En seulement deux albums studios, les trois new yorkaises d’Au Revoir Simone ont su s’imposer comme une valeur sûre de la pop synthétique. Toujours avides de nouvelles expériences, elles étaient de passage à Paris pour un concert exceptionnel avec Air dans l’antre de la Citée de la Musique, mais aussi pour la sortie d’un album de remixes de leur dernier LP intitulé Night Light.

Comment a démarré cette collaboration avec Air ?

Erika Forster : Nous avions tourné avec eux en 2007, ils nous avaient dit qu’ils aimeraient bien collaborer avec nous car ils adoraient notre travail. Mais c’est seulement il y a un an qu’ils ont se sont libérés pour le projet.

Annie Hart : On ne les a pas pris au sérieux au départ, mais quand ils nous ont recontactées, on a compris qu’ils ne rigolaient pas !

Cela vous a fait peur ?

EF : Un peu. Nous étions nerveuses avant de commencer à répéter avec eux. Mais une fois que nous nous y sommes mises, c’était génial. Cette collaboration nous permet de sonner comme une nouvelle formation. Nous avons un excellent batteur – c’est la première fois que nous jouons sur scène avec un batteur – mais nous avons tout de même réussi à garder une formule assez light : nous ne sommes que six sur scène.

Vous étiez déjà fan de Air avant de les rencontrer ?

Heather D’Angelo : Pour moi il y a eu un avant et un après Moon Safari. Je me souviens très bien de la première fois que je l’ai écouté. J’étais adolescente à New York, l’électro ne m’intéressait pas, j’écoutais plutôt de la synth pop. Cet album avait son propre univers, son propre son. Et je me disais : « Il n’y a pas d’autres groupes comme Air ? Je veux découvrir d’autres groupes comme eux ! » Effectivement, il n’y en avait pas : celui qui s’en rapprochait le plus à l’époque, c’était Stereolab.

Vous avez beaucoup répété ensemble ?

EF : Seulement quatre fois, c’est court. On s’est vu une première fois à New York pour parler de la set-list, puis on a commencé les répétitions à Paris. C’est pour nous un challenge tellement excitant ! On joue des morceaux de tous les différents albums de Air, c’est très stimulant. Il y a même une chanson où l’on chante en français !

Vous venez de Brooklyn. Comment expliquez-vous l’exode des groupes de Brooklyn pour Los Angeles ?

AH : Je pense que c’est dû à une autre manière de vivre. Ces deux villes sont tellement différentes ! Les gens partent à L.A. pour être plus relax et avoir plus d’espace. Être au soleil, c’est forcément plus agréable. New York est une ville très hystérique même si effervescente, et qui reste souvent associée au travail. On avait enregistré une partie de Still Night, Still Light à Los Angeles, mais simplement parce que notre producteur vivait là-bas.

Vous avez toujours aimé la France…

EF : Oui, on adore Paris. On a toute les trois, depuis l’enfance, une fascination pour la France. Nous avons appris le français très jeune, ce qui est inhabituel pour des américaines. C’était notre décision. On a grandi avec beaucoup de livres en français. C’est tellement beau chez vous ! Nous avons de la France l’image d’un endroit très romantique. Et pourtant, la première fois que nous sommes venues, nous nous sommes fait la réflexion que Paris est aussi sale que New York ! Mais c’est également une ville plus chaleureuse : les gens viennent spontanément te parler, même dans la rue. Et – mais cela tient sans doute à sa petite taille – artistiquement, c’est une ville qui nous inspire beaucoup.

Votre deuxième actualité, c’est la sortie d’un album de remixes de votre précédent disque, Still Night, Still Light, par Neon Indian Jens Lekman,YourTwenties ou encore Aeroplane. Comment vous est venue cette idée ?

AH : Dès notre premier album, The Bird Of Music, nous avions également sorti un album de remixes. Je pense que notre musique se prête bien à ce genre d’exercice. De plus, on est toujours curieuses de voir ce que cela va donner. Pour le précédent album de remixes, c’était surtout nos amis qui avaient collaboré. Celui-ci constitue une exploration de notre musique par des artistes très variés. Il est beaucoup plus hétérogène et expérimental. On peut y retrouver des versions electro, pop ou même dub.

Pour en revenir à votre précèdent disque, la teneur était plus mélancolique…

HA : Avec Still Night, Still Light, nous avons essayé d’avoir un son plus organique. C’est vrai que les textes sont très tristes, cela parle énormément de ruptures. Mais nous avons essayé de créer un contraste avec la musique qui est plus relevée, moins naïve que sur The Bird Of Music.

