Dennis Schreuder est un créateur hollandais qui vient de terminer l’école de mode ArtEZ et qui a présenté une collection de fin d’études absolument délicieuse. Entre références dramatiques et  culottes précieuses habillées de cuir rouge portées par des hommes, sa collection nous a tapé dans l’œil par son audace et sa beauté étrange. Nous avons rencontré ce jeune esthète afin de discuter avec lui de liens du sang, de l’importance de son passé et surtout de son avenir pas si tracé.

Dennis Schreuder

D’où viens-tu ? Peux-tu me parler de ton parcours ?

Dennis Schreuder : Je suis né et j’ai grandi à Amsterdam. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire, je rêvais de faire du théâtre mais cette formation ne m’a pas plu, alors je me suis lancé dans une formation technique de la mode à la place. J’ai beaucoup douté la première année, jusqu’à ce que je décroche un stage chez Iris van Herpen. Là-bas, je suis tombé amoureux de la mode, j’ai compris qu’il s’agissait de bien plus que de vêtements. L’élément déclencheur a été la semaine de la mode parisienne : l’atmosphère, le chaos et l’agitation m’ont fait réaliser à quel point l’univers de la mode me correspondait. Après mes quatre années d’études, j’ai décidé d’aller à ArtEZ. Aujourd’hui, je suis diplômé avec une collection dans laquelle j’ai rassemblé tout mon savoir. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir, le rêve ultime serait de créer ma propre marque; sinon travailler pour une grande marque semble être une bonne alternative.

J’ai découvert ta collection intitulée « Je Moeder », qu’est-ce que cela signifie en français ? 

DS : « Ta mère » ou « ta maman » est souvent utilisé dans la rue comme une insulte aux Pays-Bas, mais la génération plus âgée ne le sait pas et voit ces mots comme un hommage. Le mot « ta mère » provient aussi de l’amour que j’ai pour ma jeunesse. Ma mère est géniale, elle a sa propre personnalité et n’a jamais changé. Elle a toujours fait ce qu’elle voulait et ses enfants ont suivi ses pas. Cette dualité a été le point de départ de ma collection, l’ambiguïté et la superposition sont devenues mes fils rouges.

Cette collection « Je Moeder » est très audacieuse. Peux-tu en parler un peu plus ?

DS : Merci pour le compliment, j’ai trimé ces six derniers mois pour la réaliser. Pour cette collection finale, je voulais traverser toutes sortes de frontières. À ArtEZ, les collections sont souvent soigneusement confectionnées et c’est ce que je voulais absolument éviter. J’ai pensé mes créations comme des objets d’art avec un aspect mode puissant. Si une pièce était trop exubérante comme l’ensemble en jean, j’essayais de la rendre plus discrète, mais à ma manière. Je suis toujours à la recherche de contrastes, cela se retranscrit dans les looks que je crée.

Tu brouilles les limites entre le féminin et le masculin dans la collection « Je Moeder », les hommes portent des brassières et des culottes par exemple, je me trompe ?

DS : Absolument pas et je suis très heureux que cela soit visible. Je ne me suis pas préoccupé de la question du genre, je visualisais des modèles à l’aise avec leur tenue, sans réfléchir à leur sexe. J’aime l’idée que nous n’ayons pas à tenir compte du genre à notre époque. Comme ma meilleure amie, la styliste Indiana Roma Voss, dit toujours : « Le sexe est entre vos oreilles et pas entre vos jambes ».

Quel a été ton processus créatif ?

DS : Je savais ce que je voulais et n’ai rien laissé au hasard. Je voulais faire ressortir l’ultime » de chaque look, j’ai choisi de rassembler toutes sortes de silhouettes et d’utiliser ma jeunesse comme inspiration, j’ai pioché divers événements, éléments et objets. Par exemple, le costume en denim est un mélange des jeans Levi’s de ma mère et du canapé Chesterfield de mes grands-parents. Quand j’étais plus jeune et qu’il y avait trop de monde chez moi, nous allions chez mes grands-parents dans le nord des Pays-Bas, je voyais leur canapé comme une protection. Le mode de vie hyperactif de nos parents nous manquait, malgré leurs visites, et nous étions toujours heureux d’y retourner. Ces deux extrêmes de mon éducation ont créé une vision singulière et ce look représente la dichotomie qu’il y a entre ces mondes. Les grandes formes de la silhouette incarnent la protection de mes grands-parents. La culotte rouge qui devient visible représente le désir et la fusion parfaite de ces deux mondes. Ma jeunesse était très belle mais rude. Chaque look a sa propre histoire, chaque silhouette révèle des sentiments uniques.

