On ne sait son identité, mais il est l’un des grafeurs les plus connus à l’international. Façades, murs et passerelles londoniennes l’adorent, retrouvent des couleurs grâce à lui. La police, elle, le redoute et le traque. Banksy demeure l’un des artistes les plus secrets, les plus libres et les plus subversifs d’Angleterre. Portrait.

Dans l’univers du street art, c’est un poète pictural culte. Un véritable phénomène, puisque ses toiles se vendent jusqu’à plu- sieurs centaines de milliers d’euros. Un cas assez mystérieux et déconcertant puisqu’on dit qu’il vient à ses propres expositions déguisé, incognito : il n’a jamais donné d’interviews ; on ne connaît ni son visage ni son identité. La seule photo de lui – mais est-ce vraiment lui ?– montre un homme vêtu d’un anorak, capuche sur la tête et masque de singe cachant son visage. Peut-être s’appelle- t-il Robert, ou Robin Banks. Mais tout le monde connaît son nom d’artiste : Banksy.

Il l’a écrit sur le dos des camionnettes, sur les murets des passerelles, sur les pelouses (interdites) des grands parcs, et même sur le flanc des vaches ou des cochons… La légende dit qu’il serait originaire de Bristol, où il aurait commencé sa carrière au sein du Bristol’s DrybreadZ Crew, entre 1992 et 1994. On avance une date de naissance : 1972. Parmi ses premiers souvenirs – qu’il raconte dans le livre manifeste Guerre et Spray –, une « intervention de nuit » dans une gare de triage. Il vient d’écrire « Late again » sur un wagon de voyageurs, mais il est interrompu par l’arrivée de la police. Il prend alors conscience qu’il faut être aussi rapide que percutant, qu’il faut devenir une ombre dans la nuit urbaine, travailler « léger » avec, dans sa besace, juste une douzaine de bombes de peintures, ses pochoirs et une corde d’escalade.

Les murs de Londres ne lui résistent pas, et il les a peuplés de ses personnages fétiches, un singe ou un rat, presque ses signatures… Le rat porte souvent une pancarte avec le « A » de Anarchie ; le singe, une affiche avec ces mots : « Laugh now, but one day we’ll be in charge » (Riez maintenant, mais un jour, c’est nous qui seront aux commandes). Ou les deux mains sur un détonateur, prêtes à l’enfoncer. L’environnement et les paysages urbains sont ses terrains de jeu, les supports d’une expression contestatrice, révolutionnaire et subversive. Parmi ses cibles de choix, les forces de l’ordre : un garde royal en train d’uriner contre un mur ou en train d’écrire « Anarchy » ; deux bobbies en train de s’embrasser goulument ; et sous forme d’un véritable parcours à travers les rues, ce filet de peinture qui semble sortir d’un égout, qu’on suit sur le bitume et l’asphalte, entre la chaussée et les trottoirs, jusqu’au pied d’un mur, qui représente un policier à quatre pattes, une paille dans le nez, prêt à sniffer ce qui ressemble donc à une ligne de cocaïne de plusieurs dizaines de mètres. On comprend que la police ne l’apprécie guère… Avec la Mona Lisa équipée d’un lance-roquette, son œuvre la plus connue, intitulée « Napalm », représente cette jeune vietnamienne brûlée au napalm, nue, pleurant, ici encadrée par Mickey et Ronald McDonald, dont les sourires deviennent alors terrifiants. Ses pochoirs hyperréalistes servent un humour toujours réjouissant, mais parfois très noir. « Contrairement à ce que l’on dit, le graffiti n’est pas la plus mineure des formes d’arts, écrit Banksy. C’est même l’une des plus honnêtes possibles. Il n’y a pas ce côté élitiste ou hype, et il n’exclut personne : pas de tarif d’accès prohibitif. Le graf n’est dangereux que pour trois types d’individus : les politiciens, les publicitaires, et le grafeur lui-même. » Son idée est que les publicitaires, en inondant les murs de leurs slogans, ont eux-mêmes lancé la guerre, et les grafeurs n’utilisent les murs que pour mieux riposter à cette entreprise globale d’accaparement du temps de cerveau disponible des citoyens.

Grand farceur, à Westminster, il a écrit sur des murs immaculés : « Grafiti Area ». Evidemment, le lendemain, les murs étaient couverts de fresques et de tags… Entre Keith Haring, Basquiat et le Français JR, il a également ouvert des « Riot Areas » (lieu d’émeutes), et est allé exercer son art jusque sur le grand mur censé protéger Israël des incursions palestiniennes en ouvrant – illusion graphique, encore – une brèche dans le mur, révélant derrière un paysage de rêve. Faussaire magnifique, il a aussi fabriqué de faux billets de dix livres, où l’image de la Reine d’Angleterre a été remplacée par celle de Lady Diana, et il a exposé ses œuvres en douce dans les musées new-yorkais, dissimulant même dans une vitrine une fausse œuvre préhistorique montrant, sur un bout de pierre, aux côtés d’un bison blessé, la silhouette d’un homme des cavernes poussant un caddie. Généreux, il dispense aussi ses conseils aux néophytes : « Il est toujours plus facile d’obtenir le pardon que la permission ». Bref, une visite de Londres et de ses monuments ne dispense donc pas d’un regard attentif aux murs et façades des rues de la ville, même les plus anodines. En apparence.

Bibliographie : Banksy – Guerre et spray, Eds. Alternatives.
À voir : Faites le mur (2010), film de Banksy.

Par Cédric Fabre