Décidément, nos voisins d’outre-Manche connaissent une nouvelle vague musicale qui emporte tout sur son passage. Juste après les deux frangins de Disclosure qui nous font vibrer au son de leur house teintée oldchool, c’est au tour du duo AlunaGeorge de faire exploser les codes de la soul et du R’n’B, avec leur tant attendu premier album, Body Music, disque déjà émaillé de tubes comme « Attracting Flies ». Rencontre avec Aluna Francis et George Reid, pour une interview sans détour.

– Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

Aluna : Si ma mémoire est bonne, c’était en 2009, alors que je travaillais avec un autre artiste sur un projet musical intitulé My Toys Like Me, et on avait contacté George pour faire un remix de notre morceau « Sweetheart ». Comme j’avais des idées de morceaux qui n’aboutissaient pas, j’ai eu l’idée de faire un test avec George, et ça a fonctionné du premier coup ! Tout semblait si simple et évident, on n’a pas réfléchi, cela s’est fait tout seul. On a décidé de poursuivre ensemble l’aventure et d’explorer nos possibilités musicales.
George : Moi, j’ai dû avoir ma première guitare à l’âge de 14 ans et, chemin faisant, j’ai découvert les équipements électroniques en me demandant comment on pouvait faire de la musique comme Portishead. J’ai eu plusieurs expériences de groupes et projets musicaux, mais quand on s’est rencontrés avec Aluna, il n’y a pas eu de réflexion : la musique était là, juste en face de nous, et on s’inspirait l’un et l’autre. On n’avait qu’une envie, c’était de continuer.

– Partagez-vous les mêmes influences musicales tous les deux ?

A : On aime tous les deux Radiohead et Jeff Buckley…
G : Mais aussi Air, Chris Clarke, certains morceaux d’Aphex Twin…
A : Je dirais que si on pense à de la musique électronique, George serait plus Flying Lotus, et moi, ce serait Moderat. Et j’apprécie aussi beaucoup des artistes électroniques scandinaves comme The Knife, Robyn, Kate Boy…

– Quelle est la première chanson que vous ayez composée ensemble ?

G : Je crois que c’est un titre qui s’appelle « Disobey », mais aussi « We Are Chosen », chanson que l’on joue toujours sur scène aujourd’hui, d’ailleurs.

– Quand vous travaillez ensemble, quel est le point de départ ?

G : Il n’y a vraiment pas de formule. Cela peut démarrer de n’importe quels éléments : un rythme, un son, une mélodie, quelques paroles… Je trouve que cela est excitant de savoir que l’on peut faire éclore une chanson à partir d’un élément aussi anecdotique au départ.
A : Notre façon de travailler est très empirique et sans modus operandi. La seule règle que l’on ait c’est que George ne chante pas et je ne touche pas l’ordinateur !
G : Mais, dis-moi, l’autre jour, je ne t’ai pas vu tripoter le clavier, par hasard ? [Eclats de rires]

– Avec votre musique, vous parvenez à dynamiter complètement le style R’n’B pour faire une sorte de soul futuriste. Est-ce votre objectif ?

A : On n’a jamais voulu faire du R’n’B. Je dirais que c’est plus quelque chose à propos des chansons, il advient que cela se transforme, chemin faisant, enune sorte de R’n’B, mais ce n’est pas intentionnel du tout.
G : Moi j’ai grandi en écoutant de la soul, donc cela doit forcément infuser, en cours de route, dans ma musique, je pense.

– Comment s’est passé l’enregistrement de Body Music ?

