Tu as connu une enfance difficile. Rêvais-tu de connaître pareille ascension ?

C’est vrai que j’ai grandi dans un quartier pas facile, mais ce n’était pas le pire de tous, et de loin ! Je me souviens que ma mère me disait que les gens de mon quartier n’étaient pas de mauvaises personnes mais qu’elles avaient été mises à l’écart de toute opportunité. Avoir été élevée dans ces conditions n’a pas été rose tous les jours, mais cela n’a jamais conditionné notre existence. Je savais que nous nous en sortirions un jour. Ma famille a toujours été d’un soutien inconditionnel dans mes projets, ce qui m’a beaucoup aidée.

Plus jeune, tu as eu une pneumonie : tu devais rester chez toi et tu as pris des cours par correspondance. C’est ce qui t’a enseigné la discipline ?

Apprendre à la maison, c’était assez amusant. J’ai toujours été bonne à l’école et pour être totalement honnête, le tumulte social de l’école ne m’a pas manqué. Je pense vraiment que l’école n’a pas que des répercutions positives sur le développement des enfants. Et ma mère, je le répète, m’a beaucoup aidée. C’est elle qui m’a inscrite dès l’âge de 5 ans dans un « groupe de communauté » gratuit. J’ai alors commencé à jouer de la clarinette, du violon et du hautbois… À 15 ans, j’étais chef d’orchestre de l’Orchestre des Jeunes d’Oregon. J’ai eu mon diplôme à l’Université de Berklee à Boston alors que je me produisais en tant que chanteuse ou bassiste dans des groupes locaux.

Tu as gagné un Grammy comme « meilleur » nouvelle artiste », tu t’y attendais ?

Pas du tout… j’étais même surprise de ma nomination ! Après mon prix, alors que les fans de Justin Bieber (nommé dans la même catégorie ndr) hackaient ma page Wikipedia, moi, je faisais la fête avec Prince !

Tu fais plus de 150 concerts par an et tu viens d’enregistrer un nouvel album, comment trouves-tu du temps pour composer ?

Je ne regarde pas la télé, je ne passe pas mon temps sur Internet et je ne fais pas trop la fête. Et je passe peu de temps au téléphone ! J’essaie d’être productive et, de fait, j’ai assez de temps pour faire ce que je dois faire.

Si je regarde dans ton iPod, quelle musique vais-je trouver ?

Certainement beaucoup trop de choses : Earth Wind & Fire, Jimi Hendrix, Dave Holland, George Walker, Jaki Byard… Ce que j’écoute dépend bien sûr de mon humeur du moment !

Le jazz et toi, c’est une longue histoire ?

À la maison, j’écoutais surtout de la musique classique. Avec mes amis, j’écoutais aussi la radio et les grandes stars de l’époque comme Janet Jackson ou LL Cool J. Mais c’est au moment où j’ai commencé à jouer de la basse que le virus du jazz m’a piquée. J’ai tout de suite senti que c’était mon truc !

Et comment passe-t-on du violon à la contrebasse ?

J’ai joué de la musique classique pendant dix ans et je voulais vraiment en sortir. Dès mon premier contact avec la contrebasse, j’ai senti que quelque chose se passait, quelque chose que je n’avais jamais ressenti en dix ans de violon. Il fallait donc que j’en aie le cœur net. À partir de là, ma créativité a décuplé ! 

Comment réagis-tu quand tu entends dire que la contrebasse est un instrument masculin ?

Il s’agit juste d’une lieu commun qui a la peau dure dans l’inconscient collectif, mais lorsque j’ai intégré la classe au Conservatoire il y avait quatre filles sur un total de dix élèves. Je n’ai donc jamais vu cet instrument comme plus masculin que féminin. 

ESPERANZA SPALDING

Radio Music Society

(Concord Records/Universal Jazz)

Après son introspectif Chamber Music Society, Esperanza signe un album plus ouvert, plus chaleureux, plus chatoyant. Douze perles qui traitent autant de l’amour fraternel que de la liberté, de la noblesse d’âme, de la misère, de la guerre, de l’héritage des Afro-Américains, des relations amoureuses… À noter l’adaptation d’un titre instrumental signé Wayne Shorter où Esperanza a ajouté des paroles ou encore une magnifique reprise du classique de Michael Jackson et Stevie Wonder « I Can’t Help It »…. Le jazz a trouvé sa nouvelle icône ! JD

LES COUPS DE CŒUR D’ESPERANZA SPALDING :

Quelle est ta ville favorite ?

Portland dans l’Oregon, évidemment, ma ville natale ! On l’appelle « la cité des roses ».

Quel est ton restaurant favori ?

Je n’ai pas de restaurant préféré : j’aime manger un peu partout et tester de nouveaux plats. Ce qui fait qu’un dîner est réussi, ce sont les personnes avec qui tu le partages.

Quel est ton bar préféré ?

J’aime beaucoup le bar du Village Vanguard à New York, notamment pour sa programmation musicale.

Ton groupe préféré du moment ?

J’ai beaucoup écoué Little Dragon ces derniers temps.

Ton plaisir coupable à la télé ?

La série 30 Rock. Quand je me coiffe, je la regarde sur nbc.com car je n’ai pas de télé.

Quel est ton choc littéraire ?

The War of Art de Steven Pressfield.

Propos recueillis par Joss Danjean

Photo : Lara Giliberto

Réalisation : Flora Zoutu

Maquillage : Sonia Sologaïstoa

Assistant stylisme : Alexandre Bertrand