Les sœurs Casady reviennent avec Grey Oceans, un quatrième album qui flirte avec les sons synthétiques tout en conservant une âme psyché folk. Composée à Buenos Aires, cette nouvelle livraison, toujours empreinte de mysticisme, reste (une fois n’est pas coutume) touchante par son honnêteté. C’est à l’Hôtel Particulier que nous avons rencontré les CocoRosie durant leur séjour parisien.

Vous avez toujours enregistré vos albums dans des endroits différents. Où a été réalisé celui-ci ?
Sierra : On l’a composé dans divers studios. À chaque fin de tournée, on a pris l’habitude d’aller dans différents endroits. Ce coup-ci, on a commencé à enregistrer à Buenos Aires, où l’on a rencontré un ingénieur du son. On y a aussi rencontré Gaël, un pianiste réunionnais qui nous a beaucoup aidées à expérimenter.

Que signifie ce titre Grey Oceans ?
Bianca : Il reflète le passage entre la lumière et le noir, la transition entre la vie et le mort. On y voit aussi l’idée d’une renaissance.

Il y a beaucoup de sons synthétiques qui rappellent la jungle…
S : La première session a vraiment été fun, on s’amusait… On a créé des chansons up tempo mais, au final, on a privilégié les chansons plus sérieuses. On a énormément travaillé, avec beaucoup de curiosité, sur les rythmes et sur de nouvelles sonorités. Je pense que cela donne une touche étrange à l’album.
B : On a plutôt l’habitude de composer à la maison, mais là tout s’est fait en studio. On a adoré cette atmosphère.

De quoi parle la chanson « Lemonade », qui figure sur notre sampler ?
S : D’un souvenir de l’époque où l’on vivait dans une petite ville en Arizona. C’est une période dure car notre père venait de nous arracher à notre mère. On s’est donc retrouvées dans un endroit où
il n’y avait rien à faire, à part se balader dans le désert, explorer des maisons abandonnées, ce genre de trucs…

Quel regard portez-vous sur votre discographie ?
B : Nos albums sont comme des cercles, nos chansons aussi : il y a une forme de cohérence dans cette circonscription.
S : Lire nos poèmes et faire de la musique en s’en inspirant, c’est quelque chose que l’on a énormément fait pendant l’enregistrement de notre premier LP. Chez nous, les textes et la musique sont liés par une sorte d’instinct. Pour Grey Oceans, gaël a su capter ces premières impressions, d’autant qu’on compose de manière assez intuitive.

Dans cet album, il y a une chanson qui s’appelle « Undertaker », où l’on entend un vieil enregistrement de votre mère…
S : Oui, il y a une grande partie de notre passé que nous ne connaissons pas ou très peu. Même si on sait qu’il y a quelques années, elle écrivait et chantait en Turquie. C’était à la fois dur et très bizarre de découvrir récemment un enregistrement d’elle, d’autant qu’il est très triste. On a essayé de créer le reste de la chanson, sans en comprendre les paroles. Elle figure juste en intro et en outro. C’était évident dans un sens de travailler dessus, il y avait un aspect mystique dans cette démarche. D’une certaine manière, Grey Oceans est le plus intime de nos albums.

Vous donnez l’impression de vouloir créer votre propre mythologie…
S : Oui, c’est exactement ça. On ne veut suivre personne… Il y a cette histoire, The Bloody Twins, que l’on a commencée à écrire lors de l’album précédent. On voulait la continuer sur Grey Oceans : c’est le titre « gallows ». Ça se passe à l’époque victorienne dans le Mississipi. C’est une histoire assez triste qui parle de deux sœurs siamoises. Pour l’instant, on n’en a pas encore écrit la fin.

Sierra, tu peux nous parler de Voodoo-EROS, ton label ?
S : La dernière sortie, c’était il y a quelques années, le double album de Quinn Walker, Laughter’s an Asshole/Lions Land. Il joue avec Circles maintenant. Il y a un nouveau groupe que je vais peut-être signer et qui fera notre première partie en France : Light Asylum. Ils viennent de Brooklyn.

Quel genre d’adolescente étiez-vous ?
S : On était très différentes. Je passais tout mon temps dans la rue, je n’allais pas à l’école. La plupart de mes amis étaient très alternatifs, très punks : SDF, écrivains… J’écrivais des poèmes toutes les nuits, cela me délivrait. Je vivais entre San Francisco, New York et Los Angeles. J’ai quitté l’école très tôt : j’ai donc donné des cours de photographie et joué de la musique. Je faisais aussi mes propres fringues, je traînais en club. Je ne fréquentais que très peu de personnes de mon âge. C’était une super période.
B : Je me souviens de cette paire de chaussures à très hauts talons que tu avais fabriquée, aux couleurs de l’arc- en-ciel. Moi, à ce moment-là, j’étais dans une école de sport, même si le sport m’a toujours dégoûtée. Il y avait beaucoup de discipline, c’était très conservateur : les filles et les garçons étaient séparés, on portait l’uniforme… C’est ça, le Middle West : ils m’obligeaient à promouvoir l’école en chantant (rires).
S : On était assez bizarres comme ados. Nous n’avons jamais eu d’idoles. On ne savait pas ce qui se passait musicalement. Les groupes comme le Wu-Tang, on les a découverts vraiment très tard ! On n’écoutait pas vraiment de musique. On n’allumait pas la radio, on ne regardait pas la télé. On était complètement déconnectées. On n’avait que notre imagination.

 Sierra, j’ai lu que tu voulais couper tes seins, c’est une rumeur ?

S : (rires) Je ne sais pas quand j’ai dit ça, mais j’y ai longtemps pensé. Ceci dit, la chirurgie n’est pas un concept qui me plaît. Je préfère l’idée de transcender son corps pour devenir qui tu veux être. Justement, votre image, très transgenre, vous voyez ça comme un manifeste, une performance ?
S : C’est plus personnel que ça, mais c’est aussi un message très fort. Pour nous, c’est important que les gens soient conscients que leur corps leur appartient. C’est l’un des rares endroits où l’on peut exercer totalement sa liberté. Or, pour nous, c’est la seule manière de trouver sa propre vérité. 

Vous aviez travaillé avec le créateur Gaspard Yurkievich au Centre Pompidou pour une performance. Vous avez d’autres projets comme celui-ci ?
B : J’ai un side project qui n’est pas lié à CocoRosie. C’est justement à propos de The Bloody Twins : avec une amie à Paris qui s’appelle Florence Fritz, on a composé quelques chansons, dans un style très classique. gaspard a dessiné huit robes siamoises pour les deux jumelles. Je ne sais pas encore ce que cela va donner, s’il y aura des représentations ou si la musique accompagnera les défilés de Gaspard.

 

www.cocorosieland.com
CocoRosie, Grey Oceans (Pias) 

Propos recueillis par Guillaume Cohoner