A : On a vraiment abattu un travail de titan ! On a dû arriver à une quarantaine de morceaux finalisés. Attention, pas des démos, mais des morceaux vraiment terminés complètement, avec les arrangements et tout. Après on a dû faire une sélection afin de voir quelles chansons pouvaient faire partie de l’album. Car lorsqu’on écrivait les morceaux, on ne se disait pas : « Ah ce titre-là sera sur l’album ! ».
G : De la même manière qu’on n’avait pas prévu d’être un groupe, on ne compose pas des morceaux pour un album, on écrit des chansons parce qu’on aime faire de la musique ensemble.
A : On avait même eu cette idée un peu folle qu’on serait un groupe invisible. Tu te souviens George ? Un peu comme The Knife !
G : Mais pourtant, Aluna, je peux te voir, là !!!
A : Voilà pourquoi on a abandonné ce projet ! [Rires]

– Quand on regarde ce qu’il se passe musicalement en Angleterre, depuis l’émergence des productions signées Burial, James Blake, Jamie Woon et toute la Bass Culture, on a l’impression d’une toute nouvelle scène. Vous sentez-vous faire partie de cette ‘scène’, si l’on peut nommer cela comme cela ?

G : Pas depuis que tu me le demandes ! [Rires] Mais pour tout te dire, j’ai fait pendant longtemps de la musique dans ma chambre, dans ma banlieue londonienne, loin de toute scène.
A : Je pense qu’on vient tous de banlieues autour de Londres avec des sons nouveaux. Londres pouvait nous sembler proche, mais on n’y était pas, et faire partie un jour de la musique de la capitale nous semblait être un rêve. Tu sais, lorsque tu as ce sentiment étrange de « si loin et si proche à la fois ». De toute façon, aujourd’hui, personne ne parle plus de « scène » à Londres, parce que ce n’est pas cool de se limiter à un genre. En fait, on s’est retrouvés catapultés au sein de ce milieu de bloggers et de journalistes, sans s’en rendre compte.
G : Je ne sais pas si on peut parler de scène, mais plutôt d’artistes qui vont dans une direction commune.

– Quant aux paroles de vos chansons, quels sont les thèmes que vous affectionnez plus particulièrement ?

A : On n’a jamais tenté d’utiliser les paroles de nos chansons pour avoir une portée politique sur le monde ou des revendications qui nous dépasseraient. Nos chansons sont basées sur nos propres vies, nos expériences, celles de nos amis aussi, mais surtout dans le quotidien, la vie de tous les jours qui touche tout un chacun. C’est un peu autobiographique, mais pas trop. Il y a une vraie balance entre musique et chant, et le phrasé et le dosage des morceaux sont importants, eux aussi. Notre musique est, avant tout, vigoureuse et fun. On n’a jamais tenté d’évoquer des choses abstraites.
G : Ce sont de petites histoires, sans prétention, et c’est déjà pas si mal !

– Votre album est plutôt dansant dans son ensemble, mais quelques chansons sont toutefois plus d’obédiences downtempo, comme « Outlines » ou « Friends Lo Lovers ». C’était important pour vous de pouvoir ralentir ce tempo sur votre disque ?

G : On voulait aussi pouvoir faire des morceaux au format plus simple, et laisser la chanson avec des arrangements plus épurés. C’est comme si on laissait respirer la chanson. Les deux chansons que tu cites sont, pour moi, parmi les plus fortes que l’on ait écrites, même si c’est avec des morceaux comme « Attracting Flies » que l’on a connu notre plus gros succès à ce jour.
A : L’idée était aussi de pouvoir écouter tout l’album en entier, et on ne pouvait pas faire tout un disque club et dansant : c’est vite lassant, et puis, justement, le format album nous permet de montrer toute notre palette musicale, même si, jusqu’à aujourd’hui, c’est au travers de nos morceaux club qu’on nous connaît.

– Comment avez-vous ressenti l’intérêt du public au sujet de votre musique ?

G : On a senti que quelque chose se passait vraiment à partir de notre première vidéo : « Your Drums, Your Love »
A : … ensuite, nos premiers live, et le public connaissait les paroles : c’était incroyable comme sensation !

– Quel est votre meilleur souvenir de live jusqu’à aujourd’hui ?

