D’avance, il faut savoir que la suprématie établie sur le monde du beat making par le grand J Dilla ne sera pas ébranlée durant ce combat. Jay Dee reste et restera incontestablement l’artiste hip hop le plus prolifique de sa génération, véritable machine de guerre rythmique, disparu prématurément, ce qui ne fît que forger un peu plus sa légende. Aujourd’hui, nous tenterons plus simplement de mettre en exergue l’influence du Jedi sur des milliers voire des millions de jeunes Padawans et notamment sur l’un des plus brillants d’entres eux, Flying Lotus. C’est donc plutôt en qualité “d’héritage” et non de “combat” que nous allons nous pencher sur les relations sonores de ces deux bonhommes au talent infini.

Au commencement était Détroit. Aujourd’hui ravagée par la crise économique, la Motor City est l’une des Mecques musicales qu’ait fournit le pays de l’Oncle Sam ces dernières décennies. Au patrimoine de la ville, la Motown de Marvin Gaye et autres Stevie Wonder, le Hip Hop des Slum Village et Danny Brown (on peut ajouter un certain Marshall Mathers plus connu sous le nom d’Eminem). Coté Rock, c’est Alice Cooper qu’on sort d’une liste de légendes longue comme le bras. La Techno aussi, est née là-bas grâce aux quatre fantastiques Derrick May, Juan Atkins, Carl Craig et Eddie Fowlkes suivit par Jeff Mills qui fonda Underground Resistance… Bref à croire que plus une ville est merdique, plus on s’y épanouit avec une proportion à faire émerger la créativité du néant. C’est donc dans ce laboratoire à légendes que nait au milieu des années 70 James Dewitt Yancey a.k.a. J Dilla. Jay Dee se lance très jeune dans le beatmaking au travers d’un instrument phare de l’époque : le séquenceur MPC. Ses premières productions impressionnent à tel point qu’il devient avec son groupe 1st Down le premier collectif de rap de Detroit à signer sur une major. 1996, Slum Village né de la rencontre de Dilla avec T3 et Baatin, leur premier maxi Fan-Tas-Tic entièrement produit par Jay tourne dans Detroit de manière assez confidentiel mais arrive pourtant à parvenir aux oreilles de Q Tip alors leader d’A Tribe Called Quest. A partir de là, la machine s’emballe et Dilla se voit propulsers superstar du beatmaking. L’aisance avec laquelle il parvient à créer des rythmes ajustés au millimètres le font travailler pour les plus grands noms du RnB comme Janet Jackson, De La Soul, Busta Rhymes… Début des années 2000 Dilla se lance dans le rap et fait produire un album où il pose sa voix sur des instrus de Madlib, Pete Rock, Kayne West et d’autres. Malheureusement l’album finira rangé sur les étagères de MCA Records pour qui il avait quitté Slum Village. Cet événement marque le début d’un tournant dans les prods de Dilla. Il se (re)tourne vers l’indé et lâche les majors pour recommencer à produire sa propre sauce. L’album Ruff Draft qui sort sur son nouveau label Mummy Records, est le plus abstrait et le plus lo-fi de son oeuvre. Produit en une semaine, on retrouve les codes Dillesque : auto-prod, boucles hypnotiques et beats devenus archi-classiques. Sortit exclusivement sur vinyl et distribué par un label allemand, Dilla renoue avec les racines du Hip-Hop en sortant un projet de génie réservé aux puristes. Frappé en pleine ascension, Dilla tombe malade en 2003, un cancer du sang qui affecte fortement sa capacité à se déplacer. Trois jours après son 32ème anniversaire, il décède chez lui en Californie. Quelques jours avant sa mort, il fêtait la sortie de Donuts, la pièce maîtresse de son chef-d’oeuvre.

Dans la jungle de jeunes MCs en devenir et beatmakers à peine poussés, il y a un Lotus qui est plutôt bien planté. Steven Ellison, 30 ans et plus connu sous le nom de Flying Lotus, est le petit-neveu de John Coltrane. De quoi bien commencer musicalement parlant. Steven commence à produire vers l’âge de 15 ans avec, comme pléthore de jeunes noirs américains des années 90, pour idole le déjà grand Dr. Dre. Cependant son penchant pour l’abstrait se retrouve dès les premiers morceaux et c’est loin de la Californie que la genèse de Fly Lo prend forme. Très vite en désaccord avec la plupart des rappeurs avec qui il bosse, Steven devient artiste à part entière et travaille pour sa pomme. Ses morceaux sont étudiés comme un tout et non plus comme d’un support pour les versets d’un MC. Le bouche à oreille marche tant et si bien que les britanniques de chez Warp le font signer en 2007 pour rejoindre l’écurie déjà composée d’Aphex Twin, Mount Kimbie, Jamie Lidell… bref FlyLo est comme un poisson dans l’eau. En 2008 sort Los Angeles, pierre angulaire du style abstract hip-hop que le producteur développe sur dix-sept pistes retro-futuristes. Steven franchit une marche avec Cosmogramma, qui s’apparente à de la musique extraterrestre qu’on pourrait jouer en bas des tours de cités aliens ou dans des raves intergalactiques vers l’an 2167. La critique est unanime à propos de son Until The Quiet Comes, dernier projet en date, où FlyLo retrouve un certaine sagesse proche de la spiritualité, les tracks ont les pieds dans le ciment mais la tête dans le cosmos. Plus de dix ans de carrière se voient récompensées lorsque les studios Rockstar, firme qui produit le jeu GTA, proposent au Californien sa propre radio dans le dernier volet de la serie qui se vendra à plus de trente-cinq millions d’exemplaires à travers le monde. La consécration pour le geek qui dit jouer à la licence depuis le premier opus et l’opportunité unique de profiter d’un média bien plus conséquent en terme de visibilité que n’importe quel autre support. Pour la suite, Flying Lotus s’est mit au rap après avoir assisté à une session d’enregistrement des Odd Future. Après avoir démarré anonymement histoire d’être pris au serieux, Flying Lotus à révélé il y a quelques temps être celui qui se cachait derrière le mysterieux Captain Murphy. Une nouvelle corde à l’arc de FlyLo qui ressemble désormais de plus en plus à une harpe.

Si Dilla a laissé derrière lui un immense gouffre musical, ils sont des milliers comme Flying Lotus à le combler un peu plus à chaque beat, chaque sample, histoire de faire vivre la légende encore très très longtemps.

Par Roméo Husquin