Davantage de productions cinématographiques mettent l’accent sur les représentations de la race, du genre et de la classe. Examen d’une tendance pas si nouvelle.

« Les stars de Black Panther ont hâte de voir les enfants blancs se déguiser en T’Challa pour Halloween ». Ce titre d’un article de Buzzfeed peut paraître anodin et incompréhensible pour certains. En réalité, il fait référence au protagoniste (par la mention de T’Challa) à un film très attendu des fans de super-héros : Black Panther. Premier personnage noir issu de Marvel, il changera à coup sûr les modèles héroïques traditionnels. Prévu pour 2018, l’engouement ne cesse de croître, à l’image du hashtag #BlackPantherSOLit (qui peut se traduire par « Black Panther, c’est le feu ») en vogue sur Twitter depuis un an. Et pour cause, le film est un des rares à afficher devant et derrière la caméra, acteur et réalisateur afro-américains. En effet, Ryan Coogler dirige cette superproduction, entouré de comédiens comme Daniel Kaluuya (Get Out), Michael B.Jordan (qui a joué dans le reboot des Quatre Fantastiques) et Lupita Nyong’o.

Black Panther

Mais Black Panther n’est pas un cas isolé. En effet, Spiderman Homecoming, réalisé par Jon Watts (récemment sacré plus grand succès de 2017), témoigne du désir grandissant des foules, de voir à l’écran des personnages plus diversifiés. Et c’est chose accomplie pour l’homme-araignée. Le casting du film challenge les représentations raciales habituelles des archétypes du teen-movie (car ici, le héros a quelques années en moins, de même pour Tante May, qui est une sexy quadragénaire). En outre, avec l’avalanche de séries basées sur les comics — Iron Fist, Arrow, The Flash, etc — et la nécessité croissante de faire écho aux situations politique ambiantes, le grand public voit ses justiciers s’ancrer dans des réalités sociales partagées. C’est le cas de Jessica Jones — personnage éponyme de la série disponible sur Netflix — qui met en avant des motifs féministes notamment en abordant le viol. Pareillement pour Super Girl (aussi diffusée sur Netflix) qui, en faisant du personnage principal, une femme, détourne le modèle classique du protagoniste mâle, figure indétrônable du monde des justiciers masqués. De plus, au même endroit, on trouve Luke Cage, qui évoque le lien entre les questions de race et de classe. Adapté d’un comic nommé « Power Man », Luke Cage grandit à Harlem, n’a pas le même compte en banque que Batman et vit donc de petits délits. Ceci jusqu’à ce qu’une expérimentation scientifique ayant mal tournée le dote d’une force herculéenne et d’une peau à l’épreuve des balles.

Jessica Jones

Une longue histoire militante

S’adaptant à l’actualité, on pourrait croire qu’il s’agit d’un jour nouveau pour ces êtres aux aptitudes extraordinaires. Or, si ces aspects commencent à être davantage accessibles (et non réservés aux connaisseurs de comics), grâce aux petit et au grand écran, ils ne sont pas pour autant inédits. Ainsi, dès les années 1930, Captain America — créé par Joe Simon et Jack Kirby, deux juifs américains — affrontait fascistes en tout genre, à l’heure où les Nazis menaçaient l’Europe. Quant à Superman, il était avant tout l’incarnation d’un surhomme socialiste, combattant les magnats d’une industrie économique profitant des plus pauvres, à un moment où les États-Unis traversaient la Grande Dépression. Par ailleurs, il évoquait par son origine extra-terrestre, l’acceptation de toute une communauté d’immigrés arrivée au cours du siècle. À cela s’ajoute Wonder Woman, première femme aux pouvoirs surhumains à apparaître dans l’univers des comic-books. Elle est d’ailleurs connue pour ses répliques féministes acérées qui peuplent les pages de chaque ouvrage.

Mais qu’en est-il par exemple, du côté des intersections de race et de genre ? « Le XXe siècle a été bénéfique aux super-héroïnes, notamment avec l’arrivée de Ms.Marvel, une adolescente américaine d’origine pakistanaise et musulmane », nous informe Bryan Young, écrivain spécialisé dans le croisement entre comics et politique. « Le portrait de ces figures féminines a pris un tournant dans les années 70, lorsque les scénaristes de X-Men ont introduit Storm (interprétée à l’écran par Halle Berry) ». Plus exactement, les X-Men — groupe d’individus dits         « mutants », du fait de leurs facultés hors normes — étaient l’allégorie de groupes marginalisés : « Les X-Men, créés au début des années 60, était une parabole pour parler du mouvement des droits civiques. Ils ont ensuite été adoptés par les défenseurs des droits LGBT ». Creusant cet angle, Randall Bonser écrivain et auteur de Comics, Graphic Novels, and Manga: The Ultimate Teen Guide déclare : « Le premier super-héros ouvertement gay dans l’univers Marvel était Jean-Paul Beaubier, aka Northstar. De nos jours, même s’il l’on peut citer Kate Kane (Batwoman), les protagonistes gays restent peu nombreux ».

Storm des X-Men

Derrière les plumes et les écrans : une réalité bien moins engagée

En résumé, les comics se sont toujours tenus au plus près du contexte sociétal dans lequel ils évoluaient. Alors pourquoi cela émerge juste maintenant dans les adaptations cinématographiques ? Byan Young répond : « Je pense que cela est dû au racisme des studios. Ils pensent qu’un protagoniste non-blanc ne sera pas rentable. Et jusqu’à ce qu’on leur prouve le contraire, cela ne sera pas près d’arriver ». Une solution accoutumée des milieux militants, serait de proposer plus de scénaristes et réalisateurs à l’identité intersectionnelle. Randall Bonser n’est pas complètement d’accord : « La vérité, c’est qu’aujourd’hui par exemple, la plupart des personnages queer ont été écrits par des auteurs hétéros, de même pour les personnages féminins qui ont été inventés par des hommes ». L’auteur nuance : « Est-ce pour cette raison qu’il a fallu si longtemps pour inclure plus de personnages de ce type ? Sans doute. Les représentations ont-elles été parfois emplies de clichés embarrassants ? C’est sûr ».

Ainsi, les super-héros ont toujours été, au cours de l’Histoire, les avocats de causes politiques, sociales et même économiques. Néanmoins, si leur réactualisation demeure en partie invisible, cela est dû à l’imperméabilité des studios de cinéma ; passerelles pourtant importantes entre une audience d’initiés et un public mainstream. Ils tentent tout de même aujourd’hui de changer la donne : la preuve avec les productions futures, prévues jusqu’à 2020 (Wonder Woman rempile pour un deuxième volet et Cyborg — homme noir mi-humain mi-robot — s’invite aussi en salles). Il est alors aujourd’hui impératif de rendre compte de ces identités multiples, puisque comme le dit Oncle Ben (dont Spider-Man est le neveu) : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».