A : Le Pitchfork Festival était une super expérience pour nous, d’autant qu’on n’était pas en Angleterre et qu’on était booké aux côtés d’artistes connus avec plusieurs albums à leur actif. Le Nouveau Casino aussi, à Paris, une fois encore, en mai dernier. On a hâte de revenir !
G : Et on joue à Glastonbury dans quelques jours !!!

– Avez-vous connu des difficultés à transposer vos chansons, qui sont très élaborées, en termes de production du studio vers le live ?

G : Oui, c’est compliqué lorsqu’il y a autant de programmation, et l’informatique joue souvent des tours quand on fait du live. On a dû beaucoup réfléchir et travailler pour cela.
A : Mais on n’a pas fait de compromis dus au live avec notre musique sur l’album, comme cela aurait pu être le cas avec la perspective de partir en tournée après la sortie du disque. Je me souviens, quand on a dit au batteur : « Voilà la partie rythmique du morceau et on veut que ça sonne pareil », il nous a regardés, interloqué, et nous a dit : « D’accord, mais je dois travailler alors ! ». Et on lui a répondu : « Prends le temps qu’il faut, mais c’est comme cela que l’on veut que ça sonne ! ». Et cela valait le coup d’être exigent ! Le résultat est génial.

– Comment s’est passé ce featuring sur le morceau de Disclosure ?

A : Ils nous ont contactés car ils recherchaient des invités vocaux pour leur album. Je suis allée dans leur studio et cela s’est fait très simplement. Mais tout s’est passé plus rapidement que prévu, car ils ont joué le morceau dans l’un de leurs sets et quelqu’un a enregistré leur mix. Le morceau s’est retrouvé sur le net et ils ont dû sortir « White Noise » plus rapidement que prévu ! Le morceau ayant atteint la seconde place des charts singles en Angleterre, cela nous a vraiment surpris, nous aussi. On ne s’attendait pas à ça !

– Votre album, Body Music, se clôture avec un morceau bonus : une reprise du fameux « This Is How We Do It » de Montell Jordan…

A : On adore ce morceau, on le joue souvent en live, et les réactions ont toujours été géniales. Je me souviens encore quand on l’a joué pour la BBC, en octobre 2012 : on a eu plein de très bons échos, autant des médias que du public. Au départ, on ne devait pas mettre ce morceau dans l’album car ne devait y figurer que des morceaux originaux, alors on a décidé de l’inclure comme un bonus track. C’est notre petit clin d’oeil !
G : On fait aussi parfois une reprise de Frank Ocean, mais on a pensé que ça ne collait pas à l’album.

– Que peut-on vous souhaiter maintenant ?

A : On veut partir en tournée avec ce disque : on va enfin avoir assez de chansons pour proposer un vrai show. Auparavant, il fallait que l’on tienne au moins quarante-cinq minutes sur scène, avec seulement deux ou trois chansons que le public connaissait.
G : J’avoue, néanmoins, préférer me produire lors de concerts qu’en festivals.

Chronique
Au moment où le R’n’B américain s’embourbe et prend un peu la poussière (hormis peut-être Miguel ou Frank Ocean, mais est-ce vraiment du R’n’B à proprement parler ?), il est temps, pour les aficionados, d’aller rejoindre leurs comparses sur le dancefloor pour chalouper sur la musique d’AlunaGeorge, véritable concentré de soul et R’n’B complètement lifté à la sauce Bass Culture et aux nouvelles sonorités actuelles club. AlunaGeorge est bien (avec Disclosure) la grande nouveauté à ne pas manquer dans le paysage musical anglais, et leur Body Music devrait allègrement vous tenir en haleine jusqu’à l’hiver. Et bien dansez maintenant !

Par Joss Danjean
Photo : Boris Ovni
Réalisation : Flora Zoutu

 

AlunaGeorge, Big Noise (Barclay/Universal)
www.alunageorge.com