Bill Viola, c’est LE pape de l’art vidéo. Ou plutôt, l’un des deux papes de l’art vidéo puisqu’il est impossible de le dissocier de Nam June Paik. Si l’un embrasse un art teinté d’humour, de couleurs, de bruit, voire de cacophonie, l’autre s’impose comme son contraire avec pour seul dénominateur commun, le temps. Car Bill Viola explore une vision plus métaphysique, plus existentielle que l’artiste sud-coréen, des questionnements qu’il transcrit dans ses œuvres vidéos. Ce médium, qu’il a choisi presque par hasard, est rarement mis à ce point à l’honneur qu’ici au Grand Palais. Avec une trentaine d’œuvres, dont certaines monumentales, cette rétrospective nous propose un véritable parcours initiatique. Un cheminement qui prend forcément du temps. Mais peut-être et surtout, le temps que l’on décide d’accorder à ces œuvres. Nous composons ainsi notre propre itinéraire sensible, émotionnel et sensoriel.

Par Jenny Stampa

A l’instar de « Reflecting Pool » (1979) qui nous saisit d’entrée. Dans cette œuvre projetée dans l’obscurité, on retrouve de nombreux thèmes chers à l’artiste : la nature, les éléments (eau, terre, air…), l’immensité des espaces, la réflexion des images, le temps qui passe… Ainsi, tout au long d’une journée, et de manière décousue, on suit la progression de la lune ou du soleil se reflétant dans un bassin. Notre regard se pose sur un corps suspendu en apesanteur qui jamais ne tombe dans l’eau, et semble contrarier la logique.

Une autre alternative est proposée à la suite naturelle des choses : la disparition métaphysique du corps dans l’espace, dans la vidéo, dans la nature, au-dessus de l’eau. Ne reste qu’une ombre qui se balade clopin-clopant sur le bord du bassin.

Des disparus, des revenants encore, comme ces silhouettes projetées en transparence sur 9 voiles vaporeux (« The Veiling » 1995) ou encore ces femmes qui passent au travers d’une mince cascade d’eau, qui s’attirent et se repoussent (« Three Woman », 2008) telles des esprits allant et venant  parmi les vivants.

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De nombreux moments, des passages de vie conduisant tous vers l’inéluctable fin. Une marche avant forcée qui, de la pureté de la jeunesse au flétrissement de la vieillesse, ne supporte aucune pause.

Inspiré de Jérôme Bosch, « The Quintet of the Astonished » (2000) enfin, est peut-être l’œuvre la plus compréhensible de Bill Viola. Ce groupe de personnes filmé comme une œuvre classique consiste en une succession de moments suspendus. Les personnes bougent subrepticement et changent ainsi la composition, le sens, les sentiments que l’on perçoit de cette toile vivante. En altérant les positions de ses acteurs, Viola réinvente sans cesse une nouvelle toile. De la scène figée, on obtient une œuvre évolutive dont la composition est en constante réinvention.

Bill Viola, fasciné par les éléments, par l’existence et par la mort, nous plonge dans le bain glacé de son univers. En parfaite immersion, on y perd la notion du temps. On ne peut que féliciter les choix audacieux du Grand Palais qui, en ce début de printemps, entre Mapplethorpe et Viola, font la part belle à l’anticonformisme du XXe siècle.