En quelques mois et avant même son premier album, angel Haze s’est imposée dans un milieu rap ultra-concurrentiel et en plein renouveau. Propulsée par Def jam, cette freestyleuse aguerrie, dont chaque couplet est une revanche sur un passé trouble, devrait prendre le pouvoir en 2013. On tient le pari…

Si pour une raison qui nous échappe, le Californien, Kendrick Lamar, a remporté tous les suffrages de la fin d’année, c’est bien New York qui fut le théâtre du renouveau du hip-hop en 2012. A$AP Rocky, Azealia Banks, Action Bronson et Joey Bada$$ – tous nés et élevés dans l’un des five boroughs – ont contribué à redorer le blason de la Grosse Pomme, particulièrement terni ces dernières années (au profit du sud des Etats-Unis, notam- ment). 2013 pourrait être l’année d’une provinciale qui clame « I run New York» sur son premier single officiel «New York» (Def Jam/Universal).

« Cette ville a une énorme influence sur moi et ma musique. J’écris sur ce que je vois et sur ce que j’entends, et à New York, je ne suis jamais à court d’inspiration. J’ai décidé de m’y installer parce qu’il paraît que c’est ici qu’on vient poursuivre ses rêves, mais je ne me vois pas rester ici très long- temps. J’espère bientôt déménager à Missoula », nous explique Angel Haze, qui avant une hypothétique retraite dans cette ville du Montana, célèbre pour avoir vu naître David Lynch, fêtera ses 22 ans dans son nouveau fief de Brooklyn avec un premier album très attendu, annoncé par une série de mixtapes et d’Eps, dont Classick sur lequel elle reprenait plusieurs titres phare du rap des années 2000. « Ces morceaux de Jay-Z, Lauryn Hill ou Missy Elliott m’apparaissent comme des chansons intemporelles », répond la jeune rappeuse, quand on lui demande la raison qui l’a poussée à réinterpréter « Song Cry », « Doo Wop » ou « Gossip Folks ».

Née dans le Michigan, en 1991, Angel Haze n’a pourtant pas grandi en écoutant la radio Power 106. Elevée dans une communauté religieuse que sa famille déserte après une série d’épisodes violents (mauvais traitements et abus sexuels qu’elle raconte par le menu dans sa reprise du titre d’Eminem, « Cleanin’ Out My Closet »), Angel Haze découvre le rap sur le tard : « La musique n’avait pas sa place dans la communauté, hormis le gospel, évidemment ». Attirée par la poésie (elle cite la poétesse lesbienne et féministe,Andrea Gibson, comme principale influence), Haze glisse vers le hip-hop à l’invitation de son entourage : « J’avais un ami au lycée qui m’incitait, constamment, à passer de la poésie au rap, se souvient-elle, mais je me considère, avant tout, comme une auteure ». Textuellement, la native de Detroit joue sur plusieurs tableaux : introspective, elle revient régulièrement sur son passé douloureux, mais ne néglige pas, pour autant, les effets de style (« Je contemple la vue du haut de mes douleurs passées », rappe-t-elle sur les premières mesures de « Sufferings First », l’un des morceaux de son Reservation EP) ou les phases d’egotrip (les éxubérantes Lil’ Kim et Nicki Minaj sont dans sa ligne de mire, et la jeune femme pratique le freestyle de combat). Déterminée, voire belliqueuse, Angel Haze se dit apatride («Je suis très jalouse des gens qui sont attachées à leur ville natale », disait-elle au site Consequence of Sound, en juillet dernier) et se peint volontiers dans ses textes en missionnaire solitaire (« J’ai beaucoup d’amis et ils sont imagi- naires » sur « Jungle Fever », avec Kool A.D. de Das Racist, dont elle partage le manager).

Avant Classick, qui mit, pour de bon, le feu aux poudres à l’automne dernier (sa confession fut très largement commentée et comparée à celle qu’Eminem livrait sur la même bande, il y a 10 ans), il y eut le long EP, Reservation, mis en ligne au milieu de l’été. Angel Haze y faisait montre d’une polyvalence étonnante, alternant séquences de rap technique, tout en double-times et métaphores (le frénétique « Werkin’ Girls »), moments chantés aux accents pop (« Gypsy Letters »), et ballades (« Castle On A Cloud »). Une maîtrise qui est le fruit d’un travail méticuleux, presque scolaire. « Je n’ai pas, à proprement parler, étudié le style des rappeurs que je découvrais au fur et à mesure – N.D.L.R. : il se raconte qu’elle n’a pas entendu un couplet de Notorious B.I.G avant ses 21 ans -, mais j’ai beaucoup travaillé ma technique, appris le métier et voulu développer un style qui m’est propre », nous révèle Raykeea Wilson, aussi taiseuse et directe en interview qu’elle paraît à l’aise et affûtée sur ses disques.

Dans le clip très arty de son tube « New York » (porté par d’entêtants handclaps), Angel Haze torture et assassine plusieurs protagonistes, affublée d’un masque à gaz, avant de terminer son errance dans les rues sombres de sa ville d’adoption, entre les quatre murs d’un studio d’enregistrement. Une métaphore de ce qu’elle appelle, elle-même, la « croisade » qu’elle entend mener dans un rap game plus compétitif que jamais. La vidéo, signée Adrienne Nicole, est aussi l’occasion pour Angel Haze d’entretenir le flou autour de ses préférences sexuelles (elle y est vue avec des partenaires des deux sexes), un positionnement qui a fait ses preuves ces derniers mois (cf. Frank Ocean et Azealia Banks). En entretien, elle se présente comme « pansexual », et se fend d’une réponse ambiguë, quand on lui demande si, selon elle, il faut aujourd’hui s’ouvrir à son public sur ce point : « Tant que cela ne fait pas partie intégrante de l’univers musical de l’artiste, je ne crois pas que cela soit nécessaire ».

