Ali Ekmekci, designer basé à Londres et passionné par la technologie, dresse — avec une grande sensibilité — un portrait esthétique de son temps, avec pour arrière-plan les questions de transparence politique. Sa collection « Dark Web » est l’incarnation d’un territoire de libre expression, débarrassé de tout mensonge d’état. Entretien.

Modzik : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Ali Ekmekci : Je suis un designer unisexe basé à Londres. L’année dernière, j’ai obtenu mon diplôme de l’Université des Arts de Londres.

M : Pouvez-vous parler de votre précédente collection ?

A.K : Ma collection de diplôme « Fake News » était inspirée par le fait que des personnes influentes mentent au public. Non seulement les institutions gouvernementales manquent de transparence mais aussi, plus généralement, des individus qui possèdent des moyens financiers ou un réseau social important. Les produits qui ont parfois l’air les plus sains peuvent être les plus malsains. De même, des artistes prétendument anti-système peuvent s’avérer être les plus conformistes. Nées dans la richesse, ces personnes perpétuent l’inclusivité.

M : Pourquoi s’intéresser au dark web ?

A.K : J’ai toujours voulu me mobiliser pour des causes sociales, en m’immisçant dans des réseaux inclusifs et surmonter le fait d’être isolé. La technologie est très répandue dans la culture, tout comme l’argent. La décentralisation est un phénomène qui attire l’attention. C’est ce que font Facebook, Bitcoin, Airbnb ou Uber, qui transfèrent l’autorité centrale à une entité dans le cadre de l’utilisation de la technologie et de la recherche.

M : Comment est né cet intérêt pour la technologie ?

A.K : Toute cette fascination pour la technologie m’est venue lors de la création d’une boucle d’oreille 3D, en collaboration avec minale-maeda.com. Cette expérience unique, le fait de pouvoir concevoir un si bel objet à travers un programme, c’était hallucinant. Même concevoir des vêtements en tricot grâce à l’utilisation de programmes tels que la CAD [conception assistée par ordinateur], peu accessible pour la plupart des consommateurs, était pour moi une grande réussite technique. Je n’aurais pas pu le faire sans l’aide de professionnels.

M : En quoi la censure en Turquie et en Asie était-elle un sujet important pour vous ?

A.K : La liberté d’expression en Turquie est attaquée. Les journalistes et les écrivains qui critiquent le gouvernement risquent des poursuites, sont soumis à la censure, à l’intimidation, au harcèlement. En Chine, on ne peut même pas dire le mot « liberté » dans une voiture parce qu’il est détecté par un microphone qui lance un avertissement : « liberté » étant un mot interdit. La Russie est un autre pays où la nouvelle génération semble être contaminée par certaines croyances dictées par ceux qui sont au pouvoir.

L’idée de se connecter à travers un réseau caché, non censuré et où l’identité de chacun est exprimée de façon limitée semblait intéressante. J’ai imaginé un espace sûr au sein du web où l’on peut s’exprimer librement. Par ailleurs, je me sens très chanceux de vivre à Londres, où la divergence d’opinion est tolérée, voire même appréciée.

M : Vous semblez avoir un lien très fort avec le numérique et les médias ; pourquoi ?

A.K : J’ai toujours été un nerd. J’adorais jouer aux jeux vidéo, surtout ceux avec des glitch, ce sont des bugs dans le jeu qui provoquent des comportements totalement délirants : les objets s’enfoncent dans les murs, clignotent ou partent à une vitesse folle dans le décor… Ce que j’aimais par exemple, c’était monter au sommet de la maison de Lara Croft : je voyais alors le jeu d’une perspective très différente, qui n’était pas celle voulue par les développeurs. Quand on habite en ville, on peut se sentir très vite isolé. Je veux imaginer passer à travers cela par un glitch, avec l’espoir de comprendre le monde et de mieux en profiter.

M : À l’heure des fake news et de l’utilisation de données personnelles, quel est le message que vous voulez faire passer avec vos collections ?

A.K : Nous apprenons chaque jour à quel point nos informations personnelles sont échangées à travers le dark web. Je pense que nous pouvons utiliser ces mêmes ressources pour notre gain personnel.