Avec Night Of The Long Knives, le duo Alpine Decline vient de signer un grand disque de pop shoegaze. Entretien avec Jonathan Zeitlin et Pauline Mu, deux californiens émigrés à Pékin pour le bien de leur musique.

Vous avez sorti quatre albums en moins de trois ans, comment expliquez-vous cette vitesse de production ?

On a toujours fait de la musique, on en a besoin. On se fout d’écrire quelques chansons puis de passer un an à boire des bières en jouant les rockstars. On est dans un processus d’écriture continue donc ce qui est naturel pour nous, c’est de faire un disque tous les six mois. Par souci promotionnel, on sait que nous devrions ralentir la cadence mais on n’y arrive pas. Si ça continue on va faire une réserve de disques déjà enregistrés qui nous permettront d’avoir une carrière encore longue même après notre mort.

Comment s’est passé votre départ de Los Angeles ?

Quand on a quitté la Californie, on voulait vraiment se rendre dans un endroit diamétralement opposé, une ville qui représenterait pour nous une forme de défi. On a quitté Los Angeles pour des raisons purement artistiques. Quand tu es musicien, il faut vivre des experiences qui vont t’inspirer. Pour nous, c’est important d’éviter le confort. Au moment de notre troisème disque, on s’est rendu compte qu’on risquait de faire du surplace en restant à L.A. On a fait une tournée en Chine et au Tibet en 2010 et c’est là qu’on a decidé de déménager, sans même en avoir parlé entre nous. Du coup, on a vendu tout ce qu’on avait, dit au revoir à nos amis et à notre sécurité financière et nous sommes partis pour Pékin.

Comment est la vie là-bas ?

Le gouvernement s’emploie à faire de Pékin une ville vitrine, mais dès que l’on s’éloigne du cœur de la fourmilière, les choses se détériorent et entrent lentement dans un état de dystopie. On découvre alors des lieux laissés complètement à l’abandon, dans lesquels chacun se bat pour essayer d’attraper un bout du rêve idéologique chinois. C’est là-bas que l’on habite, dans la grande banlieue de Pékin. On associe souvent la Californie au far-west, mais le vrai far-west, c’est Pékin.

Est-ce que cette ville vous influence dans votre musique ?

On passe beaucoup de temps à conceptualiser notre musique, c’est une étape décisive pour nous, un peu comme un rituel avant de jouer. L’endroit où l’on vit ne change pas directement tout ça mais il influence notre vision des expériences humaines et par extension notre manière de les retranscrire musicalement. Le chaos ambiant, la pollution nous ont progressivement mené vers un monde fictif que peint notre musique.

Vous avez travaillé pour ce disque avec Yang Hai Song, une figure centrale de la scène rock chinoise. Comment s’est passé cette collaboration ?

Yang Hai Song faisait partie de la première vague rock des année 90, il est considéré en Chine comme un parrain de la scène. En plus de son groupe de post-punk PK 14, il travaille sur beaucoup de projet et produit des groupes qui n’auraient jamais eu aucune chance de faire des disques sans lui. On vient juste de finir un nouveau disque avec lui qu’on est en train de mixer. On l’a enregistré dans son studio, un garage sombre perdu au milieu des buidings immenses. La première fois qu’on a travaillé avec lui, on avait d’ailleurs des grosses difficultés de communication à cause de la barrière de la langue.

Pouvez-vous me parler de votre incroyable clip de Personal History ?

Cette vidéo est faite par des artistes de Los Angeles regroupés sous le label The Great Nordic Sword Fights. Ils ont fait tous nos artworks et sont complétement dingues. Je ne veux pas expliquer le sens de cette vidéo mais en tout cas on l’assume à fond. On trouve ça très beau et hypnotique mais quand ils nous ont envoyé un premier extrait en nous demandant ce qu’on en pensait, c’était plutôt : “On ne comprend absolument rien à ce bordel mais allez-y à fond les gars, on vous fait confiance”. En tant que californiens relogés à Pékin et sortant leur disque sur un label français (Laitdbac Records), internet doit jouer un rôle important dans votre travail.

Dans ce domaine, la censure chinoise est-elle un frein ?

Disons qu’il y a l’internet que l’on connait tous et il y a l’internet chinois. Ce sont vraiment deux choses totalement différentes. Mais il y a quand même des versions chinoises de twitter et de facebook qui permettent aux groupes de partager facilement leur musique. Mais si tu veux un code barre sur ton disque, tu devras passer par la censure et là ça devient compliqué car la ligne à ne pas franchir est totalement invisible. C’est ça qui amplifie beaucoup la peur à ce sujet. Mais comme nous sommes des étrangers, c’est un peu plus facile pour nous à ce niveau là.

Vous verriez-vous bouger vers un autre pays une fois que Pékin sera devenu trop confortable pour vous ?

Pour l’instant on est bien à Pékin et on a envie d’explorer la ville à son maximum, mais on a conscience que l’on ne pourra pas passer toute notre vie là-bas pour des raisons de survie basique. On réfléchira à notre prochaine destination le jour de partir.

ALPINE DECLINE – Night Of The Long Knives (Laitdbac Records)

alpinedecline.com

Propos recueillis par Simon Clair