Graphiquement, à l’image du clip de « New York » et en accord avec la teneur de ses rap, Haze préfère une sobriété glaciale – un style dominé par le noir et le kaki (elle porte un treillis sur la pochette de Classick) – aux couleurs criardes de la rappeuse m’as-tu-vu, Nicki Minaj, et de la nouvelle icône de la mode, Azealia Banks. Elle se dit néanmoins de plus en plus «obsédée par la mode».

Sur tous les fronts, Angel Haze freestylait, il y a quelques semaines, sur les synthés de l’électronicien canadien, Lunice – moitié du duo TNGHT signé sur Warp – pour «Gimme That», et s’appropriait dans la foulée «I Don’t Like », l’hymne ultra-violent de Chief Keef et Lil Reese, les deux porte-paroles du nouveau gangsta rap de Chicago. Le tout en criant à qui veut l’entendre qu’elle rêve de collaborer avec le folkeux de Virginie, Jason Mraz. Il y a à peine 1 an, la jeune femme envisageait de reprendre ses études. Aujourd’hui, elle est sollicitée en permanence et passe l’essentiel de son temps entre le studio et les salles d’interview : « Je ne m’attendais pas du tout à ce que les choses se passent aussi rapidement. Tout cela me surprend beaucoup. Je me sens extrêmement gratifiée et je suis fière d’en être arrivée là, en si peu de temps ».

Sa polyvalence et sa capacité à produire vite ont convaincu la gloutonne et tentaculaire maison Universal – qui voit autant en elle la rivale idéale des icônes Nicki Minaj et Azealia Banks qu’une songwriter disciple d’Eminem – de lui ouvrir ses studios. « Nous ne sommes arrivés au stade de l’offre avec aucun autre label, mais nous avons rencontré tout le monde et signé avec les interlocuteurs qui semblaient partager notre passion », raconte Angel Haze qui semble éluder les questions de positionnement et de stratégie, au centre de la moindre signature en major aujourd’hui. Son premier album, qui sera en partie produit par le Britannique, Paul Epworth – faiseur de tubes pour Adele, Plan B, Florence and the Machine et… Azealia Banks –, sera l’une des priorités de l’année d’Universal (il portera le sceau du label Republic aux Etats-Unis, et sortira sous les bannière Island en Grande- Bretagne, et Def Jam en France) qui orchestre le buzz, comme on fomente un putsch : en posant ses mines sur tous les terrains, dont celui du scandale et de la rivalité.

Le dernier fait d’arme de sa nouvelle recrue, massivement relayé au tout début de ce mois de janvier sur les réseaux sociaux et les principaux sites d’informations musicales (de Pitchfork au site du Guardian), est une atta- que à l’encontre de celle qu’elle présentait, il y a encore quelques semaines, comme une amie, Azealia Banks. Piquée au vif par un tweet de la rappeuse de Harlem, qui se disait agacée par les non-New-yorkais qui se réclament de sa chère ville natale, Angel Haze a violemment riposté – prenant de toute évidence la remarque pour elle – et, outre une série de tweets rageurs, a enregistré et posté dans la foulée « On The Edge », un diss track (prétendument) produit par Diplo, sur lequel elle ironise, entre autres, sur le titre du premier album de sa rivale (prévu pour le mois de février), Broke With Expensive Taste (N.D.L.R. : « Fauchée avec des goûts de riche »). Il s’en est suivi une réponse agressive d’Azealia Banks (« No Problems »), où il est question d’avances sexuelles repoussées, et une seconde charge d’Angel Haze (sobrement intitulée « Shut The Fuck Up »).

Un beef symptomatique, qui rappelle les luttes de pouvoir entre Jay-Z et Nas, et cristallise, à lui seul, le climat de tension dans lequel évoluent les très jeunes artistes portés sur le devant de la scène par une industrie en mal de sensationnel. Il faut dire que de Chief Keef – enrôlé par Interscope à 17 ans, en liberté conditionnelle – à Gunplay – nouveau poulain du parrain Rick Ross, en attente de jugement pour vol à main armée –, les dernières signatures spectaculaires du rap game ont comme une odeur de souffre. Quand nous l’interrogeons sur cet état de fait et sur les débordements de ces derniers mois, Angel Haze condamne les actes et se défend d’être une rappeuse violente. « J’essaie de faire attention à ce que je dis dans mes textes, mais je n’ai pas besoin de be.aucoup m’autocensurer, je ne suis pas une personne violente », précise celle qui trois jours plus tôt menaçait de « couper la tête » d’Azealia Banks…

NewYork EP est disponible en téléchargement légal
Reservation et Classick sont disponibles en téléchargement gratuit www.angelhazemusic.com
Angel Haze sera en concert le 15 mai à Bruxelles à l’AB Club
Le 16 mai à Paris au Social Club
Le 17 mai à Amsterdam au Paradiso
Le 18 mai à Berlin au Festsaal Kreuzberg

Par Damien Besançon
Photos Kevin Amato
Réalisation Robyn Victoria Fernandes