Vous avez d’autres projets ?

EF : Je vais voyager cet été pour un travail de recherche scientifique, mais je n’ai pas encore le droit d’en parler.

HA : Je vais sortir un livre de photos avec un ami. Ce sont des natures mortes, avec une forte obsession pour les tables de pique-nique.

AH : Mon projet personnel, c’est mon bébé qui arrive à grands pas.

EF : C’est bien d’avoir des projets artistiques personnels quand tu es dans un groupe, même si au sein d’Au Revoir Simone, nous sommes très complémentaires. Nos claviers s’accordent parfaitement maintenant, ce qui nous donne un son très indentifiable. On ne pourrait pas avoir un quatrième membre. Jean Benoît Dunkel de Air nous disait justement qu’il était fasciné par notre façon de composer, car elle lui était complètement étrangère. Pour lui, nous composons de façon illogique (rires). C’est aussi ce qui l’intéressait, dans cette collaboration. Notre méthode de composition s’assimile plus à une forme de mashup, alors que Air procède avec une approche quasi- scientifique.

Vous faites tout vous-même : vous considérez votre groupe comme une formation punk ?

EF : Je prends cette question comme un compliment ! On a tous beaucoup écouté de punk. La scène hardcore new-yorkaise nous a toujours inspiré par son énergie et son côté débrouillard. Tous ces kids qui organisaient des concerts et imprimaient leurs propres flyers… Il y avait un côté presque magique. C’est une des raisons pour lesquelles on adore notre label, Moshi Moshi, qui nous donne cette liberté artistique totale. On produit d’ailleurs nous-même nos disques. On ne cherche pas à avoir encore plus de public pour pouvoir signer sur une major.

En dix ans de carrière, comment avez-vous vu évoluer la scène de Brooklyn ?

HA : Il y a plus de tout. Plus de groupes, plus de salles, plus de producteurs, plus de studios… Quand on a commencé, on se connaissait tous. C’était très familial. Tout le monde s’encourageait mutuellement. On sentait qu’il se passait quelque chose, on était encore un petit cercle de musiciens. Maintenant tout le monde est dans un groupe !

Vous aimez être en tournée ?

HA : C’est fun, mais fatiguant aussi. Mais nous n’aurions jamais eu l’opportunité de faire ça si on n’avait pas formé Au Revoir Simone. Le plus dur en tournée, c’est que tu n’as pas vraiment le temps pour toi, de t’isoler et de rester créatif. Mais on adore lier connaissances avec les gens que l’on croise.

EF : Quand je reviens de tournée, je reste chez moi avec mon copain à lire : j’ai toujours un temps d’adaptation où je ne veux plus voir personne (rires). C’est aussi un peu comme quand, adolescent, tu pars pour la première fois en vacances sans tes parents : quand tu reviens dans la maison familiale, tu cherches à retrouver cette liberté.

Chronique

Le remix est toujours un exercice difficile. Un album réinterprété intégralement par divers musiciens l’est encore plus. La dernière preuve en date reste l’échec du dernier album de Liars, Sisterworld, où Blonde Redhead, The Melvins ou encore Bradford Cox essayaient de se démener comme ils le pouvaient sur les compositions de cet album pourtant magistral. Heureusement, pour elles comme pour nous, la pop synthétique de Still Night, Still Light laisse des plages éthérées propres à inspirer l’imaginaire des musiciens qui se sont prêtés à l’exercice. Dès l’ouverture de «Another Likely Story» par Neon Indian, on comprend rapidement que la pop d’Au Revoir Simone peut s’engouffrer dans diverses brèches musicales. Si Neon Indian choisi la voix de Moroder, Max Cooper décide, lui, d’amener « Take Me As I Am » vers l’ambiant expérimental. Mack Winston invoque la moiteur en délivrant une version dub de «The Last One», alors que Jensen Sportag rajoute un orchestre tout droit sorti du meilleur de The Divine Comedy à «All Or Nothing ». Mais les félicitations reviennent à Clock Opera, qui réussit à sublimer la fragilité de «Tell Me» en lui insufflant une rythmique clubbing. Night Light est une relecture sincère et surprenante d’un album qui était déjà pourtant de haute voltige.

Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photos : Thomas Paquet
Réalisation : Shino Itoï
Mise en beauté : Wally Diawara
Au Revoir Simone,
Night Light (Moshi Moshi/Discograph)
www.aurevoirsimone.com
www.myspace.com/aurevoirsimone