marius : On l’a habillée à plusieurs reprises, pour une émission espagnole, puis dans son clip “Summertime”. Elle nous a ensuite demandé de l’habiller en exclusivité pour un concert aux Eurockéennes et pour sa tournée en Australie. C’est nous qui sommes allés vers elle, c’était une démarche sincère. Son styliste a aimé notre travail et donc elle a dit oui.

Pourquoi avoir choisi une danseuse pour la présentation de votre site?

Marius : A notre première présentation, Jane Birkin est venue, elle devait rester seulement 5 minutes et au final, elle est restée jusqu’à la fin. Elle a voulu nous rencontrer, et nous a dit que nous étions très culottés. On avait présenté des filles en body-string. Puis grâce à notre attachée de presse, Charlotte Gainsbourg s’est retrouvée en couverture du Madame Figaro avec une de nos pièces de la deuxième collection, un shooting qui avait eu lieu avec sa soeur Kate Barry. On a donc rencontré Kate, dans l’optique de réaliser une vidéo, de voir les idées qu’elle avait en tant que photographe, et finalement elle était partante pour la réaliser.

Léonie : Et concernant la danseuse, on avait besoin de montrer la mouvance du vêtement, il nous fallait des lancés de jambes, un déploiement, afin de laisser apparaître le jacquard émeraude. 

Qui est la femme Mal-Aimée?

Marius : Je dirais une femme pleine d’ambivalence, à la fois très sophistiquée mais aussi timide. Capable de perdre ses moyens et en même temps, elle dégage quelque chose de très fort. Tout est dans la dualité, dans la contradiction. Lana Del Rey correspondait parfaitement à cette image, du moins au début, de par son côté mystérieux. 

Léonie : Elle est bien dans ses baskets, d’ailleurs on a bombé des vieilles baskets en argenté pour le prochain Lookbook. On essaie d’être moins conventionnels que chez Nina Ricci, de donner un peu de fraîcheur. On voit plus la fille Mal-Aimée en basket qu’en Louboutin.

Votre dernière collection?

Marius : On en est donc à la cinquième, la collection Printemps-été 2013. On a préféré la présenter par le biais d’une vidéo, qui est un bon moyen de communication pour la presse, accompagné d’un showroom.  On a continué à travailler avec Solweig, on y présente une femme beaucoup plus perplexe, mystérieuse. Solweig étant plus comédienne que mannequin.

Marius et Léonie ont donc présenté leur collection Printemps-été 2013 comportant 36 looks, par le biais d’une vidéo, le 26 septembre dernier. Ils ont aussi réalisé une robe pour Beth Ditto, chanteuse du groupe Gossip. 


Par Estelle Marin