Dennis Schreuder

Certaines des silhouettes portaient des masques (précieux et aussi un peu effrayants), as-tu une explication à me donner ?

DS : En plus d’être élégant, le masque a une histoire conceptuelle qui incarne la dichotomie de ma jeunesse : elle a été difficile à accepter, mais, maintenant, j’en suis très fier et j’ose montrer que ça n’a pas toujours été le cas. C’est pour cette raison que je ne voulais pas rendre le masque trop « beau ». Ils sont bien structurés sur le plan technique – avec un ou plusieurs matériaux précieux – et m’ont demandé beaucoup de temps à la réalisation.

Par quoi as-tu été inspiré ?

DS : J’ai grandi dans une famille peu conventionnelle, mes parents possédaient plusieurs cafés et clubs à Amsterdam et ils avaient une vie sociale très active. Nous avions une liberté absolue dans ma famille. Le fossé entre la parentalité et l’individualisme a toujours été une fascination et une inspiration pour moi. Cette collection rend hommage à mon éducation, à mon enfance et à ma mère. La silhouette avec la robe-sweat rose s’inspire du fait que je sois gay et que mes parents m’ont toujours protégé, que ce soit à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. J’ai toujours pu être qui je voulais être. Sur la partie jupe, des hommes gays nus sont imprimés à la façon d’une peinture baroque. Être gay est une fierté pour moi et mes parents l’ont toujours accepté.

Dennis Schreuder

Dans la collection, tu dévoiles les corps des modèles, quel est ton rapport à la nudité et pourquoi est-ce important de dévoiler son corps ?

DS : Le corps est merveilleux et il faut en être fier. Quel que soit notre corps ou qui que nous soyons, nous venons tous du même endroit, nous avons tous grandi dans le ventre de notre mère. La révélation dans la collection ne concerne pas tant le corps mais plutôt l’action et ce qu’il y a dessous. Le slip en cuir rouge (avec des centaines de perles de verre brodées) s’inspire de l’accouchement, un événement douloureux mais beau.

C’est comment d’être un jeune créateur au Pays-Bas ?

DS : Compliqué mais c’est pareil pour tous les créatifs. Les Pays-Bas sont un petit pays et rien de très nouveau ne se passe en matière de mode. Heureusement, ces dernières années, il y a beaucoup de jeunes pousses qui sortent du lot, des talents qui se font également connaître à l’étranger.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la mode ?

DS : C’est une coïncidence. Grâce à mon premier stage chez Iris van Herpen, j’ai compris que la mode correspondait à ma manière de créer. L’industrie de la mode est un monde difficile, où il faut travailler dur et faire ses preuves, mais qui me plait.

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Qu’est-ce que tu aimerais voir plus dans la mode ?

DS : Heureusement, aujourd’hui, la mode se combine à d’autres formes d’art. J’aimerais mélanger la mode à l’art de la performance en particulier.

Sais-tu ce que te réserve l’avenir ? Quels sont tes projets ?

DS : En ce moment, je m’inscris à différentes compétitions. Si je gagne l’une d’entre elles, j’aimerais créer mon propre studio. Si cela ne fonctionne pas, j’aimerais postuler chez des marques et ainsi travailler en équipe, certainement à l’étranger, à Paris, à Londres, à Milan ou à New-York.

As-tu une matière fétiche ?

DS : Pas spécialement, même si en regardant ma collection, la soie y est omniprésente. Je pense que c’est un matériau riche et disponible dans de nombreuses qualités différentes. Les tissus transparents qui tombent délicatement marchent toujours bien pour moi.

Un créatif fétiche ?

DS : David Bowie et John Galliano pour Dior font sûrement partie de mes favoris. Mais chaque personne évolue, tout comme ses goûts et son style.

Une pièce fétiche ?

DS : Je suis amoureux des sacs et des écharpes. J’aime les sacs de la marque Roel van Berkel et je noue toujours mes sacs avec une écharpe Hermès.

Une personnalité fétiche ?

DS : That Girl Sussi, Love Bailey et les anciens « Club Kids » de New-York. Ils sont une source inépuisable d’inspiration pour moi, ils assument qui ils sont et font la différence de jour comme de nuit.

Dennis Schreuder